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Chapitre 8 – L’homogénéité des mœurs balnéaires

8.3 Modes et diversité culturelle 100 

Nous pouvons inscrire le thermalisme comme participant à la collecte de « détails ethnologiques ». Tout au long du XVIIIe siècle, le regard du voyageur posé sur l’autre demeura chargé de préjugés. Les auteurs des sources relatant un séjour dans une ville d’eaux étrangère s’intéressaient généralement aux différences culturelles entre les pays. Le baigneur se rendant dans une ville d’eaux étrangère découvrait généralement une culture étrangère et ses différentes modes. Le regard du voyageur venu de la ville, lieu de la haute civilisation, demeura souvent chargé de préjugés. Les descriptions des habitants des villes d’eaux faisaient ainsi souvent état du folklore local233. Les descriptions visaient généralement les différences apparentes comme l’habillement. Les villes d’eaux de Suisse et d’Allemagne étaient reconnues pour leurs plaisirs illicites et le mélange des sexes. Dans les villes d’eaux suisses, il était inutile de se parer de ses plus beaux habits. L’auteur des amusements des       

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David-François MERVEILLEUX, Amusemens des eaux de Schwalbach des bains de Wisbaden et des

Schlangenbad avec deux relations curieuses l'une de la nouvelle Jérusalem et l'autre de la Tartarie indépentante, Liège, chez Everard Kintel, 1738, p. 23. 

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Jean M. GOULEMOT, Paul LIDSKY, Didier MASSEAU, Le voyage en France : anthologie des voyageurs

bains de Bade en Suisse remarquait que les villes d’eaux suisses avaient des modes qui ne

ressemblaient en rien à celles des Français. L’auteur des Amusemens des eaux de Schwalbach

des bains de Wisbaden et des Schlangenbad faisait également état des différences culturelles

entre l’Allemagne et la France :

Il y a une grande différence entre la maniere de vivre lorsqu’on prend les Eaux en France, & celle qu’on observe en pareil cas en Allemagne. L’on ne s’avisera jamais en France de chercher à briller dans ces occasions par les habits & les Pierreries. Les Seigneurs Allemands & leurs Femmes étalent à Schwalbach toutes leurs richesses. Ils produisent alors ce qu’ils ont de plus beau en linge, en habits, en Diamans; habits d’hyver, habits d’été, tout se montre; ce qui fait un assez beau spectacle les jours de Bal & de concert234.

En France on ne faisait pas autant de cérémonie pour prendre les eaux. À Schwalbach, les Allemands ne manquaient aucune occasion de briller, n’omettant aucune occasion d’étaler leur vaisselle d’argent.

Le Tables, Tablettes, Commodes, &c. de toute une enfilade d’apartement en sont quelquefois garnies; & la Chambre à coucher est fournie de pieces de Vermeil, soit pour la Toilette, soit pour les autres usages. Les Tables & les Chenets de la Cheminée sont couvert de feuilles d’argent & relevés en bosse, ce qui est assez incommode surtout pour les Tables. Un Etranger voit avec surprise, que parmi les grosses pièces d’argentrie qu’on expose dans les Chambres, on étale avec une affectation ridicule les Cuilleres & Fourchettes de Table, & jusques aux petites Cuillieres à Caffé235.

Grâce au cosmopolitisme des stations thermales, outre la rencontre d’une culture étrangère, le voyageur s’exposait à un mélange de culture qui pouvait parfois être fort divertissant.

Il y avait des gens de tout âge, de toute espece, de toute Nation. Des jeunes, des vieux, des infirmes, des Prêtres, des Abbés, des Moines de tout Ordre, & de toutes couleurs. Il y en avait de Noirs, de Blancs, de Gris, de Bruns, de Barbus, d’autres sans Barbe, quelques uns nuds-pieds, d’autres chaussés mais tous distingués par la forme bizarre de leur habits, & si satisfaits d’eux-même, qu’il n’y en avait pas un qui ne crût effacer son confrere en mérite & même en galanterie. La plupart de ces Frocards s’étaient couplés avec de petite Religieuses, fort éveillées, pour qui la liberté des Eaux paraissait un souverain remede; […] au reste, cette espece de gens a bien son utilité aux Eaux; car outre la variété du spectacle qu’ils fournissent, il y en a toujours parmi eux qui régalent le public de scènes fort divertissantes236.

      

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David-François MERVEILLEUX, Amusemens des eaux de Schwalbach des bains de Wisbaden et des

Schlangenbad avec deux relations curieuses l'une de la nouvelle Jérusalem et l'autre de la Tartarie indépentante, Liège, chez Everard Kintel, 1738, p. 16. 

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David-François MERVEILLEUX, Amusemens des eaux de Schwalbach des bains de Wisbaden et des

Schlangenbad avec deux relations curieuses l'une de la nouvelle Jérusalem et l'autre de la Tartarie indépentante, Liège, chez Everard Kintel, 1738, p. 20.

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Karl Ludwig Freiherr von POLLNITZ, Amusemens des eaux de Spa, Amsterdam, Publié chez Pierre Mortier, 1734, volume 1, p. 174-175.

Ces divergences culturelles, lorsqu’elles n’étaient pas dépeintes sous des traits caricaturaux, pouvaient revêtir un caractère divertissant, voire exotique. Par ce contact avec l’autre, le séjour aux eaux pouvait, comme nous l’avons déjà fait remarquer, également avoir une vocation didactique. Ces descriptions aujourd’hui qualifiées d’ethnologiques avaient pour but d’informer des forces et des faiblesses des peuples. À l’image des topographies médicales, le XVIIIe siècle devint le théâtre des études sur les populations et leur environnement, nommées topographies médicales. Par exemple, l’auteur du nouveau tableau de Spa se livra à une analyse sur les différences entre les Français et les Anglais présents à Spa en 1785. Son propos n’était pas de

[…] juger ici les deux nations, encore moins dire que l’Anglais vaille mieux que le Français : celui-ci cache souvent un air évaporé un mérite réel, des qualités estimables; mais dans un lieu où l’on juge sur l’apparence encore plus que dans le reste de l’Europ les Anglais l’ont emporté par un dehors réservé, un ton décent & peut-être par un peu plus de bonne foi dans leur engagemens237.

Les Anglais y étaient reconnus par leur simplicité d’habillement et pour leur sagesse dans leur investissement au jeu. Ils dépensaient beaucoup pour leur table et leur logement, surtout pour leurs vins. Aucun ne fréquentait les tables d’hôte, ou du moins l’exception était rare. Ils étaient presque toujours entre eux. Ils obtenaient plus d’égards et de considération et leur crédit était généralement mieux établi, alors que les Français avaient la réputation de se ruiner au jeu et en fantaisies vestimentaires. En voyageant, ils ne quittaient pas leurs habitudes dites « ridicules », portant avec eux l’empreinte de la frivolité. Les Français avaient également la réputation de se calomnier entres-eux, alors que les Anglais avaient la vertu de se soutenir les uns les autres. Selon l’auteur, les Français ne jouissaient pas d’une très bonne réputation à Spa et dans d’autres pays étrangers238.

Au XVIIIe siècle, la ville de Bath eut la particularité d’être le miroir de la mode. « L’appartenance sociale des visiteurs conféra une particularité à la ville. Bath fut alors à la fois un lieu où l’on suivait la mode et un lieu où elle se faisait successivement miroir et temple239 ». La mode et les vêtements y représentaient d’abord l’appartenance à une classe         

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Auteur inconnu, Nouveau tableau de Spa: manuel indispensable à ceux qui fréquentent ce lieu funeste & à

tout homme qui veut connoître les moeurs de ce siècle, s.n., 1785, p. 70.

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Analyse sur les différences ethniques entre Français et Anglais tirée du Nouveau tableau de Spa: manuel

indispensable à ceux qui fréquentent ce lieu funeste & à tout homme qui veut connoître les moeurs de ce siècle,

s.n., 1785, p. 70. 239

sociale. Les vêtements féminins avait une fonction supplémentaire étant lié au divertissement et on assistât dans les années 1760, à la naissance de l’extravagance vestimentaire qui joua un rôle dans la ritualisation des divertissements orchestrés par Nash. Il encouragea l’uniformité et non le laisser-aller vestimentaire qui était si courant dans d’autres stations. Ainsi, les habits pour prendre les eaux furent réglementés par un code vestimentaire. On retrouvait par contre un paradoxe dans la capitale de la mode. En effet, un certain laisser-aller était permis chez les hommes puisqu’ils se rendaient généralement en chemise à la Buvette240.

Comme l’ont démontré plusieurs auteurs, les modes et les différences culturelles faisaient partie intégrante de la vie aux eaux dans l’Europe du XVIIIe siècle. Servant parfois de divertissements, elles permettaient d’accentuer cet effet d’éloignement routinier que recherchaient probablement les adeptes de plaisirs. Elles revêtaient également un caractère didactique indéniable. Graduellement, avec l’arrivée de nouvelles préoccupations, tels le souci personnel du moi et l’évolution de la sensibilité, les baigneurs fréquenteront les villes d’eaux pour leur site pittoresque propre à la recherche du sublime.

      

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