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Des solutions technologiques incomplètes qui mettent en tension le système de la mobilité quotidienne

LA MOBILITE QUOTIDIENNE A L’EPREUVE

CHAPITRE 1 L’USAGE DE LA VOITURE PARTICULIERE SOUS TENSION

1.2.3. Des solutions technologiques incomplètes qui mettent en tension le système de la mobilité quotidienne

Les innovations technologiques sont à ce jour la meilleure solution pour répondre aux injonctions énergétiques et environnementales, sans remettre en cause les tendances favorables à l’usage de la voiture particulière. Une analyse de ces innovations est nécessaire, afin de cerner leur degré de substituabilité, et d’envisager les conséquences sur le système de la mobilité quotidienne.

Substituabilité des alternatives technologiques : des solutions incomplètes, un déploiement problématique

Deux limites se conjuguent, qui restreignent la valeur d’alternative des progrès technologiques : les lacunes propres à chaque solution et leur déploiement dans le parc automobile, à la fois du fait de leur horizon et de leur temps de pénétration dans le parc.

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contraintes énergétiques et environnementales. Il s’agit de l’amélioration des performances des véhicules actuels, par la diminution de leurs consommations et leurs émissions. L’Institut français du pétrole estime que les économies de carburant pourraient se chiffrer à 20 % grâce à l’amélioration du rendement des moteurs, 10 à 15 % par une diminution de la masse des véhicules, 10 % en réduisant les frottements internes du moteur, et 5 à 10 % en améliorant l’injection directe pour les moteurs au diesel (Cabal et Gatignol, 2005).

La première solution en rupture est l’hybridation des moteurs, qui combine deux énergies pour assurer la propulsion d’un véhicule. Le système actuellement développé de stop & start – arrêt du moteur au ralenti – permet une réduction des consommations de 5 % (IAURIF, 2008), et des émissions de CO2 de 8 % (Cabal et Gatignol, 2005). Au mieux, les systèmes hybrides les plus développées, dits full hybrid devraient permettre une réduction des émissions de CO2 de 45 %28. Dans la mesure où l’hybridation n’empêche ni l’utilisation de carburant traditionnel ni l’émission de gaz à effet de serre, elle apparaît principalement comme une solution de transition, mais qui ne résout aucun des défis posés à la voiture particulière sur le long terme (Bonnaure et Lamblin, 2005).

La solution suivante est la voiture électrique. Si celle-ci commence à être développée29, et constitue donc la première alternative complète au moteur à combustion interne à se rapprocher d’un stade de production industrielle, elle n’en reste pas moins marquée par plusieurs limites qui rendent impossible une substitution parfaite. La première limite concerne l’origine de l’électricité : en France, le recours au nucléaire pour produire cette électricité conduirait à une utilisation plus intensive des centrales nucléaires, et donc de l’uranium, qui est, comme le pétrole, une ressource limitée (IAURIF, 2008), outre le sujet de sécurité30. Les principales limites ont trait à la batterie, du fait de son autonomie limitée et de la nécessité de rechargement (Wingert et Laherrère, 2005). La voiture électrique, une fois réglée la question de son coût – et donc de sa pénétration sociale – est principalement conçue comme un petit véhicule urbain, et ce dès le milieu des années 1990 (ADEME, 1995 ; Dupuy, 1995). Autrement dit, en cas de pénétration de masse dans l’équipement automobile, elle ne règlerait qu’une partie des pratiques de mobilité des individus, même dans le cadre de la mobilité quotidienne. Certains travaux s’interrogent enfin sur sa pertinence économique. Le coût total sur l’ensemble de son cycle de vie apparaît en effet bien plus élevé que celui d’une voiture à moteur traditionnel. Les auteurs en viennent à remettre en

28 Le système full hybrid consiste en la combinaison des différents types possibles d’hybridation : stop & start,

stop & go(freinage récupératif) et mild hybrid (assistance à l’accélération).

29 En France, Renault commercialise depuis 2012 trois gammes de véhicules électriques, tandis que le groupe Bolloré a déployé 3 000 exemplaires de sa BlueCar à Paris et dans de nombreuses communes de proche couronne dans le cadre du projet Autolib’ de voitures en libre service.

30 De plus, depuis l’accident de Fukushima en 2012, la place du nucléaire dans le mix énergétique fait l’objet de réflexions et d’interrogations.

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question la pertinence d’un tel surcoût alors que la réduction des émissions de gaz à effet de serre pourrait être réalisée plus efficacement (Prud’homme et Koning, 2012).

Une autre alternative possible au moteur à explosion est constituée par le moteur à hydrogène et la pile à combustible, traités ici conjointement. Tous deux sont reconnus comme des solutions au potentiel très élevé, mais à un horizon très lointain dans la mesure où ni l’état actuel des technologies ni leur coût économique ne permettent d’envisager une diffusion large, ne serait-ce qu’à moyen terme (Cabal et Gatignol, 2005). Bien qu’il existe un lobby issu des constructeurs automobiles promouvant l’hydrogène (Beuzit, 2007), ces solutions, en l’état actuel de leurs développements, ne sont pas à même de répondre à la question de la substitution au moteur à explosion et de la transition vers une mobilité automobile plus propre.

Enfin, il existe une dernière solution reposant sur un changement de carburant utilisé par le moteur à explosion. Les biocarburants de première génération mis à part, car ils entrent en concurrence avec l’agriculture en termes d’usage des sols agricoles, les biocarburants de deuxième génération présentent un meilleur rendement énergétique et un impact environnemental plus faible, et semblent faire consensus en tant qu’énergie de complément aux carburants classiques. Les auteurs estiment en effet qu’ils pourraient à terme s’y substituer, à hauteur de 30 à 35 % (Bonnaure et Lamblin, 2005 ; Cabal et Gatignol, 2005 ; Wingert et Laherrère, 2005), voire aux deux-tiers en cas d’évolution forte des pratiques de mobilité (IAURIF, 2008). Néanmoins, ce n’est qu’une substitution partielle que permettent les biocarburants, qui n’apparaissent pas, eux non plus, comme une solution exhaustive de remplacement au moteur actuel à combustion interne.

Il n’existe pas d’alternative globale à la voiture particulière pour assurer le maintien de son fonctionnement actuel : l’hybride n’est qu’une solution de transition au coût encore élevé, le véhicule électrique ne devrait pas pouvoir remplacer tous les usages, les biocarburants sont une solution complémentaire, tandis que le moteur à hydrogène ou la pile à combustible apparaissent comme des technologies de long terme.

Certains auteurs – écologistes – considèrent qu’il est trop tard pour songer à une substitution, dans la mesure où l’émergence d’une source d’énergie aussi peu chère et aussi commode que le pétrole nécessiterait des investissements élevés et des changements économiques et sociaux rapides (Cochet, 2005). Il reste nécessaire de souligner les difficultés temporelles que pose le déploiement de ces substitutions. Les alternatives technologiques sont nombreuses, mais les incertitudes sur leur développement à moyen et long termes ne permettent pas d’identifier celles qui se déploieront à grande échelle (Philibert, 2005). Les controverses dont elles font l’objet ne permettent pas de clarifier un débat que certains auteurs appellent de leurs vœux, afin d’accélérer

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et de prioriser le développement de ces technologies (Offner, 2009). Enfin, il ne faut pas négliger le temps de diffusion d’une innovation dans le parc routier. Sachant que le renouvellement total du parc s’effectue en une quinzaine d’années, les véhicules prévus d’être commercialisés dans les cinq ans à venir n’auront un impact important qu’à l’horizon de vingt ans (Raynard et Suet, 2010). Ainsi, même le décollage des véhicules électriques ne permettrait pas de faire face à une éventuelle crise de la mobilité quotidienne à court terme.

Effets sur la mobilité quotidienne : un double décalage problématique

Avant de poursuivre, la figure 3 résume l’avancée actuelle de la construction concernant la prospective d’usage de la voiture particulière, qui se construit en trois étapes.

Figure 3 - Les décalages prospectifs d’usage de la voiture particulière

Réalisation : V. Gagnière, 2014

Les éléments prospectifs présentés conduisent à un décalage potentiellement problématique pour l’usage de la voiture particulière, et plus généralement pour la mobilité quotidienne. D’un côté, la prospective d’usage de ce mode de transport confirme à l’avenir son caractère indispensable, pour des raisons tant économiques que territoriales et individuelles. Même dans les scénarios les plus volontaristes, la voiture assure encore 40 % de la mobilité quotidienne. De l’autre côté, les injonctions énergétiques et environnementales incitent à une modération d’usage de la voiture particulière dans son fonctionnement actuel, afin de répondre au double enjeu de la raréfaction des ressources en pétrole, et de la lutte contre le réchauffement climatique. C’est le

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premier décalage. Toutefois, il apparaît également que les alternatives à la voiture particulière actuelle sont imparfaites, pour des raisons tant d’horizon de déploiement des technologies, que de coût et de substituabilité. C’est là que réside le second décalage : les solutions technologiques prévisibles, si elles répondent d’un point de vue théorique aux injonctions énergétiques et environnementales, ne permettent pas de répondre à une prospective d’usage où la voiture particulière reste le mode de transport principal de la mobilité quotidienne, quels que soient les scénarios étudiés. Il existe donc bien un risque pour la mobilité quotidienne telle qu’elle est pratiquée actuellement.

Mais la mobilité quotidienne fonctionne en système. Si jusqu’ici le propos s’est centré sur la voiture particulière, il ne faut pas oublier que l’ensemble des déplacements réalisés chaque jour par les individus dépend également des interactions entre un échelon individuel, fait de choix et de contraintes, un échelon socio-économique global, et un échelon intermédiaire, qui fait de la mobilité quotidienne la réalisation sur un territoire de modes de vie et de programmes d’activités (Kaufmann 2000 ; Massot et Orfeuil 2005). Ces déterminants ne doivent pas être négligés : ils constituent les variables-clés du système de la mobilité quotidienne, dont l’analyse en termes de continuités et de ruptures doit permettre de faire émerger des tendances à venir dans l’usage de la voiture particulière. Les décalages prospectifs qui viennent d’être mis à jour se trouvent-ils renforcés par l’étude prospective de déterminants de la mobilité ? La réponse à cette interrogation fait l’objet des deux chapitres suivants. Auparavant, il est nécessaire d’analyser plus en détail le cas francilien.

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