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Section III  Solutions internationales envisageables 

On se  demandera à  quel point l’accueil  dans l’ordre  juridique communautaire  des  solutions  consacrées par la Convention de La Haye du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des  adultes  que  nous  avons  résumées  dans  la  Partie  II  de  l’Etude  comparative645,  l’instrument  international le plus récent et sans doute le plus élaboré en la matière, pourrait contribuer à amélio‐

rer ou renforcer la protection de l’adulte au niveau communautaire (A). On examinera par la suite  l’éventualité d’une adhésion de la Communauté Européenne à la Convention de la Haye pour  l’ensemble des Etats membres (B) et l’option d’un règlement communautaire en la matière (C). 

   

A.  Solutions apportées par la Convention de La Haye  du 13 janvier 2000 

1.  La clarté des règles proposées 

La Convention de La Haye sur la protection des adultes du 13 janvier 2000 entrera en vigueur le 1er  janvier 2009. Plus exactement, les solutions qu’elle consacre seront applicables, à partir de cette  date, dans les trois Etats membres qui l’ont jusque‐là ratifiée, et qui sont aussi les plus peuplés de  l’UE : Allemagne, Royaume‐Uni et France (c’est‐à‐dire à plus d’un tiers de la population euro‐

péenne). Si la Convention n’a pas encore pu faire ses preuves, le système qu’elle organise semble  être globalement cohérent, équilibré, clair, précis et par là‐même d’application – est‐il donné de  prévoir – relativement aisée malgré le caractère passablement élaboré des solutions qu’il fait  siennes. Il n’est pas excessif d’affirmer que ce système représente, dans son ensemble, au stade  actuel du développement de la réflexion sur le droit et de la pratique du droit, ce qu’il existe de plus  perfectionné et de plus moderne sur le plan du droit international privé – si l’on veut, de la « coopé‐

ration judiciaire en matière civile » au sens de l’art. 65 CE – en matière de protection de l’adulte. 

L’autorité des multiples experts qui ont participé à son élaboration est par ailleurs gage de pondé‐

ration. La modernité de l’approche apparaît dès le préambule : la Convention vise à éviter les « con‐

flits entre les  systèmes juridiques » (non simplement de lois), c’est‐à‐dire, en substance, les 

« conflits entre régimes de protection » ou les « conflits entre mesures de protection » que nous a‐

vons cherché à expliciter plus haut. 

 

Il importe cependant de souligner que la philosophie générale sous‐jacente au système conven‐

tionnel n’est pas au fond bien différente de celle qui se dégage des systèmes nationaux les plus  élaborés – sur beaucoup de points : le système allemand et le sytème suédois – et, en tout cas, des  tendances actuelles de la pratique actuelle des autorités nationales. A bien d’égards, au contraire, le  système de la Convention ne vise qu’à donner toute la clarté et la prévisibilité nécessaires, et,  surtout, à  assurer  l’effectivité  des  mécanismes  ou solutions  déjà  consacrés  dans  des règles  législatives nationales (encore que parfois quelques peu « timides » ou peu nettes dans leur for‐

mulation) ou déjà perçues, de manière plus ou moins consciente, par les juges comme utiles. Que  l’on pense à la hiérarchisation des compétences, au transfert de compétences, et en général à la  coordination des compétences par le biais d’une prise de contact entre les autorités du for et les  autorités étrangères. Or ces solutions et mécanismes nationaux existent déjà, on l’a vu, soit législa‐

tivement, soit de facto, ne serait‐ce qu’à l’état embryonnaire, dans certains Etats membres ; mais ils  risquent, à l’heure actuelle, de ne pas pouvoir s’épanouir, de ne pas être effectifs dès lors qu’ils ne  s’inscrivent pas dans un cadre institutionnel et multilatéral qui les entérine et qui fixe des canaux de        

645   V. infra. 

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coopération et de transmission d’informations efficients et fiables. Quoi qu’il en soit, cette affinité de  philosophie autorise la conviction que l’acclimatation des solutions conventionnelles dans les systè‐

mes nationaux puisse se faire, dans la plupart des cas, sans heurts majeurs (encore que les Etats qui  la ratifient s’engagent à désigner une Autorité centrale chargée de satisfaire aux obligations qui lui  sont imposées). C’est en tout cas ce que laisse entrevoir l’incorporation des solutions convention‐

nelles dans le droit international privé anglais (national) et aussi, évidemment, la ratification de la  Convention, par le Royaume Uni, par la France et l’Allemagne. 

   

2.  L’équilibre entre flexibilité et prévisibilité 

Les solutions conventionnelles sont, avons‐nous dit, en général clairement établies par des règles  précises. Or, cela représente en soi une avancée par rapport à un certain nombre de règles  nationales finalement peu lisibles. Mais les règles conventionnelles font aussi une large place à la  flexibilité. Or, la flexibilité du droit est, en la matière, particulièrement importante au stade où il  s’agit de prendre une mesure de protection, de la modifier ou de la révoquer ; le droit interne le  démontre, en laissant une large liberté au juge à la fois dans la décision sur le point de savoir si une  mesure de protection est nécessaire ou non, dans le choix de la mesure et, surtout, dans le  modelage du contenu de celle‐ci. Une palette considérable de compétences a été retenue par la  Convention. Une certaine place est faite à la volonté de l’intéressé et à la résidence de celui qui se  charge de sa protection : deux compétences utiles qui sont, on l’a vu, globalement absentes des  systèmes nationaux analysés. Le souci est celui de permettre, s’agissant de l’identification de  l’autorité dont la compétence est la mieux justifiée, une plus grande adaptabilité aux spécificités du  cas concret, à la géographie des contacts pertinents et à leurs poids respectifs, pour mieux assurer la  prise en charge de l’« intérêt de l’adulte ». La prévisibilité du droit doit, quant à elle, surtout être  assurée après la prise de la mesure ; les nécessités du commerce juridique exigent qu’à ce moment,  tout à la fois l’intéressé, la personne en charge de sa protection, les autorités de surveillance et les  tiers puissent savoir quels sont les actes que l’adulte peut réaliser tout seul, quels sont ceux qui  nécessitent une assistance ou une autorisation, et de quelle personne ou de quel organisme. De là  s’opère une hiérarchisation stricte des nombreuses compétences retenues, et, au besoin, des me‐

sures que celles‐ci peuvent prendre, dans l’espace et dans le temps, compte tenu de la nature  dynamique, et potentiellement évolutive, du régime de protection. 

   

3.  La recherche d’une coordination des compétences 

L’ordonnancement  des  compétences  est  certes  passablement  complexe :  sont  prévues  une  compétence  primaire  (celle  de  la  résidence  habituelle),  des  compétences  subsidiaires,  des  compétences déléguées, des compétences à l’égard de mesures générales de protection et des  compétences à l’égard des mesures ou actes spécifiques, des compétence d’urgence et des compé‐

tences ordinaires, etc.   On renverra pour les détails à la synthèse que nous en avons fait. C’est le  souci sous‐jacent à cet ensemble ordonné de compétences qu’il importe ici de souligner : celui de  faire en sorte qu’il n’y ait pas plusieurs autorités qui prononcent des mesures de protection appli‐

cables au même moment et aux même secteurs d’activités de l’adulte, c’est‐à‐dire d’éviter 

« l’incompatibilité » des mesures de protection, le « conflit de mesures de protection » et les ob‐

stacles, soulignés plus haut, qu’un tel conflit risque d’opposer à la fluidité et à la sécurité du com‐

merce juridique international, y compris communautaire. Il est en revanche parfois possible,  d’après la Convention, que deux autorités prennent chacune une mesure de protection à l’égard du  même secteur d’activité, mais à des moments différents, et que, notamment, dès que l’une est prise 

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par l’autorité d’un Etat, la mesure adoptée auparavant par l’autorité de l’autre Etat cesse d’avoir effi‐

cacité : c’est là l’imbrication entre la compétence primaire et une compétence subsidiaire ou entre  une compétence d’urgence et une compétence ordinaire. Il est aussi possible que deux autorités  prennent des mesures destinées à avoir efficacité simultanément, mais à l’égard de deux secteurs  d’activités ou de deux opérations différentes. Ainsi, une mesure générale de protection prise par  l’autorité de la résidence habituelle et une mesure spécifique de protection prise par l’autorité du  lieu de situation du bien peuvent coexister.  

   

4.  La modernité des règles sur la loi applicable 

La loi applicable est en principe celle de l’autorité saisie. Cette loi régit à la fois les conditions et le  contenu de la mesure. Cette solution, consensuelle lors des négociations, consacre la solution qui se  dégage de la pratique y compris dans des pays qui, formellement, s’en tiennent à une conception dif‐

férente, tels l’Allemagne et aussi la France. Ici de nouveau, l’adoption d’une telle règle représente un  progrès certain quant à la transparence et la prévisibilité du droit ; elle apporte aussi tous les  avantages en termes de simplicité et de contournement des problèmes épineux d’adaptation et de  qualification que nous avons évoqués plus haut. La flexibilité n’en est pas pour autant moins  assurée :  l’autorité  du  for  peut  « appliquer  ou  prendre  en  considération »,  certes 

« exceptionnellement », en tout cas lorsque la protection de la personne ou des biens de l’adulte le  requièrent, « la loi d’un autre Etat avec lequel elle présente un lien étroit » : formules peut‐être un  peu vagues, mais qui devraient surtout se référer à la loi du lieu de réalisation de la mesure voulant  s’appliquer impérativement.  

 

La Convention est aussi le premier instrument de droit international privé qui consacre des solutions  spécifiques dans le domaine nouveau du mandat d’inaptitude. C’est là un autre élément significatif  de modernité des règles conventionnelles. Les systèmes de droit international privé des six Etats  membres ne sont pas, sur ce point, adaptés aux innovations qu’apportent les réformes du droit  matériel. Une telle absence de direction est évidemment génératrice d’insécurité et donc de  contentieux.  L’adoption  d’une  solution  législative  claire  diminue  évidemment  ce  travers,  particulièrement si cette règle est commune. Le contenu de celle qu’adopte la Convention semble  bien raisonnable en ce qu’elle fait une place à l’autonomie de l’adulte (après tout, il s’agit là d’un  Rechtsgeschäft) sans lui permettre de contourner les interdictions qui seraient prévues par tous les  pays avec lesquels il présente des contacts significatifs (le cercle de lois éligibles est en effet limité). 

Une telle norme devrait permettre la reconnaissance de la procuration dans des Etats contractants  ne disposant pas d’institution de ce type, ce qui garantit à l’adulte l’assurance que les dispositions  seront  respectées dans d’autres  Etats contractants, par  exemple  en  cas de  changement  de  résidence (et encore que l’on ignore à l’heure actuelle dans quelle mesure l’ordre public s’y  opposerait).  

   

5.  La reconnaissance facilitée des mesures de protection 

La reconnaissance des mesures de protection prise à l’étranger, limitée par un nombre de motifs  réduit et clairement établi, permet d’éviter, là encore, le plus souvent en tout cas, un conflit de ré‐

gimes de protection. Les solutions conventionnelles représentent un progrès certain par rapport au  droit existant, notamment en Roumanie (du fait de compétences exclusives manifestement exor‐

bitantes), et aussi en République Tchèque (du fait de la réciprocité) mais peut‐être également en  France (étant donné l’incertitude de l’étendue de la suppression du contrôle de la loi appliquée). Le 

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fait que la reconnaissance soit ipso iure (point qui n’est pas toujours élucidé dans les systèmes  actuels) facilite la gestion de la protection au‐delà des frontières en la rendant plus rapide et moins  coûteuse.  

   

6.  L’instauration d’un régime de coopération 

Le système de coopération organisé par la Convention est fondamental pour assurer le fonction‐

nement de celle‐ci. A cette coopération sont consacrées de très nombreuses dispositions. C’est là le  cadre institutionnel concerté, international donc, dont nous avons constaté la carence à l’heure  actuelle et qui est essentiel afin de garantir l’effectivité des mécanismes de coordination internatio‐

nale. Particulièrement importante est la mission d’aider à trouver des solutions concertées et donc  viables pour la vie internationale, et plus spécifiquement communautaire, de l’adulte et de ceux qui  en assurent la protection. Les acteurs de cette coopération sont, en sus des autorités compétentes,  les Autorités centrales qui « doivent coopérer entre elles et promouvoir la coopération entre les  autorités compétentes de leur Etat pour réaliser les objectifs de la Convention ». Nouveau dans le  domaine de la protection des adultes, ce réseau d’« agents de liaison », ne l’est pas dans l’absolu, car  on sait qu’il existe depuis plusieurs décennies dans le domaine apparenté de la protection des en‐

fants où, dans l’ensemble, il rend des services appréciés. Si le système des Autorités centrales a  évidemment un coût – des normes sur les frais de fonctionnement sont d’ailleurs prévues – il est à  croire que ce coût (plus exactement : que la somme des coûts de fonctionnement des Autorités  centrales nationales) sera inférieur à celui qu’il permettra d’épargner au niveau global, généré par le  manque de coordination, la possibilité d’ouverture de procédures parallèles et la mise sur pied de  régimes de protection en conflit et donc au moins partiellement inefficaces.  

   

7.  Conclusions 

Les travaux entrepris depuis quinze ans au sein de la Conférence de La Haye confirment l’opportunité  de l’organisation d’un régime international de protection de l’adulte. La Convention de La Haye du 13  janvier 2000 sur la protection internationale des adultes à laquelle ces travaux ont abouti, contient  un ensemble de règles clair, cohérent, moderne et fort élaboré, où la concertation entre autorités  occupe, à juste titre, le premier plan. Il est permis de penser que l’adoption par les Etats membres  des solutions prévues par la Convention de La Haye représenterait un progrès tout à la fois pour leur  ordre juridique et pour l’ordre juridique communautaire, compte tenu, notamment, des objectifs du 

« bon fonctionnement du marché intérieur » et de la création progressive « d’un espace de liberté,  sécurité et justice ». Saluée de manière pratiquement unanime par les spécialistes du droit inter‐

national privé déjà lors de son adoption, l’entrée en vigueur de la Convention dans trois grands pays  européens (Allemagne, France et Royaume‐Uni), prévue au 1er janvier 2009, témoigne de la faveur  aussi politique dont jouissent ces solutions. Il est permis de conclure en souhaitant voir ces solutions  intégrées par le plus grand nombre possible d’Etats membres. Les articles 61 et 65 CE offrent à  l’Union européenne des bases légales suffisantes pour intervenir. Encore faut‐il savoir comment s’en  servir au mieux aujourd’hui, étant donné que la Convention de La Haye entrera bientôt en vigueur  dans trois d’entre eux et que d’autres Etats, y compris des Etats tiers, pourraient fort bien leur  emboîter le pas.