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Chapitre 6 – L’étude des eaux

6.3 Les sources chaudes et les sources de leur chaleur

S’il était évident que les eaux minérales disposaient des vertus que leur apportaient les minéraux qu’elles contenaient, une question récurrente persista durant tout le XVIIIe siècle. Alimentant les débats chez les scientifiques qui s’intéressaient à l’utilisation des eaux minérales, la température anormalement élevée des eaux qui sortaient naturellement du sol intriguait. Quelle était la source de chaleur de ces eaux minérales dites thermales?

Nous attribuons aujourd’hui la chaleur des sources chaudes à l’énergie thermique provenant de la terre (chaudière géothermale). La température des roches situées au niveau de la croûte terrestre augmente proportionnellement avec la profondeur de sa situation (phénomène appelé gradient géothermique). L’eau au contact de ces roches chaudes se réchauffe considérablement provoquant la chaleur des sources non volcaniques. Dans les régions volcaniques, l'eau peut tout simplement être chauffée par le contact direct avec le magma. Aujourd’hui nous savons que l'eau chaude ayant une meilleure capacité de dissolution peut porter plus d'éléments dissous, les sources tièdes et surtout chaudes étant

      

169

Donald MONRO, A treatise on mineral waters, London, D. Wilson and G. Nicol, and T. Durham, 1770, p. 2- 5-15-24-37-72.

170

Jacques Christophe VALMONT DE BOMARECQUES, Dictionnaire raisonné universel d'histoire naturelle, volume 2, Paris, Chez Didot le Jeune, Musier, Fils, De Hansy, Panckoucke, 1764, p. 248 à 250.

souvent très chargées en minéraux, du simple calcium au lithium, et même parfois du radium171.

La science moderne peinait au Siècle des Lumières à expliquer la source de chaleur des eaux thermales.

Il n’est pas aussi aisé de deviner la cause qui produit la chaleur des eaux thermales. Cette cause est elle un volcan souterrain? Comme le prétendent plusieurs naturalistes. Sont-ce des pyrites, ou d’autres matières semblables, en fermentation? Comme la plupart des chymistes le soupçonnent. Enfin, le liquide ne devient-il chaud, que quand il traverse des filons de houille? Ainsi que l’a écrit, il y a quelques années, un auteur moderne172.

Les scientifiques ne s’entendaient toujours pas sur la source de la chaleur et peu d’auteurs traitant des eaux minérales ont résisté à la tentation d’expliquer leurs propriétés et leur origine. Chacun émettait hypothèses et théories. L’Encyclopédie affirmait que les eaux thermales devaient leur chaleur à « un mélange de feu & de soufre qui se trouvent dans les mines voisines des sources, joint à un alkali qui divise ces minéraux & les étend dans l’eau […] leur en communique la faculté & les vertus […] 173 ». À peu près à la même époque, Valmont de Bomarecques affirmait que les eaux minérales devaient davantage leur température à « […] des mélanges de pyrites, qui s’échauffent en se décomposant qu’à des feux souterrains174 ». Joseph Hubert Sandberg était partisan de la théorie des feux souterrains provenant du centre de la Terre, apportant une variation intéressante :

Il est des Sources, dont, le cours est toujours égal & la température à peu près la même. Celles-ci sourdent de très-profond, & sont le produit des évaporations souterreines. L’action du feu étant telle au- dedans que nous venons de le démontrer, la force de la chaleur y entretient une évaporation continuelle, dont les suites se portent à la voûte des cavernes intérieures, où les vapeurs se répandent dans une température plus froide, se condensent, se réunissent en corps, & forment des especes de nuages qui se résolvent en pluie, qui tombe du haut de ces cavernes en bas175.

      

171

« Hot spring», l'Encyclopedie Microsoft Encarta pour [En ligne],

http://encarta.msn.com/encyclopedia_761563895/Spring_(water).html#p1, Page consulté le 15 juin 2009). 172

Pierre Jean-Baptiste LE GRAND D’AUSSY, Voyage fait en 1787 et 1788 dans la ci-devant haute et basse

Auvergne aujourd'hui dept du Puy-de-dôme et du Cantal et partie de celui de la haute Loire, Paris, Imp. des

sciences et arts, an III (1794), volume 2 p. 271 173

Jean le Rond d’ALEMBERT et Denis DIDEROT, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des

arts et des métiers, Tome seizième, Neufchâtel, chez Samuel Faulche, 1765, p. 267.

174

Jacques Christophe VALMONT DE BOMARECQUES, op. cit., p. 251. 175

C’était ainsi par cette distillation continuelle que s’entretenaient les lacs souterrains, fournissant l’eau des fontaines, à l’abri de l’influence de l’état de l’atmosphère dans ces cavernes.

Ces deux théories étaient celles qui faisaient figure d’autorités pour expliquer la chaleur des eaux qui émanaient naturellement chaudes du sol. Certains, afin d’éviter les écueils des scientifiques qui attribuaient l’origine des fontaines à une seule cause, croyaient que diverses causes concouraient conjointement ou séparément à leur production.

Celles qui ont un cours constamment égal, dit l’auteur, proviennent des vapeurs aqueuses des eaux contenues dans le sein de la terre, qui s’échapent de la mer & sont élevées, soit par la chaleur naturelle de la terre, soit par des feux qui y sont entretenus par la mixtion de divers corps. Les fontaines dont le cours est inégal ou intermitent, répondent aux causes dont elles dépendent, telles que les eaux de pluie & de la fonte des neiges, les vapeurs de l’air condensées sur de hautes montagnes, la mer, les rivieres, &c176.

Comme nous pouvons le constater, pour Limbourg la question de la source de chaleur des eaux le mena également à s’interroger sur la question du débit plus ou moins régulier des sources. Ignorant généralement la source des torrents, les scientifiques ne s’entendaient également pas sur les éléments qui régulaient le débit de l’eau ou sur les causes qui pouvaient provoquer l’épuisement d’une source.

Alors que des auteurs ne s’entendaient pas sur les sources de la chaleur des eaux thermales, certains adoptèrent une position intermédiaire affirmant que chaque théorie disposait d’arguments importants non négligeables et que les autorités du domaine scientifique étant divisées, il était inutile de pencher pour une des théories. L’important résidait davantage dans l’utilité du secours indéniable qu’apportaient ces eaux salutaires : « […] but we pretend not decide on which truth lies. It is sufficient for our purpose that the

fact is certain, and that we have indubitable proofs that our hot waters have retained their warmth and their virtues through a long course of ages, and that, whatever the cause may be, there are no just grounds to apprehend that their salubrious qualities will ever fail177 ». Pour

      

176

M. LIMBOURG, « Traité des eaux minérales de Spa », dans, DULAC, Alleon, Mélanges d'histoire

naturelle, Publié chez Benoît Duplain, Lyon, 1765, p. 33-34.

177

Auteur inconnu, The new Bath guide, London, Published by printed by R. Cruthwell for W. Taylor, 1789 (première édition en 1762). Des éditions jusqu en 1799, p. 10.

cet auteur, l’importance historique prédominait donc sur les faits scientifiques. Ici encore, le poids du passé représentait celui de la bonne réputation et de l’efficacité de la source.

Afin de comprendre la « cure thermale » comme remède du XVIIIe siècle, il est indispensable de prendre en considération l’univers spatiotemporel et culturel dans lequel la conception du corps et de la maladie évolue. La médecine thermale en développement était donc dictée par le système humoral du corps. La théorie des humeurs du corps étant acceptée par l’ensemble du territoire étudié, nous avons ainsi retrouvé un ensemble homogène de pratiques liées à l’utilisation de l’eau comme traitement. C’est également en grande partie en raison de cette perception du corps et de la maladie au XVIIIe siècle qu’il devint primordial de connaître les propriétés des eaux par l’analyse chimique. Outre que par souci de recensement des ressources des territoires, l’analyse chimique des eaux permit de prescrire rigoureusement une eau aux propriétés adéquates à un mal précis. Les analyses chimiques mirent au jour les composantes et les propriétés des eaux révélant une complexité jusqu’alors inaccessible. Les désaccords des scientifiques sur différents points concernant les eaux minérales font état d’une science en pleine évolution et l’étude des eaux minérales permit graduellement la remise en cause de l’ancien système humoral tout en faisant la promotion de l’expérimentation. Nous pourrions ainsi affirmer que le thermalisme profita de la chimie, tout comme la chimie profita du thermalisme.

Troisième partie : Villes de mondanités