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Chapitre 4 – La santé au Siècle des Lumières

4.1 Le corps humain du XVIII e siècle

Avant de nous intéresser à la maladie, nous nous intéresserons d’abord à la perception du corps au XVIIIe siècle. L’ensemble des sociétés d’Europe occidentale semblait avoir une perception commune du corps. Les représentations corporelles le démontrent : le corps était fait de substances corruptibles. Ces substances étaient les humeurs du corps. La théorie humorale telle que décrite par Hippocrate et Galien considérait que la santé de l'âme comme celle du corps résidait dans l'équilibre des humeurs. L’irruption des maladies était à mettre en relation avec le macrocosme composé des quatre éléments : la terre, l’eau, le feu et l’air et à leurs qualités respectives : le sec, le froid, le chaud et l’humide. À ces éléments répondaient donc les quatre humeurs liquides du corps humain : « le sang sécrété par le cœur est chaud et humide, la pituite ou phlegme sécrétée par le cerveau est froide et humide, la bile sécrétée par le foie est chaude et sèche, l’atrabile ou mélancolie sécrétée par la rate est froide et sèche91 ».       

90

Samuel Auguste André TISSOT, Collection des ouvrages de médecine de M. Tissot, Paris, P. Fr. Didot le Jeune, 1771, volume 5, p. 1.

91

François LEBRUN, Se soigner autrefois: médecins, saints et sorciers aux XVIIe et XVIIIe siècles (2e édition, 1ière en 1983), Paris, Éd. du Seuil, 1995, p. 18.

Une personne en bonne santé avait un équilibre humoral normal. La maladie survenait quand les humeurs devenaient « peccantes », c’est-à-dire lorsqu’elles s’accumulaient ou qu’elles s’asséchaient.

Dès le Moyen Âge, l’air devint un élément important pour la préservation du corps. En effet, l’air corrompu portait les poussières et les nuages venimeux (miasmes). Le corps poreux était ainsi ouvert au mal, gagné et pénétré par d’innombrables passages et ouvertures, susceptibles de corrompre les humeurs. Puisque l’eau chaude avait la propriété d’ouvrir les pores et de les laisser béants exposés à l’air, le recours aux bains et ce qui nous intéresse particulièrement, aux thermes, fut rapidement accompagnées de diverses mesures préventives. Les différentes stratégies pour préserver la santé furent donc influencées par cette image du corps jusqu’au XIXe siècle. Cependant, de nouvelles découvertes scientifiques viendront peu à peu modifier cette image du corps dès la fin du XVIIIe siècle.

Comme le démontre Alain Corbin avec le Désir de rivage, dans la France et l’Angleterre du XVIIIe siècle, se développait une nouvelle inquiétude en relation avec l’ascension de l’âme sensible promue par les avancements de la science et plus particulièrement de la médecine. Le diaphragme devint le régulateur de la sensibilité. Parallèlement s’accentua l’attention portée aux nerfs. L’âme était sujette à toute sorte de dérèglements qui se manifestaient par des maux spécifiques telles les vapeurs (au XVIIIe siècle dans son ensemble, les fumées qui s’élèvent de l’estomac ou du bas-ventre vers le cerveau proviennent de digestions incomplètes, de nourritures excessives) et l’hystérie. La lente progression de l’inoculation donna également une nouvelle vision du corps, supposant une force particulière des organes, une résistance et une défense naturelle du corps non évoquée jusque-là. Tout aussi importante fut l’apparition du courant électrique qui devint un modèle de puissance corporel, démontrant que les humeurs ne sauraient tout expliquer. L’expérimentation avec l’électricité confirma une nouvelle représentation du corps dorénavant composé de fibres censées communiquer le courant. La fibre, visible par les premiers microscopes, devint le premier fragment dont se composaient les parties du corps. Comme le fait remarquer Georges Vigarello, « les planches anatomiques de l’Encyclopédie de Diderot sont elles-mêmes fibrillaires92 ». Après 1750, les nerfs donnèrent aux maladies la tonalité des malaises quotidiens et toutes les maladies n’étaient ni plus ni moins que nerveuses.

      

92

Georges VIGARELLO, Le sain et le malsain, Santé et mieux-être depuis le Moyen Âge. Paris, Éditions du Seuil, Collection L’Univers historique, 1993, p. 153.

Ainsi, après 1750, l’état de la fibre et la sensibilité réorientèrent les actions préventives et une nouvelle vision du corps au même moment où s’opérait la révolution des regards sur le paysage. « Les thèmes de la rudesse et du durcissement commandent ainsi les choix des régimes frugaux et l’importance nouvelle accordée au froid93 ». Au-delà du débat sur la fibre, c’est un débat sur la rusticité qui traversa les textes et qui eut une incidence sur les pratiques de la conservation du corps et de la santé. Il s’agissait d’une préoccupation fortement culturelle, avec le thème de la mélancolie saisissant les classes dominantes du XVIIIe siècle. Le bouleversement des Lumières s’accompagna alors d’un doute sur la robustesse et sur la présence des faiblesses physiques. Les esprits éclairés se mirent à redouter le dépérissement de l’espèce humaine. Le désir de rivage trouvait ici tout son sens. La mer froide devait calmer les anxiétés de l’élite, rétablir l’harmonie entre le corps et l’âme. C’était un remède aux méfaits urbains qui rendaient le corps mou, faible et déformé. « Les pratiques anglaises sont révélatrices, propageant de véritables modèles de comportement : le bain froid, marche le long des plages, régimes austères sont les premiers principes des curistes britanniques […]94 ». Dans le nord, les plages devinrent un véritable lieu d’affrontement pour y trouver plus de rudesse. Les plongeons dans la mer glacée devinrent le remède par excellence contre les langueurs et l’inquiétude du spleen. L’action visait les fibres, le contact du corps avec la lame de l’océan provoquant un effet renforçateur, non pas par l’exercice de la natation, mais par le saisissement de l’eau et la rencontre du froid. Scientifiques et médecins étaient à la recherche d’une force réactive du corps95.