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LA MOBILITE QUOTIDIENNE A L’EPREUVE

CHAPITRE 1 L’USAGE DE LA VOITURE PARTICULIERE SOUS TENSION

1.3. Un décalage transposable à l’Île-de-France

1.3.1. Analyse critique des sources disponibles

Les principales sources concernant la mobilité quotidienne francilienne sont les EGT. Elles sont à ce titre présentées brièvement, ainsi que leurs limites.

Les Enquêtes Globales de Transport, sources principales sur la mobilité quotidienne francilienne

Les EGT sont des enquêtes de grande ampleur sur les déplacements des ménages franciliens. Elles ont pour objet de recueillir les pratiques de mobilité de la population francilienne en interrogeant un échantillon de la population sur ses déplacements, quel que soit le mode de transport utilisé. Ces enquêtes permettent de suivre et d’interpréter les évolutions des pratiques de mobilité des Franciliens : elles sont un outil central pour l’analyse de la mobilité en Île-de-France car la source la plus complète sur le sujet. La méthodologie permet en effet de recueillir un nombre important d’informations. Elle est basée sur l’enquête d’un grand nombre de ménages : 10 500 ménages pour l’EGT de 2001, soit environ 23 000 individus, ce qui correspond à l’ordre de grandeur des enquêtes précédentes. Les ménages sont interrogés en face-à-face sur le principe du recueil des enquêtes de déplacements menées dans toutes les agglomérations françaises31. Chaque membre de six ans ou plus32 est interrogé sur les déplacements effectués la veille du jour de l’enquête. Le questionnaire porte sur trois types d’informations : les caractéristiques générales du ménage, celles des personnes interrogées, et celles des déplacements des personnes33. Pour chacun des déplacements est recueilli un nombre important de caractéristiques : motif, mode(s) de transport, origine, destination… Ce degré élevé de précision, couplé au nombre important de

31 Il s’agit des Enquêtes Ménages Déplacements dans les agglomérations de province, dont la méthode est issue du CERTU (CERTU, 2008).

32 Les enfants de moins de six ans ne sont pas interrogés car considérés comme effectuant peu de déplacements, jamais spontanés et toujours accompagnés.

33 Caractéristiques du ménage : localisation, revenu, nombre de personnes, nombre d’actifs, motorisation (nombre de véhicules, de deux-roues à/sans moteur, stationnement des véhicules, etc.). Caractéristiques des individus : âge, sexe, profession, lieu de travail, catégorie socioprofessionnelle, etc.

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ménages enquêtés, fait des EGT la source d’informations la plus fiable sur les déplacements quotidiens des Franciliens34. Les EGT sont réalisées périodiquement depuis 1976. Cinq enquêtes couvrent une période de 35 ans : 1976, 1983, 1991, 2001, et 2010 chacune étant adossée à un recensement de population35. Ce recul de près de quatre décennies permet une analyse en Île-de-France des phénomènes abordés précédemment, et notamment de la place de la voiture particulière.

Il faut noter plusieurs évolutions concernant la méthodologie de l’EGT de 2010, ayant potentiellement un effet sur les résultats. Le carroyage est affiné à 100 mètres contre 300 ou 900 mètres selon la localisation précédemment, ce qui permet des résultats plus précis sur les distances de déplacement, et par conséquent sur les vitesses. De plus l’âge des personnes interrogées est abaissé à 5 ans, et les petits déplacements font l’objet d’une relance de la part des enquêteurs. La conjonction de ces deux éléments peut avoir un effet sur les résultats de certains modes de transport, dont la marche à pied. Enfin, le nombre de ménages enquêtés est élargi à 15 000, ce gain d’environ 1/3 permettant d’augmenter la précision des analyses de mobilité (OMNIL, 2012).

Les limites des EGT

La première catégorie de limites concerne la méthodologie de l’enquête.

Certains auteurs remettent en question la taille de l’échantillon, qui n’atteint pas 1 % de la population (Merlin, 1997), tandis que d’autres s’interrogent sur la validité du principe de l’enquête sur les déplacements de la veille : certains déplacements, notamment à pied et de courte durée, peuvent être oubliés par les individus interrogés (DREIF, 2001). En outre, la limitation à un jour de semaine prive l’analyse des déplacements du week-end (Orfeuil, 2001).

Il faut également souligner le temps long entre deux enquêtes, qui ne permet pas d’appréhender l’effet d’événements conjoncturels, comme une brusque hausse des prix des carburants.

34 D’autres enquêtes existent qui couvrent également l’Île-de-France, mais de façon moins précise. Ainsi les Enquêtes Nationales de Transport ne disposent d’un suréchantillonnage sur l’Île-de-France que pour la dernière enquête datant de 2007-2008, ce qui rend impossible toute perspective comparative.

35 L’écart intercensitaire entre les recensements de 1990 et de 1999, ainsi que des évolutions importantes touchant à la mobilité durant cette décennie, telles que le desserrement de la population, l’accélération du basculement de l’emploi vers la périphérie et les modifications des comportements de mobilité, ont justifié la réalisation d’une EGT entre deux recensements, en 1997 (DREIF, 2001). Mais cette enquête a porté sur 7 000 ménages, soit un échantillon deux fois moindre, augmentant le risque d'erreur statistique. Cette EGT n’est donc pas intégrée, comme le font nombre de chercheurs.

Concernant l’EGT de 2010, elle n’est pas adossée à un recensement de l’INSEE puisque celui-ci est désormais tournant. De ce fait l’échantillon de ménages est désormais tiré du fichier des propriétés bâties de la Direction Générale des Impôts.

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D’autres limites sont liées à certaines caractéristiques du questionnaire et au traitement des données, qui ne permettent pas une étude précise des évolutions de la mobilité et de l’usage de la voiture particulière telles qu’elles ont été présentées dans les paragraphes précédents.

Les EGT rattachent chaque déplacement à un « mode principal » auquel correspond la totalité du déplacement selon une hiérarchie modale36. Cette situation tend à simplifier la réalité du partage modal au profit des modes principaux, alors même que la multimodalité est perçue comme l’un des éléments clés de la promotion du report modal de la voiture particulière vers les différentes alternatives.

De même, l’indicateur que constitue la part modale se trouve en partie faussé : d’une part il offre une image exclusivement concurrentielle des différents modes de transport alors qu’ils peuvent être complémentaires au cours d’un même déplacement, et d’autre part il a tendance à écraser les modes de rabattement ou de diffusion au profit des modes principaux, déformant la réalité de l’usage modal.

L’unité d’analyse choisie pose également question. Le seul déplacement, s’il permet de recueillir de nombreuses informations sur les pratiques de mobilité, ne constitue pas l’unité d’analyse la plus pertinente (Massot et Orfeuil, 2005). Il est nécessaire de prendre une compte une unité temporelle complète telle que le jour, voire la semaine ou le mois, afin de rendre compte des pratiques modales dans toute leur complexité. Seule la temporalité quotidienne est possible dans l’EGT. Une approche hebdomadaire aurait été intéressante du fait de la désynchronisation de plus en plus poussée des modes de vie, qui conduit à une distinction des programmes d’activités d’un jour sur l’autre. L’échelle mensuelle reste moins pertinente dans le cadre d’une analyse de la mobilité quotidienne, dans la mesure où elle introduit des éléments de rupture – week-ends, vacances – qui se caractérisent par des déplacements à plus longue distance et par l’absence de récursivité quotidienne.

Les notions d’itinéraires, de distance et de durée des déplacements sont également critiquables. Ce sont des distances euclidiennes qui sont mesurées, avec des décalages potentiellement forts avec les distances réelles de déplacement, si bien que les itinéraires ne sont pas intégrés dans leur complexité, et que les durées de déplacement peuvent s’en trouver peu précises.

36 La hiérarchie est la suivante : marche à pied, deux-roues, voiture, transport collectif. La DREIF donne l’exemple d’une personne ayant marché jusqu’à la gare puis prenant le RER pour se rendre à son travail : le mode principal est le transport en commun (DREIF, 2004).

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Malgré ces limites, les principales analyses des données issues des EGT utilisent le déplacement comme unité de base : les documents de synthèse réalisés par le STIF et l’ex DREIF présentent les principaux résultats des EGT selon différents critères tels que la durée des déplacements, leurs motifs, etc., toujours à partir des déplacements, sans s’intéresser aux boucles de déplacements ou aux individus (DREIF, 2004).

Certaines approches tentent de pallier ces limites : une approche par les distances parcourues est un reflet plus fidèle de l’évolution du lien entre mobilité et territoire grâce à l’augmentation des vitesses, et rend à ce titre meilleur compte de la place de la voiture particulière et de la grande couronne (Courel, 2008). Il est également possible de ne pas prendre le déplacement isolément, mais de l’intégrer à l’ensemble des déplacements réalisés quotidiennement. Il est alors possible de prendre en compte les chaînes de déplacement, c’est-à-dire la somme d’un déplacement principal entre une origine et une destination et des déplacements intermédiaires37. Le chaînage replace le déplacement seul au sein d’une logique plus vaste, expliquant le choix modal par une contrainte d’activités et reliant les déplacements aux programmes d’activités des individus (Prétari et al., 2010). Une autre possibilité consiste à ne plus travailler à partir des chaînes mais des boucles de déplacement, suites de deux déplacements ou plus partant du domicile et y retournant. Une boucle peut donc inclure une ou plusieurs chaînes de déplacements. L’analyse de la mobilité est plus complète, et la correspondance avec les programmes d’activités plus fidèle car cette approche offre une vision intégrée des pratiques modales, même si elle ne résout pas le souci de l’analyse en mode principal (Massot et al., 2002). Enfin, des travaux proposent une évolution méthodologique intégrant GPS et SIG afin de d’apporter des précisions sur les itinéraires et les déplacements très courts, de préciser les distances et les durées de déplacement, et d’aborder la multimodalité dans sa complexité en suivant les individus sur sept jours, ce qui permettrait de répondre à la majorité des limites évoquées (Nguyen-Luong, 2012).

1.3.2. La place de la voiture particulière dans la mobilité quotidienne en