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JALONS METHODOLOGIQUES

2 – SOURCES ET METHODES

Notre approche historique des catastrophes et des risques naturels repose essentiellement sur l’exploitation de sources archivistiques, bibliographiques et documentaires diverses et, secondairement, sur une approche terrain, mêlant des approches géomorphologiques, paysagères et des enquêtes sociales. La méthodologie de recherche historique a été progressivement mise au point, tant à l’occasion de programmes de

recherche traditionnels que de conventions d’étude et de recherche menées pour les ministères ou les services déconcentrés de l’Etat. Elle a été explicitée dans plusieurs productions et publications (J.-M. Antoine, B. Desailly9, 2000 ; J.-M. Antoine et al.10, 2001 ; J.-M. Antoine11, 2009).

2.1 – Analyse archivistique et sources textuelles

Les sources privilégiées pour reconstituer l’histoire récente des catastrophes naturelles – i.e. depuis le début du XXème siècle –, sont d’origine administrative, et donc consultables principalement auprès des services intéressés à la gestion de l’eau et au risque d’inondation (DDT ex-DDE et ex-DDAF, DREAL ex-DIREN, services RTM de l’ONF…). De plus en plus souvent aujourd’hui, les informations relatives aux inondations y sont d’ailleurs conservées et formalisées dans des bases de données informatisées (fichier

CatNat, base de données GASPAR et Banque Hydro du Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable12, Bases de données Evénements des services RTM …). La perspective historique offerte par ces bases ne remonte généralement pas au-delà du XXème

siècle. Pour les périodes antérieures, les sources sur les inondations et crues torrentielles sont de nature archivistique, et donc conservées dans les différents services d’archives publiques : Archives nationales, Archives municipales et Archives départementales. Très souvent cependant, la seule consultation de ces dernières suffit à récoler l’information : les véritables services d’archives municipales sont rares, la plupart des communes versant leurs fonds aux services départementaux, alors que les documents des Archives nationales doublonnent souvent avec ceux conservés à l’échelon départemental.

Quels que soient les services d’archives, tous font la distinction entre les documents antérieurs à la Révolution et ceux postérieurs (Fig. 21). Cette coupure politique est aussi qualitative : avec la centralisation de l’administration et l’organisation hiérarchisée des différents ministères et de leur relais départementaux, les archives postérieures à 1789 sont bien plus riches et bien mieux classées que celles de l’Ancien Régime.

9 - Antoine J.-M., Desailly B., 2000, Etude de faisabilité de bases de données historiques sur les inondations – Base nationale et bases départementales, Ministère de l’Environnement et de l’Aménagement du Territoire, CERTU Lyon.

10 - Antoine J.-M., Desailly B., Hurand A., Bouisset C., Puyo J.-Y., 2001, Méthodologie de recherche historique pour une cartographie des risques naturels dans les Pyrénées, DIREN Midi-Pyrénées, Délégation RTM « Massif Pyrénées », 31 p.

11 - Antoine J.-M., 2009, « L’histoire du climat par ses extrêmes. Sources géohistoriques et inondations dans les Pyrénées depuis le Petit

Age Glaciaire », Archéologie du Midi Médiéval, t. 27, pp. 143-155.

1400 1500 1600 1700 1800 1900 2000 1400 1500 1600 1700 1800 1900 2000

Série C - Administration provinciale

(séries F10 et F14 des Archives Nationales et série DD des Archives Municipales)

Série E et E Supp. - Féodalité, communes

(ou série BB des AM)

Série M - Fonds des préfectures

Série S - Travaux publics

(séries F14 des AN et O des AM)

Série P - Finances, cadastres

Série 0 - Adminis. Communale

(série D des AM)

Série W

(idem AM)

Série L Série Fi - Documents figurés

(séries N et NN des AN et Fi des AM)

Figure 21 – Les séries pertinentes des Archives Départementales et leur couverture temporelle (J.-M. Antoine, 2010)

Pour les fonds d’Ancien Régime, la série phare des Archives départementales est la série C ou, à défaut, les sous-séries F10 et F14 des Archives nationales ou la série DD des Archives municipales. Abondante et intéressante surtout à partir des XVIème–XVIIème

siècles, elle rassemble tous les documents relatifs à l’Administration provinciale. Les plus productifs à propos des inondations sont ceux relatifs :

- aux impositions : demandes d’exemption ou de dégrèvement d’impôt émanant des communautés ou des particuliers, procès-verbaux de vérification des dommages et de répartition des secours... (Fig. 22) ;

- aux ponts et chaussées et aux travaux publics : entretien et réparation des routes et ponts, moulins, petite hydraulique, endiguements, voies navigables…

- à la correspondance des intendants avec le contrôleur général ;

Figure 22 – Etat des dommages liés à l’inondation de juillet 1750 dans le Pays de Foix (Archives Départementales de l’Ariège, série 1 C 27)

La série E ou E Supplément « Féodalité, communes, bourgeoisie, familles » (et son

alter ego communal, la série BB) peut également contenir des informations intéressant les inondations. Les sous-séries les plus riches sont celles concernant les sinistres, l’agriculture, les travaux publics, les délibérations communales, l’Etat-Civil et les registres paroissiaux. Cependant, chaque commune du département disposant d’un fonds propre aux

Archives départementales, le dépouillement de la série E peut s’avérer long et fastidieux. Et d’autant plus si l’on s’essaye à l’examen des fonds notariaux conservés également dans cette série, et dans l’immense masse desquels sont parfois consignées des informations sur les inondations nulle part ailleurs répertoriées.

La série Fi, « Documents figurés », est apériodique et ne connaît pas la coupure de 1789. C’est aussi sans doute la série la plus « géographique » : cartes, plans, gravures et lithographies, cartes postales anciennes et photographies rendent compte parfois, et a

priori de façon « objective », des inondations, glissements de terrain ou avalanches catastrophiques, replacés dans leurs contextes spatiaux, environnementaux et paysagers. Les Archives Départementales se sont vues en particulier confier la conservation des collections photos RTM, lesquelles sont d’une qualité incomparable pour qui s’intéresse aux catastrophes passées (Photo 1).

Photo 1 – Les laves torrentielles du 23 mai 1910 à Perles-et-Castelet, Ariège (Cliché Rochebrune, RTM, Archives Départementales de l’Ariège)

On doit enfin souligner que toutes les séries d’Ancien Régime indistinctement peuvent contenir des « affiches », « placards » et autres « canards », sorte de presse écrite avant la lettre, souvent dans un style sensationnaliste. Bon nombre d’entre eux sont relatifs aux « malheurs des temps » et aux « calamités naturelles » (qui représentent 18% des 517 canards étudiés par M. Seguin, 1964, op. cité), parmi lesquels les inondations occupent une place de choix13.

Passée la période révolutionnaire, couverte par une série spécifique, la série L, quatre séries peuvent s’avérer intéressantes parmi les séries modernes des Archives départementales, dont les documents peuvent aller jusqu’aux années 1940 :

- la série M « Fonds des préfectures » ou « Administration des départements » contient parfois des dossiers détaillés sur les « Sinistres et calamités », toujours des états de pertes et des rapports de police rédigés après les grandes catastrophes ; - la série S « Travaux publics » (et son équivalent des Archives municipales, la

série O), constituée pour l’essentiel du fonds « Ponts et Chaussées », et dans laquelle sont conservées les archives des services hydrauliques et des services d’annonce des crues, avec rapports, plans, côtes de crues, parfois des photographies sur les grandes inondations ; son équivalent « Eaux et Forêts » prend place dans la série P « Finances, cadastres », laquelle accueille également, dans les départements montagnards, le fonds RTM.

- enfin la série O (et sa jumelle des Archives municipales, la série D), consacrée à l’administration communale ; pendant moderne de la série E ou E Supplément, elle est structurée en sous-séries similaires, les plus prometteuses étant celles dédiées aux « Travaux publics », « Sinistres et calamités », « Agriculture »…

Les Archives départementales accueillent enfin la série W, alimentée par les versements postérieurs à 1940. Ils émanent ordinairement des administrations et notamment de celles des « Ponts & Chaussées » et des « Eaux & Forêts ». Cette série est cependant d’un abord difficile, les documents étant archivés au fur et à mesure de leur versement, généralement sans aucun classement.

Sur un autre registre, qualité, précision et exhaustivité des sources sont très hétérogènes d’une série à l’autre, d’un service d’archives à un autre. La façon dont sont recensés les événements varie par exemple de la simple mention de survenance dans une localité (dans des états de pertes par exemple) à leur localisation précise et leur description détaillée, quantifiée en termes de dégâts matériels mais aussi de pluviométrie, de hauteur d’eau, de vitesse de submersion, de volumes des débits solides transportés ou déposés, et illustrée par des plans ou des photographies de zones inondées, éboulées, couvertes par les

avalanches. D’une manière générale, mais pas systématique, la précision gagne avec le temps, les événements les plus récents étant d’ordinaire les mieux renseignés.

A côté de ces sources de première main, les sources imprimées ne doivent pas être négligées (Fig. 23). Elles peuvent être d’une aide fort précieuse pour identifier dans un service d’archives, les séries, les fonds ou les liasses a priori les plus prometteurs. On pense par exemple aux Annales communales, tenues parfois dès les XVème-XVIème

siècles14, ou aux synthèses chronologiques et événementielles sur les inondations publiées aux XIXème-XXème siècles15, dans la lignée de la somme de M. Champion (1862-1868, op.

cité) éditée à partir de 1862. Ces compilations sont néanmoins souvent lacunaires et leurs informations parfois invérifiables. Les erreurs de transcription des documents originaux ou de recopie de sources de seconde main ne sont pas rares, et les recoupements souvent problématiques lorsque les sources originales sont privées, ont disparu ou ont été reclassées. 0% 20% 40% 60% 80% 100%

XVe XVIe XVIIe XVIIIe XIXe XXe Total

Archives Bibliographie Pres se

Figure 23 – L’origine des informations sur les inondations historiques dans le département du Gers (XVème-XXème siècles)

(D’après Antoine et al., 2000, op. cité)

Enfin, la presse, bien qu’elle pose les problèmes les plus aigus de critique des sources et des données, n’en demeure pas moins d’un grand secours, notamment pour les événements survenus au XIXème et au début du XXème siècle, à l’âge d’or de la presse locale et régionale (Fig. 23 & 24). Les Archives départementales du Gers conservent par exemple quelques 350 quotidiens, hebdomadaires, mensuels couvrant ensemble la période allant de 1814 à aujourd’hui (J.-M. Antoine, B. Desailly, 2000, op. cité).

14 - Par exemple à Toulouse, G. De Lafaille, 1687-1701, Annales de la Ville de Toulouse, Toulouse, Coulomyes, 2 tomes.

15 - On peut citer parmi de nombreuses références, R. Guiraud de Saint-Marsal, 1856, Mémoire sur les inondations occasionnées par les crues de la Têt et de la Basse aux environs de Perpignan, Bulletin de la Société Agricole, Scientifique et Littéraire des

Figure 24 – Les inondations de mars 1930 dans La Petite Gironde (édition du 6 mars)

Les sources archivistiques constituent donc en substance les sources fondamentales pour l’histoire des catastrophes naturelles, et en particulier les inondations, jusqu’au milieu du XIXème siècle, même si leur richesse dans l’absolu a pour revers un temps de consultation très long. Il peut être significativement réduit par le dépouillement de sources de seconde main (sources imprimées, presse…), qui doivent cependant être maniées avec précaution tant elles ne peuvent pas toujours être vérifiées et recoupées.

2.2 – Autres approches

Les sources archivistiques, malgré leur indéniable intérêt, n’en restent pas moins une production sociale et sociétale, révélatrice certes d’une réalité initiale objective mais aussi, pour une large part, du contexte social, donc subjectif, dans lequel elles ont été produites. Quelle que soit l’attention portée à cette particularité génétique lors de l’interprétation de ces sources et du discours qui leur est sous-jacent, une part de subjectivité peut demeurer. L’analyse sédimentologique des formations alluviales et colluviales parût un temps pouvoir confirmer ou infirmer sans discussion possible les faits et les tendances issues de l’analyse critique des sources historiques (J.-M. Antoine16, 1987,

16 - Antoine J.-M., 1987, Méthodologie de la reconstitution des rythmes catastrophiques en Val d’Ariège, Mémoire de DEA de Géographie, Université de Toulouse-Le Mirail ; Antoine J.-M., 1988, « Un torrent oublié mais catastrophique en Haute-Ariège », Revue

1988). Cette méthode ne fut pas poursuivie et mise en œuvre, car soumise à de trop nombreuses contingences :

- présence de coupes suffisamment longues et puissantes sur un effectif pertinent de formations alluviales (cônes ou terrasses et nappes alluviales), ce qui n’est qu’exceptionnellement le cas (lors du passage de voies de communication en déblai par exemple) ;

- possibilité d’extrapoler la lecture de ces coupes à la totalité de la formation alluviale, sous-entendant une organisation stratigraphique en feuillets et non lenticulaire, alors que cette dernière disposition est assez régulièrement observée sur les cônes pyrénéens courts et pentus ;

- difficulté de datation des séquences alluviales après identification (formation de chenal, épandage de début ou de fin de lave torrentielle…) ; or cette datation ne peut être au mieux que relative, la datation au 14C du principal traceur – charbons de bois disséminés aux pieds de versants intensément charbonnés depuis le bas Moyen-Age –, ne pouvant donner que la date de carbonisation et non celle d’incorporation dans la séquence.

Pour autant, l’approche terrain, en particulier géomorphologique, n’a pas été totalement abandonnée. Et c’est en cela que l’analyse historique est optimisée quand elle est pratiquée par un géographe, plus à même que son collègue historien de repérer dans le paysage, ici un paléo-chenal fluvio-torrentiel, des bourrelets latéraux de lave torrentielle ou la niche de décollement d’un glissement de terrain ancien, là un finage et une organisation cadastrale tenant compte de la fréquence des inondations (parcellaire en lanières perpendiculaires au cours d’eau par exemple), ou encore une implantation de l’habitat et une architecture des bâtiments adaptés pour faire face de manière optimale aux crues torrentielles ou aux avalanches…

Nous avons montré aussi que la connaissance « terrain » était également indispensable dès lors qu’il s’agissait non pas seulement de tirer des informations des sources mais surtout de les interpréter et de les localiser (J.-M. Antoine17, 1991). Sous

17 - Antoine J.-M., 1991, « Communautés montagnardes et inondations dans l'Ariège de l'Ancien Régime », Bulletin de l’Association

l’Ancien Régime, le vocable « grêle » est par exemple fréquemment employé pour qualifier de fortes précipitations orageuses, ayant causé des dégâts aux récoltes, sans nécessairement que des grêlons aient été observés. Par contre en montagne, ces fortes précipitations peuvent avoir été à l’origine de ravinements et de crues torrentielles. Le terme d’« éboulement » peut quant à lui signifier des ravinements, alors que celui d’« avalanche » sert parfois à désigner une crue ou une lave torrentielle… Tous ces termes demandent donc à être interprétés, par des prospections de terrain, et en fonction d’indices et d’indications connexes contenues dans la source, et permettant de lever toute ambiguïté : milieu et saison considérés, nature et intensité des dégâts, description de la cinématique du phénomène…

Enfin une troisième méthode, l’enquête sociale, a été utilisée très marginalement, notamment quand nous nous sommes penchés sur les risques contemporains. Les témoignages oraux, souvent informels, parfois sous forme d’entretiens semi-directifs, ont été sollicités avec deux objectifs : identifier des sites à risque ou des événements qu’aucune autre source n’avait répertoriés ; mettre à jour les discours des différents acteurs impliqués par la problématique des risques, de manière à évaluer comment les divergences pouvaient interférer dans les vicissitudes de leur gestion (J.-M. Antoine et

al.18, 1998).

CHAPITRE 2

LA CATASTROPHE NATURELLE, MIROIR DES