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La mobilité quotidienne : une approche systémique des dynamiques économiques et résidentielles

Conclusion du Chapitre 1

CHAPITRE 2 EVOLUTION DES DETERMINANTS TERRITORIAUX

2.1. Cadrage théorique et tendances récentes

2.1.3. La mobilité quotidienne : une approche systémique des dynamiques économiques et résidentielles

Dans les faits, les dynamiques économiques et résidentielles ne sont pas indépendantes l’une de l’autre. Leurs interactions se font ressentir de nombreuses manières. En termes économiques, un pan de la recherche s’attache à mettre à jour les flux redistributifs qui s’opèrent entre lieux de production et de consommation de richesses, sous la notion d’économie résidentielle (Davezies, 2008). En correspondance avec nos travaux, des recherches se sont portées sur les flux physiques de personnes en lien avec l’évolution de la localisation des activités économiques et de l’habitat. Ils s’organisent selon trois directions : certains font de la mobilité quotidienne une conséquence de l’évolution de la localisation de l’habitat ; d’autres la lient à l’évolution de la localisation des emplois, mais en tant qu’outil pour caractériser des évolutions spatiales ; d’autres enfin l’abordent d’une façon systémique, interrogeant les effets de ces évolutions sur les flux de déplacements et l’usage des différents modes de transport.

La mobilité quotidienne comme résultante des stratégies résidentielles des ménages

Les stratégies résidentielles relèvent à la fois de choix entre les caractéristiques des biens immobiliers, et de contraintes limitant les marges d’action et de décision (Authier et al., 2010). Ces deux éléments ont une influence sur la mobilité quotidienne.

Le principal motif dans le choix d’un logement relève des caractéristiques de ce logement, qu’il s’agisse de ses caractéristiques propres ou de celles de son environnement, d’après les Enquêtes Ménages Logements successives. L’élément déclencheur est avant tout un événement dans le cycle de vie du ménage, touchant à la structure familiale et nécessitant un meilleur ajustement entre ce ménage et le logement, qu’il s’agisse de l’arrivée d’enfants ou de la diminution du nombre d’actifs (Orfeuil, 2000). Dans cette perspective, la mobilité résidentielle apparaît comme une stratégie. Elle relève de choix résultant d’arbitrages, dans lesquels interviennent non seulement ces motifs ayant trait à l’adéquation des caractéristiques du logement à celui du ménage, mais également les moyens financiers de ce ménage, et l’image qu’il a ou qu’il veut donner de sa position sociale (Berger, 2004). Cette conjonction de facteurs tend à promouvoir

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le choix d’un statut d’occupation et/ou de type de logement spécifique : la propriété et/ou la maison individuelle.

En parallèle, des contraintes économiques fortes pèsent sur les localisations résidentielles. Le choix de localisation dans l’espace urbain est basé sur un arbitrage entre la surface et la proximité au centre. L’espace se raréfie avec la proximité au centre, si bien que la taille du ménage et son revenu sont des caractéristiques centrales (Cornuel, 2010). De ce fait, pour des raisons ayant trait au marché foncier et immobilier, l’accession à la propriété et/ou à la maison individuelle est plus facilement réalisable sur les franges des agglomérations et dans les espaces périurbains (Berger, 2004).

La conjonction de ces deux facteurs conduit de nombreux travaux à faire le lien entre étalement urbain et développement de la maison individuelle et/ou de la propriété du logement. Le lien avec le choix d’un statut d’occupation et d’un type de logement se trouve confirmé empiriquement : depuis le début des années 1980, le taux de propriété d’un pavillon pour les migrants intra-régionaux en Île-de-France double systématiquement après déménagement (Berger, 2006b). La tendance à l’étalement des localisations résidentielles est donc directement issue de l’association entre une volonté partagée par la majorité des ménages d’accéder à la propriété et/ou à un logement individuel, et des contraintes d’ordre économique relatives au marché foncier et immobilier. Ces choix résidentiels ont non seulement des effets sur les localisations résidentielles, mais également sur la mobilité quotidienne.

La mobilité quotidienne apparaît comme une des conséquences des choix résidentiels. L’allongement des distances domicile-travail est due pour une large part à l’évolution des souhaits des ménages en matière de logement qui, en s’installant aux franges de l’agglomération ou dans le périurbain, s’éloignent des pôles d’emplois. En parallèle, le mouvement des emplois vers la périphérie, s’il est réel, n’est pas suffisant pour compenser cet effet, d’où une hausse des distances parcourues entre domicile et lieu de travail.

Tableau 9 - Evolution de la distance moyenne des résidences et des emplois au centre de Paris, et de la distance moyenne domicile-travail (en kilomètres)

Résidences Emplois Navettes

1975

1999 13,5 15,7 11,3 12,7 7,4 10,0

Source : Berger, 2004

Cette situation se vérifie également par la comparaison entre les actifs stables et les actifs migrants récemment installés dans une commune. Les actifs qui n’ont pas changé de commune de résidence ont en moyenne des migrations domicile-travail plus courtes que les migrants qui viennent de déménager (Beaucire et al., 1997 ; Berger, 2006b). La seule conséquence modale

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évoquée dans ce type d’approche concerne la distance aux gares des réseaux ferrés : si, en 1999, moins d’un Francilien sur cinq réside à plus de deux kilomètres d’une station de métro, de RER ou de train de banlieue, plus de la moitié du solde migratoire entre 1968 et 1999 a eu lieu dans les espaces à plus de deux kilomètres des points d’entrée sur les réseaux ferrés (Berger, 2004).

De fait, la localisation de l’emploi n’est pas prise en compte dans les choix résidentiels des ménages. La volatilité de l’emploi apparaît comme le principal facteur explicatif, tant par ses formes que par sa localisation (Berger, 2004). Les formes d’emploi évoluent vers une plus grande instabilité et une plus grande précarité. Dans ces conditions, les ménages ne peuvent pas envisager une mobilité résidentielle qui s’adapterait aux évolutions de la localisation de l’emploi, d’autant moins lorsqu’il s’agit de ménages biactifs. En parallèle, la volatilité spatiale de l’emploi est liée à la négociation croissante des locaux d’activités sur le marché locatif. Les entreprises développent une logique à la fois immobilière et organisationnelle où l’immobilier est un poste de dépenses comme un autre et donc sujet à économies par une localisation moins onéreuse.

Face à un lieu de travail qui perd en stabilité, la localisation résidentielle apparaît comme un point d’ancrage, et la mobilité quotidienne un corollaire nécessaire permettant aux individus de réaliser leurs programmes d’activités. Dans ce sens, ils ont bénéficié des gains de vitesse permis par l’extension et l’amélioration des différents réseaux de transport, (auto)routiers en premier lieu, mais également de transport collectif. Il est donc indispensable de souligner l’importance fondamentale jouée par ces réseaux dans la constitution d’un système organisé autour de la localisation résidentielle. Ils permettent la contraction de l’espace-temps, qui ancre doublement les ménages dans leurs choix résidentiels (Berger, 2006b). L’amélioration des réseaux neutralise l’augmentation de la distance des navettes issues du changement de localisation résidentielle ou de l’emploi. Elle joue comme une assurance face à la volatilité de l’emploi, que celle-ci s’exprime en termes de formes de travail ou de localisation.

La tendance à l’étalement des localisations résidentielles est donc directement issue de l’association entre une volonté partagée par la majorité des ménages d’accéder à la propriété et/ou à un logement individuel, et des contraintes d’ordre économique relatives au marché foncier et immobilier. Ces choix résidentiels ont non seulement des effets sur les localisations résidentielles, mais également sur la mobilité quotidienne domicile-travail.

La mobilité quotidienne comme résultante de l’évolution de la localisation des emplois

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migrations domicile-travail, et évolution de la localisation des emplois, renvoient à une approche totalement différente. La mobilité n’est plus appréhendée dans un rapport de causalité. Elle devient un outil méthodologique dans la détermination de tendances spatiales touchant à la localisation des emplois, d’où une évocation rapide. Deux types d’approches coexistent : les travaux qui s’intéressent à la constitution de bassins d’emplois, et ceux qui questionnent le polycentrisme francilien.

Dans la première approche, les migrations domicile-travail sont utilisées comme indicateur de la structuration de l’espace, et notamment comme transcription spatiale des aires de marché du travail, permettant de déterminer la réalité de bassins d’emplois, à l’échelle du Bassin parisien (Gilli, 2001). Quatre types d'espace sont déterminés : Paris, la petite couronne, les pôles économiques de grande couronne associés aux villes nouvelles, et les franges. Tous sont représentés en Île-de-France, mais ils permettent plus de caractériser le fonctionnement économique du Bassin parisien que d’interroger le lien entre la localisation des activités et les migrations domicile-travail. L’analyse porte sur la polarisation de chaque type d’espace, relevant plus d’un travail de géographie économique que d’étude des migrations domicile-travail à partir de la localisation des activités.

La seconde approche s’interroge sur la réalité du polycentrisme métropolitain, tant en termes morphologiques que fonctionnels. Elle fait pour cela appel à des méthodes statistiques de géographie quantitative où les migrations domicile-travail constituent une variable permettant de déterminer la réalité morphologique d’un polycentrisme francilien (Berroir et al., 2007). Quatre modèles de noyaux sont ainsi déterminés, mais ces travaux, encore une fois, relèvent plus d’une volonté de description et de caractérisation du fonctionnement économique de l’Île-de-France que d’une analyse des liens entre migrations domicile-travail et localisation des activités.

Approche systémique : l’évolution des migrations quotidiennes franciliennes jusqu’en 1999

Les approches précédentes interrogent les migrations quotidiennes sous l’angle de leurs liens avec la mobilité résidentielle ou avec la localisation de l’emploi. Il existe un troisième type d’approche qui utilise les mêmes données sur les migrations domicile-travail mais s’intéresse plus spécifiquement à leurs principales caractéristiques, dont l’évolution est présentée directement en lien avec celles de la population et des emplois. Deux méthodes d’analyse sont mis en avant : une approche radioconcentrique selon le découpage Paris/petite couronne/grande couronne, et les

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impacts modaux de la structure des déplacements (Navarre, 2006).

Les flux analysés à l’échelle départementale sont le reflet des évolutions de la géographie du logement et de l’emploi.

Tableau 10 - Poids des départements franciliens dans les migrations domicile-travail motorisées en 1999

Paris Seine-

et-Marne Yvelines Essonne Hauts-de-Seine

Seine-St-Denis Val-de-Marne Val-d’Oise

Département d’emploi Département de résidence 33,4% 19,4% 7,3 % 11,0 % 9,6 % 12,5 % 7,9 % 10,9 % 16,3 % 13,1 % 9,3 % 11,7 % 9,3 % 11,4 % 6,9 % 10,0 % Source : Navarre, 2006

Plus de 4 millions de migrations alternantes sont effectuées quotidiennement en 1999. Paris reste le principal pôle émetteur et attracteur. Les Hauts-de-Seine sont le deuxième département, grâce aux pôles de La Défense et de Boulogne-Billancourt, qui concentrent entre 75 et 100 000 migrations alternantes. Les autres départements ont un profil plus régulier, représentant 7 à 10 % des actifs au lieu d’emploi et 10 à 12 % au lieu de résidence, en cohérence avec le nombre d’emplois départementaux.

En ce qui concerne les évolutions des déplacements, celles en lien avec le lieu de résidence sont mieux cernées que celles liées au lieu d’emploi, si bien que nous nous concentrons sur ce dernier. Si le nombre de migrations alternantes régresse très légèrement de 1 % entre 1990 et 1999, les évolutions départementales sont contrastées et reflètent celles de l’emploi régional.

Tableau 11 - Evolution du nombre de migrations alternantes entre 1990 et 1999 par département Migration au lieu d’emploi Paris Seine-

et-Marne Yvelines Essonne Hauts-de-Seine

Seine-St-Denis Val-de-Marne Val-d’Oise

- 11 % + 16 % + 8 % + 7 % + 4 % - 2 % + 0 % + 11 %

Source : Navarre, 2006

Tandis que le nombre de migrations à destination de Paris et de la Seine-Saint-Denis diminue, la tendance est inverse dans les autres départements, mise à part une relative stabilité dans le Val-de-Marne. Le nombre de migrations dans les autres départements est en hausse, principalement en grande couronne. Ces chiffres sont la traduction fidèle des tendances économiques franciliennes des années 1990 : Paris et la petite couronne perdent des emplois à l’exception des Hauts-de-Seine qui bénéficient de la dynamique liée à La Défense ainsi qu’au développement d’Issy-les-Moulineaux et de Boulogne-Billancourt, tandis que la grande couronne est le réceptacle de la

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périphérisation des emplois, notamment dans les villes nouvelles, Marne-la-Vallée en premier lieu.

D’un point de vue modal, la voiture particulière et le transport collectif assurent 86 % des migrations alternantes régionales en 1999 à part quasiment égale : 49 % pour la voiture, 51 % pour les transports collectifs. L’usage de la voiture particulière apparaît inversement corrélé à l’accessibilité en transports collectifs au lieu d’emploi (tableau 12). Paris a un fort effet discriminant. La barre des 50 % de part modale n’est franchie que lorsque la capitale ne constitue ni l’origine, ni la destination du déplacement.

Tableau 12 - Part modale de la voiture pour les déplacements domicile-travail Liaison Paris-Paris Autre-Paris Paris-Autre Banlieue-banlieue Intra petite couronne Intragrande

couronne

Part modale 15 % 20 % 30 à 45 % 67 % 55 % 80 %

Source : Navarre, 2007

En termes d’évolutions, l’usage et la part modale de la voiture particulière se renforcent, ce qui est directement lié, entre 1990 et 1999, à la diminution du nombre d’actifs travaillant à Paris et résidant en banlieue, et à la croissance des migrations alternantes internes à la banlieue. Les évolutions de la localisation des emplois, qui ont mécaniquement un effet sur les migrations domicile-travail, ont également un impact en termes de partage modal. L’affaiblissement du centre et la périphérisation des emplois, mais également de la population, constatés au cours de la décennie étudiée, conduisent à une évolution de la géographie des flux. Ceux-ci deviennent plus difficilement captables par les transports collectifs, d’où un renforcement de l’usage et de la part modale de la voiture particulière.

En conclusion, jusqu’en 1999, les tendances théoriques sont bien à l’œuvre en Île-de-France. Le processus de périurbanisation s’observe, même si les villes nouvelles ont capté une partie de l’étalement urbain. La métropolisation conduit à un moindre desserrement des activités économiques, qui procèdent plus d’un débordement péri-central. La mobilité quotidienne domicile-travail est alors une variable d’ajustement entre un logement considéré comme stable mais dont la localisation a tendance à s’étaler, et un emploi sujet à variation mais dont la localisation est plus centralisée. Ces tendances conduisent à une évolution des migrations domicile-travail favorisant la voiture particulière, plus à même de desservir des territoires péricentraux ou périurbains.

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2.2. Les tendances territoriales de l’habitat et des activités : continuités et