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CHAPITRE 4 : RÉSULTATS – Représentations sociales des jeunes LGBQ

4.2 Sources des connaissances antérieures des participantes

Selon le cadre théorique de cette recherche, les représentations sociales des individus sont le fruit d’une construction des réalités qui les entoure. Pour ce faire, les intervenants sociaux (sujet) donnent un sens à un objet (les jeunes LGBQ), en faisant des liens avec des connaissances antérieures (Guimelli, 1994). Le savoir commun qui en résulte (Moliner, 2001) permet au sujet (intervenants sociaux) d’accorder des caractéristiques à l’objet (jeunes LGBQ) en cohérence avec ces connaissances antérieures, dans le but de le rendre plus familier (Guimelli, 1994). Ainsi, les discours des participantes de cette recherche permettent de faire ressortir deux types de connaissances antérieures mobilisées dans la construction de leurs représentations sociales des jeunes LGBQ. Les premières sont liées aux participantes elles-mêmes, soit leurs expériences personnelles et professionnelles. Les deuxièmes réfèrent à des sources macrosociales, soit des facteurs sociaux et légaux ainsi que leur formation scolaire.

4.2.1 Expériences personnelles et professionnelles

Le discours des participantes fait d’abord ressortir leurs connaissances antérieures des jeunes LGBQ par le biais de leurs expériences personnelles et professionnelles. Certaines participantes évoquent une enfance marquée par l’absence de toute discussion familiale portant sur la diversité sexuelle, par des propos homophobes de leurs parents ou par une éducation hétérosexiste. Une participante explique l’influence que cette éducation a eue sur sa propre perception des personnes LGBQ : « C’est sûr que quand j’étais ado, j’étais pareil comme eux autres [les jeunes d’aujourd’hui]. C’était comme ça puis c’est tout. Tu ne peux pas en sortir, si t’es homosexuel, t’es bizarre » (Participante 3).

Toutefois, une participante nuance l’influence d’une telle éducation en affirmant que son ouverture face aux personnes LGBQ était déjà présente dans son enfance : « En fait, j’ai toujours accepté tout le monde peu importe ce qui se passait. Donc pour moi ce n’était pas une embuche à entrer en relation avec quelqu’un » (Participante 8). Cette participante est la seule qui affirme avoir eu des comportements protecteurs dans son enfance à l’égard d’un ami qui se faisait intimider en raison de

sa non-conformité aux attentes normatives du genre masculin. En outre, certaines participantes ayant évoqué leur éducation précisent que le fait de rencontrer des personnes LGBQ à l’âge adulte a eu une influence positive sur leurs perceptions de celles-ci :

C’est sûr que j’ai un ami qui est homosexuel. Bon c’est sûr que grâce à lui, mon image a carrément changé. Ouin. Je suis passée à autre chose, mes barrières se sont grandes ouvertes. Quand tu as quelqu’un dans ton entourage, bien tu comprends mieux (Participante 3).

Au contact de personnes LGBQ dans leur réseau social, ces participantes ont ainsi pu les considérer comme ayant des intérêts et un mode de vie similaires aux leurs (activités sportives, travail, etc.). Cette proximité aurait eu comme effet de déconstruire certains de leurs préjugés et de percevoir les jeunes LGBQ comme étant des personnes jugées normales. D’autres participantes affirment ne pas avoir de personnes LGBQ dans leur entourage, n’ayant ainsi que trop peu d’occasions de se questionner sur le vécu spécifique des personnes homosexuelles ou bisexuelles. D’ailleurs, une participante estime que le fait de discuter avec des adultes LGBQ l’aiderait à poursuivre sa réflexion afin de mieux comprendre les réalités des personnes LGBQ:

On n’a pas assez accès à ça [discuter avec un adulte LGBQ]. Jamais. À moins d’avoir un ou une amie ou un groupe d’amis, c’est plutôt rare. Ce n’est pas si commun que ça. On fait notre pensée les hétéros dans notre coin. On lit un peu et on regarde un peu comment sont nos jeunes [LGBQ]. Mais prendre le temps de s’asseoir et de parler avec quelqu’un. […] Un adulte [LGBQ] qui a pris le temps de réfléchir, de s’affirmer, de se positionner, qui est bien dans sa peau… C’est rare qu’on puisse se permettre d’avoir accès à cette personne-là. J’ai des fractions, des bouts de pensées de même, mais ça n’atterrit jamais. C’est là que j’en suis (Participante 6).

En outre, peu de participantes ont été régulièrement exposées à la diversité sexuelle en vivant dans des grands centres urbains. De ces expériences, une participante affirme avoir régulièrement rencontré des personnes LGBQ dans son quartier, une autre les côtoyant dans les bars et activités dédiés à la communauté LGBQ. Finalement, une participante relate des expériences difficiles vécues durant son adolescence où elle a été victime d’agressions sexuelles à deux reprises et ce, par deux personnes de son propre genre. Celle-ci affirme d’ailleurs avoir eu besoin, au fil des

années, de déconstruire certaines de ses perceptions à l’égard des personnes homosexuelles ou bisexuelles, afin de ne plus les percevoir comme étant perverses, violentes ou pédophiles.

Les expériences professionnelles semblent aussi un facteur pouvant influencer leurs représentations sociales des jeunes LGBQ. En premier lieu, la plupart des participantes relatent avoir peu de contacts avec des jeunes LGBQ de leur milieu scolaire. Selon leurs propos, ces contacts ont souvent comme objectif une intervention à la suite d’une difficulté vécue par ces jeunes telles que le fait de vivre de l’homophobie ou de craindre le jugement des autres. Une participante nuance la tendance générale en affirmant avoir des contacts avec des jeunes LGBQ ne portant pas sur des aspects difficiles de leur vécu : « C’est rare que j’entends parler d’élèves [LGBQ] qui viennent se plaindre, qui ne sont pas bien, qui sont malheureux, que ça ne va pas. Je n’en n’ai pas [de rencontres avec des jeunes LGBQ portant sur les aspects difficiles de leur vécu] » (Participante 7). En outre, le discours de deux participantes suggère qu’elles n’ont eu aucune rencontre avec des jeunes LGBQ portant sur des difficultés liées à leur orientation sexuelle. Ces dernières l’expliquent par l’idée que leur mandat (ex. : orientation scolaire et troubles de l’apprentissage) ne les prédispose pas à la discussion portant sur le dévoilement de l’orientation sexuelle des jeunes rencontrés.

4.2.2 Facteurs sociaux et légaux

Les connaissances sur lesquelles s’ancrent les représentations des participantes apparaissent aussi influencées par des sources de connaissances macrosociales. Tout d’abord, certaines participantes perçoivent un changement dans les discours sociaux à l’égard des personnes LGBQ. Au cours des dernières décennies, le discours stigmatisant ou faisant fi des réalités LGBQ aurait laissé la place à un discours plus inclusif de la diversité sexuelle. Ce nouveau discours, présent notamment dans les médias et le système scolaire, aurait eu comme effet de sensibiliser ces participantes aux réalités des jeunes LGBQ. Ce discours aurait aussi eu comme conséquence d’accroitre l’ouverture de la société envers les personnes LGBQ et, plus spécifiquement, à normaliser la diversité sexuelle auprès de la population :

Les tendances ont changé beaucoup. L’éducation des enfants, par rapport à leurs parents, a changé beaucoup aussi. Et que les gens se dévoilent [LGBQ] ou qu’ils se reconnaissent, que ce soit à la télévision ou que ce soit

dans d’autres situations, moi je pense que ça aide aussi aux autres personnes de la société (Participante 10).

D’autres participantes, au contraire, abordent les discours sociaux comme rendant invisible les réalités des personnes LGBQ. Par le biais entre autres de la publicité, l’hétérosexualité et certains modèles comportementaux jugés conformes au genre seraient valorisés :

Je pense qu’il existe un conditionnement qui est là depuis … même dans l’inconscient collectif, je dirais même plus loin que la naissance là. On voit souvent des petits enfants très vite. Tu peux bien leur donner un camion. La petite fille, le camion, elle ne le prendra pas, elle va prendre la poupée. C’est comme si à quelque part dans tous nos faits et gestes, nos modèles comportementaux, ou les publicités. Tout fait que dans le fond il y a encore deux modèles : le gars, la fille (rire). Puis le gars va se marier avec une fille, la fille va se marier avec un garçon. Il y a déjà très tôt des comportements qui sont établis, qui sont montrés (Participante 4).

Les propos d’une participante vont plus loin en suggérant que l’influence des discours sociaux valorisant le modèle hétérosexuel et faisant fi de la diversité sexuelle aurait contribué à ce qu’elle présume de l’hétérosexualité des personnes de son entourage:

Nos habitudes sociales tout simplement qui sont là depuis tellement longtemps. […] C’est ancré parce qu’on a tout le temps parlé d’hétérosexualité. Dans les livres d’école, dans les romans que je lisais, il n’y avait pas d’autres modèles de présentés [seulement le modèle hétérosexuel]. Je te dirais aussi que ça ne se posait même pas comme question. Donc, moi j’ai toujours utilisé le terme : « As-tu un chum? » quand je parlais à une fille (Participante 8).

En outre, deux participantes suggèrent que certaines croyances populaires, alimentées entre autres par la pornographie, auraient comme effet d’accroitre les préjugés à l’endroit des femmes lesbiennes et bisexuelles. En effet, les femmes ayant des relations avec d’autres femmes seraient perçues comme étant fondamentalement hétérosexuelles, certaines agissant de la sorte afin d’attirer l’attention des garçons. Selon ce point de vue, bien que les comportements homosexuels de ces femmes demeurent acceptés socialement, la reconnaissance sociale de leur orientation homosexuelle ou bisexuelle ne leur serait pas accordée. Il semble que cette croyance populaire puisse influencer la représentation d’une de ces deux participantes à l’égard des jeunes LGBQ.

Dans l’extrait qui suit, cette participante partage ses réflexions à propos d’une adolescente s’identifiant comme lesbienne :

Je ne veux pas trop m’avancer là, mais il y a des fois je me suis demandée. […] Je me disais, elle a eu une relation qui n’a pas fonctionné [avec un garçon]. Elle s’est peut-être revirée [d’orientation sexuelle] pour aller chercher ce qu’elle a manqué. Mais peut-être que dans le fond, elle en met tellement que c’est peut-être pour se convaincre elle-même (Participante 3).

Ensuite, les avancées législatives ont été mentionnées par quelques participantes comme facteur pouvant influencer positivement leur perception des personnes LGBQ. Par exemple, le droit au mariage, l’adoption et la reconnaissance des familles homoparentales contribueraient à normaliser les personnes LGBQ en insistant sur leurs similitudes avec les autres membres de la communauté. L’extrait qui suit montre clairement l’influence de la législation canadienne du mariage pour les conjoints de même sexe sur la représentation de cette participante à l’égard des droits et des émotions des personnes LGBQ « Je reviens encore sur le mariage [de conjoints de même sexe]. Que ça aille passé, ça vient démontrer que c’est des humains et qu’ils ont le droit. Ils ont des sentiments pareils [comme les hétérosexuels] » (Participante 3).

Sur l’ensemble des personnes rencontrées, une seule participante se positionne en défaveur de la reconnaissance de certains droits pour les personnes LGBQ. Dans l’extrait qui suit, la participante explique son désaccord face à la politique accordant le droit à l’adoption pour les conjoints de même sexe :

Si tu oses publiquement dire que les gais et lesbiennes n’ont pas les mêmes droits (silence). Ils veulent avoir des enfants, mais biologiquement parlant ce n’est pas conçu, ce n’est pas fait pour ça. Ça ne marche pas. Et socialement, il faut payer des taxes, des impôts pour qu’ils puissent adopter (Participante 6).

Dans une moindre mesure, la formation académique des participantes a été soulevée comme ayant pu influencer leurs représentations sociales des jeunes LGBQ. En effet, une participante affirme que sa formation universitaire lui a permis d’accroitre ses connaissances à propos des personnes LGBQ et ainsi, être davantage sensibilisée à leurs réalités. En contrepartie, une participante fait un lien

entre sa perception du caractère anormal des personnes LGBQ et l’angle d’analyse soulevé par sa formation académique :

J’ai peut-être des comportements hétérosexistes, des attitudes, des pensées… je ne sais pas comment le nommer. J’ai un background dans ma formation en [sciences de la nature]. C’est difficile d’approcher la normalisation des LGBQ (Participante 6).

En outre, la majorité des participantes n’ont jamais assisté à une formation spécifique aux réalités et à l’intervention auprès des jeunes LGBQ que ce soit dans leur formation initiale ou offerte dans leur milieu de pratique. Seulement deux participantes affirment avoir déjà reçu une telle formation en milieu scolaire, mais n’ont pas conservé de souvenirs précis de son contenu. De ce fait, leur discours ne permet pas de discerner les connaissances acquises lors de ces formations et ayant contribué à influencer la construction de leurs représentations des jeunes LGBQ. Toutefois, une participante précise que cette formation lui a été fort utile afin d’acquérir de nouveaux outils afin de mieux accompagner les jeunes LGBQ.

Bien que les sources de connaissances antérieures des participantes pouvant influencer leurs représentations des jeunes LGBQ puissent être nombreuses, quelques-unes ressortent de leurs discours comme étant particulièrement centrales. Ainsi, leurs expériences personnelles et professionnelles ainsi que les discours sociaux incluant les croyances populaires et les avancées législatives ont été soulevés.