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Il a été rapporté récemment par l’Institut de la Statistique du Québec (ISQ 2014) que les étudiants postsecondaires, plus que jamais au Québec, évoluent dans un contexte où ils manquent de temps pour faire autre chose que d’étudier ou travailler. Le rapport de l’ISQ montre en effet qu’en 2013, 53,6% des étudiants québécois à temps plein âgés entre 20-24 ans ont occupé un emploi pendant les mois d’étude ; 50,6% chez les hommes et 56,0% chez les femmes, confirmant un écart significatif entre les sexes. Il y est aussi mentionné que cette proportion présente une augmentation prononcée depuis 2000 et a doublé depuis 1981. Au sein du Canada, le Québec et le Manitoba se démarquent vivement des autres provinces avec un taux d’étudiants travailleurs passant la barre des 50%, suggérant que le financement des systèmes d’éducation provinciaux soit partiellement en cause. De plus, le nombre d’heures de travail jugé critique dans une visée de réussite académique et d’un état psychique stable, fixé à 25 heures par semaine, était dépassé au Québec en 2011 par 10% des étudiants, tandis que 15% d’entre eux consacraient plus de 15 heures par semaine au travail. Il semble donc que les contraintes hors du milieu académique constituent chez une grande part d’étudiants postsecondaires québécois un facteur de détresse psychique considérable.

Au sein du milieu universitaire, Kinman (Kinman & Wray 2013) dénonce une augmentation de la charge de travail et des injonctions de performance que vivent les étudiants et les chercheurs universitaires, menant à une difficulté à penser à autre chose qu’au travail et à un sentiment de culpabilité s’ils ne travaillent pas sept jours par semaine. Elle ajoute que

malgré une amélioration des mesures d’aide et de soutien aux étudiants, le monde académique demeure un milieu difficile où l’attitude prédominante par rapport au niveau de pression omniprésente est plus négative envers ceux qui la supportent mal qu’envers le système lui- même. Kinman et Wray (2013) rapportent dans la même veine que des problèmes de santé psychologique se manifestent fréquemment, tant chez ses représentants que chez les étudiants, et qu’ils font face à une forte stigmatisation et à de la discrimination en milieu universitaire. L’environnement académique est psychologiquement dur et il est difficile de traverser cette période en maintenant une relation plus détachée et désinvolte que les autres à son travail, au risque de se valoir une attitude négative et inflexible de la part d’autrui.

Il semble en outre que les universités sont confrontées à une hausse continue en problèmes de santé psychologique. Les taux d’anxiété, tant généralisée que spécifique, de stress, de dépression et de perfectionnisme sont en augmentation généralisée, pratiquement la moitié des universitaires montrant des symptômes de détresse psychique outrepassant le simple stress (Court & Kinman 2008). Dans un environnement où les individus entretiennent des exigences très élevées envers eux-mêmes, même l’atteinte des objectifs fixés provoque non pas un soulagement chez l’individu, mais plutôt un sentiment d’avoir réussi de justesse. Il semble en ce sens que les aspirations individuelles n’aident pas les universitaires, mais les obstruent, plutôt (Kinman & Wray 2013). Les auteurs rapportent en effet un taux de détresse psychique considérablement plus élevé que dans la population générale, donnée qui s’ajoute à un taux de suicide accru de 50% entre 2006 et 2011 chez les étudiants universitaires (Pinkney 2011). Kinman et Wray suggèrent qu’un équilibre déficient entre le travail et les autres sphères de la vie en soit un facteur clé, en plus de l’imposition d’une quantité croissante d’heures de travail nécessaires à l’atteinte de hauts rendements.

Court et Kinman suggèrent aussi que la fragilité psychique des étudiants et des chercheurs en milieu universitaire en lien avec leur besoin de performance soit due à des facteurs tels que l’ascension d’une culture d’acceptation de la pression environnante en éducation supérieure, une forte valorisation internalisée du perfectionnisme, une augmentation des charges de travail, un environnement académique peu hospitalier et une valorisation des individus par leur travail. On observe ainsi en milieu universitaire une forte valorisation du brouillage de la frontière entre les vies personnelle et académique, le statut académique y étant

souvent associé à faire ce que l’on aime. De ce fait, il devient normal que les étudiants mesurent leur valeur personnelle par rapport à leur rendement, donc à leur capacité de performer (Court & Kinman 2008, Kinman & Wray 2013).

À titre d’exemple, un étudiant canadien au PhD en sciences de la santé d’une université canadienne raconte au Guardian (2014) qu’au début de ses études doctorales, le directeur de son département a tenu un discours devant la nouvelle cohorte sur l’importance de ne pas tomber enceinte, mentionnant à l’une de ses amies, lors de son application au congé de maternité, que le PhD devrait être une période de célibat. L’étudiant ajoute que certains superviseurs échangent publiquement et fièrement des anecdotes de mariages ratés comme preuves ultimes de leur dévotion envers la recherche. Enfin, l’étudiant a confié que certains collègues potinent à propos de collègues prometteurs qui auraient accompli bien davantage s’ils n’avaient pas eu d’enfants. Ces messages plus ou moins subtils garantissent aux étudiants gradués, surtout ceux ayant fondé une famille, qu’ils ne sacrifieront jamais suffisamment pour la recherche et, par définition, seront toujours en situation d’échec (Shaw & Ward, The Guardian 2014).

C’est en concordance avec la première section de ce chapitre que nous constatons que le recours aux services de professionnels de la santé et à des substances psychotropes de toutes sortes par des étudiants universitaires, rapporté notamment par Levinson et McKinney (2013), témoigne du lien incontournable entre une culture de performance prédominante en milieu universitaire, une détresse psychique devenue monnaie courante chez les étudiants et l’espoir que de rehausser son propre potentiel cognitif par la psychopharmacologie apporte un soutien à ces derniers.

Nous avons néanmoins vu, également, que les pratiques de consommation de psychotropes stimulants, surtout hors des recommandations médicales, ont un impact certain sur la vie des étudiants et présentent une gamme de risques psychologiques et physiologiques. La prochaine section vise à exposer le rapport qu’entretiennent ces étudiants face à la notion de risque.