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Conclusion du Chapitre 1

CHAPITRE 2 EVOLUTION DES DETERMINANTS TERRITORIAUX

2.1. Cadrage théorique et tendances récentes

2.1.1. L’exode urbain, cadre conceptuel de l’évolution de la population

Précisions terminologiques sur l’exode urbain

La notion d’exode urbain est peu usitée. Son emploi nécessite d’être explicité, notamment vis-à-vis des autres termes existants. Son usage se trouve justifié par l’objectif de l’analyse. Il s’agit de comprendre les ressorts des dynamiques de population à l’œuvre en Île-de-France sous un angle théorique afin d’en déterminer les principaux facteurs, et leurs évolutions en termes de continuités et de rupture.

La notion d’exode urbain est proposée par Pierre Merlin comme la tendance démographique spatiale successive et contraire à l’exode rural (Merlin, 2009). L’exode urbain se définit comme le « processus de départ de citadins vers des communes rurales, en général à proximité

(périurbanisation) mais souvent en discontinuité (rurbanisation) des zones urbaines, sans que ce départ s’accompagne d’un changement de style de vie ni, le plus souvent, d’un changement d’activité, voire d’emploi » (Merlin, 2009, p. 12). Du point de vue spatial, ce processus est marqué par un mouvement centrifuge, après le long mouvement centripète d’exode rural de près de deux siècles. Du point de vue fonctionnel, le fonctionnement des agglomérations se complexifie. Les localisations antérieures, et notamment le centre, restent intégrées à des pratiques spatiales en recomposition, sous la forme d’un « archipel urbain » (Beaucire et al., 1997b), qui consacrent l’éclatement de la forme urbaine dans les pratiques quotidiennes des individus.

L’intérêt de l’exode urbain est double pour l’analyse au regard des autres termes. Il est plus spécifique que l’étalement urbain, en renvoyant précisément aux dynamiques de population, sans autre référence aux activités que comme causes ou conséquences de cet étalement. Il permet également d’englober la périurbanisation et la rurbanisation, phénomènes qui se distinguent par les territoires de destination des individus, en continuité ou en discontinuité des zones urbaines, mais qui relèvent du même processus d’étalement de la population. Le terme d’exode urbain

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constitue donc le cadre d’analyse adapté à l’interrogation théorique sur les dynamiques territoriales.

Les facteurs de l’exode urbain

Une revue de la littérature permet de mettre à jour un ensemble de trois facteurs interdépendants à l’origine du processus d’exode urbain, en plus du rôle central joué par la mobilité facilitée. Ces facteurs sont liés aux individus, au fonctionnement urbain et au contexte macro-économique, et aux choix de la puissance publique.

Les facteurs individuels renvoient tant à des motifs économiques que psycho-culturels. La périurbanisation est en partie permise par l’évolution des modes de vie des individus et des ménages : la hausse du niveau de vie, trouvant son origine dans l’expansion économique issue des Trente Glorieuses, permet une hausse du pouvoir d’achat qui rend possible à la fois l’achat et l’entretien d’une voiture particulière, ainsi que l’endettement pour l’achat, l’équipement et l’entretien d’une maison (Dézert et al., 1991).

En termes psycho-culturels, ces mêmes auteurs mettent en avant une attirance pour la maison individuelle et pour la proximité au milieu naturel. Le choix de la maison individuelle renvoie aux systèmes de valeurs des individus. Les années 1970 sont celles d’un recentrement sur la sphère domestique au détriment de la sphère publique (Dubois-Taine et Chalas, 1997). Ce mouvement correspond à la fois à l’individualisation de la société, et à la fin de l’organisation des rythmes de vie autour du travail (Merlin, 2009). Cette évolution du système de valeurs rejoint un attrait déjà ancien pour la maison individuelle : dès les premières enquêtes de l’Institut national d’études démographiques sur le sujet, la maison individuelle est privilégiée par la majorité de la population. Cette tendance se trouve confortée par deux évolutions récentes. La première renvoie à l’insatisfaction des formes urbaines et/ou des logements construits depuis la fin du XIXe siècle : aux conditions de vie difficiles dans les logements construits dans le cadre du développement industriel puis dans la banlieue pavillonnaire de l’entre-deux guerres ont succédé les grands ensembles des années 1960. Si la qualité des logements est meilleure, leur qualité urbanistique laisse à désirer (Merlin, 2009). Le développement d’une publicité en faveur de la maison individuelle utilise les aspirations d’une population aux origines rurales encore proches, et vante l’imaginaire d’outre-Atlantique (Larceneux et Boiteux-Orain, 2006). Le rural et la proximité de la nature constituent le second facteur psycho-culturel. Cet attrait est lié à la montée en puissance des valeurs écologiques à partir des années 1970 (Merlin, 2009). La nature est vue comme dénuée de pollution et de bruit, renvoyant à une vision factice et organisée (Dubois-Taine et Chalas, 1997). Enfin, si ces facteurs jouent un rôle non négligeable, il faut rappeler, comme cela a été fait

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au cours du premier chapitre, que ce tropisme ne correspond au système de valeurs que d’une partie de la population de l’exode urbain, dont une part non négligeable se trouve contrainte à choisir ces localisations pour des raisons de coût, tant monétaire que temporel43.

L’exode urbain est en effet également issu du mode de fonctionnement macro-économique de la ville. Le développement de la voiture particulière permet une abondance foncière à l’origine d’un étalement qui constitue une transition de longue durée dans le mode de production de la ville, où le foncier tient une place essentielle (Wiel, 1999). La rareté du terrain en milieu urbain crée une rente de situation, d’autant plus élevée que le terrain est proche du centre. En parallèle, la meilleure accessibilité du centre entraîne une compétition dans laquelle les activités économiques ont un plus fort consentement à payer, ce qui conduit à un étalement d’autant plus fort de la population que les prix baissent avec l’éloignement du centre (Guérois et Pumain, 2002). Enfin, le prix d’un terrain n’est pas indépendant de sa surface, si bien que les choix de localisation périphérique ou rurale sont une fuite en avant pour certaines catégories de population. Cette situation, appliquée aux différents niveaux de revenus et en lien avec la localisation des activités, conduit à un fractionnement social de l’exode urbain (Orfeuil, 2000).

Enfin, les politiques publiques ont joué un rôle central dans le développement de ce phénomène. Deux types d’acteurs sont particulièrement impliqués.

L’État a nettement favorisé la périurbanisation, consciemment ou non, en agissant sur deux leviers : les politiques de transport et les politiques de logement (Pumain, 2005). Les politiques de développement d’infrastructures ont été favorables à l’usage de l’automobile, avec le développement d’un réseau routier et autoroutier à la fois radial et de rocade44. Les politiques de logement renvoient à l’industrialisation de la production de pavillons individuels en lien avec les promoteurs, lotisseurs et constructeurs (Berger, 2004). Mais c’est surtout l’évolution des aides au logement qui joue un rôle décisif (Merlin, 2009). Alors que la politique de développement des grands ensembles prend fin en 1973, la loi de 1977 sur le financement du logement est un levier pour l’exode urbain45. Le passage de l’aide à la pierre à l’aide à la personne via l’aide personnalisée au logement (APL) a pour conséquence de solvabiliser les ménages aux revenus moyens ou modestes pour l’achat d’un logement. En parallèle, les prix plafonds imposés pour bénéficier d’un prêt à l’accession à la propriété (PAP) ne sont compatibles qu’avec des prix de terrain faibles, donc en limite ou hors de l’agglomération. Les aides au logement ne jouent donc

43Cf. chapitre 1, p. 29. 44 Cf. chapitre 5, p. 190 et sq.

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pas seules en faveur de l’exode urbain, mais en conjonction avec le marché foncier.

À l’échelon des collectivités locales, les lois de décentralisation de 1982 favorisent un développement spatial fragmenté en éclatant les prérogatives d’urbanisme et la délivrance des permis de construire aux 36 682 communes qui composent le territoire national46. Comme l’indique Patrick Lusson : « Une des raisons de l’étalement urbain dans notre pays est

certainement à relier à l’éclatement communal, qui fait que l’on n’a pas de vision d’agglomération du développement urbain, mais des visions communales concurrentielles la plupart du temps » (Lusson, 1997, p. 46).

La conjonction de ces facteurs, associée au passage à une mobilité facilitée par l’usage massif de la voiture particulière, a permis le développement de la périurbanisation. Ensemble ils constituent la base de l’analyse des tendances récentes de la localisation de la population, en termes de continuités et de ruptures.

Analyse des effets spatiaux : tendances récentes de l’exode urbain en Île-de-France

Les tendances spatiales du logement étant en partie dépendantes de l’évolution démographique, celle-ci est analysée avant de se focaliser sur la question des localisations résidentielles. D’un point de vue méthodologique, le terme d’exode urbain est d’un emploi récent ; les analyses mobilisées, plus anciennes, s’attachent à l’étude de la périurbanisation ou de la rurbanisation, donc à des processus plus restreints.

Les données historiques sur l’évolution de la population francilienne sont disponibles grâce aux recensements successifs de l’INSEE. L’analyse est bornée par les recensements de 1968, époque charnière dans le développement de l’Île-de-France, et de 1999. La période actuelle sera analysée par la suite, afin de voir si elle s’inscrit en rupture ou en continuité de ces tendances récentes.

De 8,4 millions d’habitants en 1962, la population francilienne s’établit à 11,0 millions en 1999. Ce gain de près de 30 % ne s’est cependant pas fait de manière continue, ni dans l’espace francilien, ni dans le temps. S’appuyant sur les périodes délimitées par les recensements successifs, Vincent Fouchier rend compte de ces distinctions à la fois temporelles et spatiales (Fouchier, 2003).

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Tableau 5 - Evolution de la population francilienne selon un découpage concentrique Période intercensitaire population (/an)Evolution de la Territoires en croissance (depuis Notre-Dame) décroissance (idem) Territoires en

1962-1968 1968-1975 1975-1982 1982-1990 1990-1999 + 133 000 + 90 000 + 30 000 + 70 000 + 30 000 15 km 10-25 km 25-35 km Idem ; villes nouvelles Idem Paris 0-10 km 0-20 km 0-20 km 0-20 km Source : Fouchier, 2003

Les évolutions des années 1970 perdurent dans le temps. Elles se trouvent renforcées au cours de la période intercensitaire suivante, les villes nouvelles polarisant la croissance. Ces dynamiques territoriales sont toujours valables entre 1990 et 1999, mais s’affaiblissent.

Ces évolutions entraînent une redistribution importante de la population francilienne, principalement au profit de la grande couronne. Ces quatre départements représentent 30 % de la population régionale en 1968, et 44 % en 1999, accueillant environ deux millions d’habitants supplémentaires en 30 ans (Berger, 2004).

Tableau 6 - Evolution de la population francilienne entre 1968 et 1999

1968 1999 Evolution Paris Petite couronne Grande couronne Total 2 590 771 3 832 544 2 825 316 9 248 631 2 125 851 4 038 567 4 786 718 10 951 136 -464 920 206 023 1 961 402 1 702 505 Source : Insee, RGP 1968 et 1999

Ces évolutions relèvent en partie du processus de périurbanisation, pour laquelle Martine Berger fournit des chiffres éloquents pour l’Île-de-France. Si les villes nouvelles ont accueilli entre 1968 et 1999 près d’un tiers de la population de grande couronne, il ne faut pas négliger les communes rurales, qui ont vu leur population croître de 85 %, pour un gain en valeurs absolues identique à la petite couronne sur la même période, soit 11,5 % de la croissance démographique régionale. C’est dans les années 1970 que la progression de la population atteint des records dans l’espace périurbain, avec un taux de croissance annuelle de 3,7 % entre 1968 et 1975. Par la suite, et principalement dans les années 1990, l’étalement urbain ralentit et se stabilise (Baccaïni et Sémécurbe, 2009). La croissance de la population en grande couronne passe de 21 000 habitants par an en moyenne entre 1982 et 1990 à 12 000 entre 1990 et 1999 (Berger, 2006a).

Jusqu’en 1999, les tendances démographiques en Île-de-France confirment donc les évolutions théoriques. La croissance de la population s’effectue majoritairement dans une zone située au-delà d’un rayon de 20 kilomètres autour du centre de l’agglomération, pour un tiers dans le cadre planifié des villes nouvelles, pour la majorité dans l’espace périurbain et rural. Le centre de l’agglomération, au contraire, connaît un déclin démographique qui ne se freine qu’à partir de

69 1990.

L’évolution des localisations résidentielles et de la production de logements est marquée par deux tendances principales : une diminution régulière du nombre de logements produits et un étalement spatial de cette production, planifiée ou spontanée.

Le nombre de logements en Île-de-France a progressé de près de 50 % entre 1968 et 2007, soit un gain de près de 1,5 million d’unités. Cette augmentation n’a pas été stable dans le temps ; au contraire, elle s’est traduite par une réduction continuelle du nombre de logements construits.

Tableau 7 - Evolution du nombre de logements construits en Île-de-France (par an)

1968-1975 1975-1982 1982-1999

Nombre de logements 60 000 40 000 30 000

Source : Desjardins, 2011

Ces évolutions ne sont pas uniformes au sein de la région. À l’échelle de l’ensemble de l’Île-de-France, la distance moyenne au centre de l’agglomération a progressé de près de 50 % en 40 ans, signe de l’étalement du logement.

Tableau 8 - Evolution de la distance moyenne de résidence au centre de l’agglomération (en km)

1962 1968 1975 1982 1990 1999

Distance 12,56 13,50 15,03 15,89 16,68 17,12

Source : Berger, 2004

Les villes nouvelles ont contribué à polariser cet étalement : sur les 1,5 million de logements construits entre 1968 et 1999, plus de 500 000 l’ont été dans les cinq villes nouvelles franciliennes, qui ont donc capté plus du tiers de la construction de logements. En parallèle, les petites communes de grande couronne ont capté une part non négligeable de l’accroissement du parc de logements. Un découpage des communes franciliennes selon leur nombre de logements en 1968 à partir des données de l’INSEE indique ainsi qu’entre 1968 et 1999, 35 % des logements nouvellement construits l’ont été dans des communes de moins de 500 logements en 1968. Si l’on y ajoute les 30 % de logements construits dans les communes comptant entre 500 et 2 000 logements en 1968, c’est 65 % du total des logements construits qui l’ont été dans des communes de moins de 2000 logements. Si certaines de ces communes se situent évidemment en ville nouvelle, cela n’enlève rien à la force de l’étalement urbain francilien au cours des trois dernières décennies du XXe siècle. Comme pour la population, la construction périurbaine de logements ralentit dans les années 1990, en lien avec la raréfaction de l’offre foncière et la moindre attractivité migratoire de la région (Berger, 2006a).

Île-de-70

France. Si les villes nouvelles ont contribué à polariser l’étalement urbain, les petites communes de grande couronne ont également capté une part importante de la croissance de la population et du parc de logements.

2.1.2. La métropolisation, cadre conceptuel de l’évolution des activités