Section II Insuffisances des systèmes actuels
B. Insuffisances des régimes nationaux de droit international privé
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possible, à la phase de la nomination d’une personne responsable pour les affaires de l’intéressé localisées dans ce pays).
Il reste à voir dans quelle mesure les systèmes actuels de droit international privé parviennent à sa‐
tisfaire à ces impératifs.
B. Insuffisances des régimes nationaux de droit international privé
Comme on l’a vu plus haut636, le droit international privé en matière de protection des adultes demeure, dans les pays de l’UE comme ailleurs, de source essentiellement nationale. Chacun des pays examiné possède donc ses règles à la fois sur la compétence des autorités (1), sur la loi ap‐
plicable (2) et sur la reconnaissance des décisions (3). On rappellera seulement que le Royaume Uni s’est dotée de solutions qui reprennent, avec quelques adaptations mineures, les règles contenues à la Convention de La Haye du 13 janvier 2000.
1. Compétence des autorités
1.1. Le manque de précision des règles de compétence
Les règles sur la compétence internationale des autorités ne diffèrent pas significativement d’un pays à l’autre, encore qu’elles ne soient pas toujours formulées avec la netteté nécessaire ; la com‐
pétence du for de réalisation de la mesure en cas d’urgence et du lieu de situation des biens pour les mesures spécifiques portant sur ces biens, ne sont notamment pas toujours clairement établies. Plus fondamentalement, si l’on excepte le Royaume Uni, aucun système ne prévoit expressément le for de la résidence de la personne prête à se charger de la protection (la saisine des autorités françaises de la nationalité de cette personne en tant que demanderesse est cependant, semble‐t‐il, possible en France). La possibilité pour l’intéressé de désigner lui‐même par avance les autorités qui se charge‐
ront de sa protection, notamment dans le cadre d’un mandat d’inaptitude, n’est pas non plus explicitement ouverte. Nous estimons que l’admission expresse de ces deux compétences est utile et conforme à l’évolution de la législation interne en la matière. Certes, elle aboutit à élargir une palette de compétences déjà nourrie. Mais, d’une part, l’inconvénient du forum shopping est peu ressenti dans un domaine relevant le plus souvent de la juridiction qu’on appelle parfois « gra‐
cieuse » ou « volontaire » et, en tout cas, de type davantage constitutif que déclaratif637. D’autre part, une coordination entre toutes les autorités potentiellement compétentes, voire une hiérar‐
chisation entre elles, suffit à éviter les débordements.
1.2. L’insuffisance du régime de coordination des compétences
Certains systèmes s’efforcent de réaliser une telle coordination au niveau législatif, par des règles assez spécifiques, notamment en Suède, en Allemagne et en République Tchèque et d’autres, au niveau de l’application pratique, tel la France. Dans aucun de ces systèmes, cependant, n’existe pour l’autorité du for une obligation de s’abstenir d’exercer sa compétence au profit des autorités étran‐
gères. Il n’a qu’une simple faculté, tout au plus assortie, comme en Allemagne, de la condition ex‐
636 Voir supra, Première Partie – Résumé de l’étude comparative, sous B.
637 V. G. P. Romano, « La bilatéralité eclipsée par l’autorité – Développements récentes en matière d’état des personnes », Rev. crit., 2006, p. 456 s.
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presse que ceci soit dans « l’intérêt de l’adulte », condition qui n’est en revanche pas expressément indiquée dans d’autres systèmes. Ainsi, dans l’Exemple 1, s’agissant du citoyen roumain résidant en Allemagne, si la procédure a été engagée dans les deux pays, l’autorité allemande peut en principe s’abstenir d’exercer sa compétence afin d’éviter un conflit de statuts à X. Mais d’une part, il faut qu’elle puisse avoir la certitude que les autorités roumaines ne déclineront pas elles‐même leur com‐
pétence suivant le même principe ; un régime commun de transmission d’informations manque à ce jour ; d’autre part, le risque est que, dans un tel régime de discrétion, et en l’absence d’un cadre institutionnel et concerté de coopération, le danger d’un conflit international de mesures ou de régimes du type évoqué, tombe en dehors du champ de perception du juge national qui n’a pas précisément pour mission de prévenir ou résoudre de tels conflits internationaux.
D’autres systèmes se désintéressent d’une telle coordination, voire l’interdisent. C’est, on l’a vu dans les pays étudiés, le cas de la Roumanie. Les autorités roumaines, dans ce même Exemple 1, si elles devaient faire une application rigoureuse de règles roumaines en la matière, sont donc dans l’impos‐
sibilité de se dessaisir au profit des autorités allemandes, même si elles estiment que les autorités allemandes sont mieux à même de s’occuper de la question et que celles‐ci ne renoncent pas à leur compétence (parce que, par exemple, X a peu de contacts avec la Roumanie, encore qu’il y possède quelques biens).
Une hiérarchisation des compétences n’est clairement fixée dès le départ qu’en République Tchèque, où les autorités nationales, qu’elles soient du for ou étrangères, se voient reconnaître une primauté. Mais une hiérarchisation des compétences de plusieurs pays a peu de sens et en tout cas risque d’être peu effective si elle est établie unilatéralement par l’un d’entre eux. Ainsi, dans l’Exemple 4, les autorités tchèques de la nationalité peuvent bien s’estimer les plus haut placées dans l’échelle hiérarchique, encore faut‐il que les autorités anglaises de la résidence reconnaissent cette suprématie (ce qui n’est en principe pas le cas, car elles donnent priorité à la compétence des autorités de la résidence habituelle). La coordination peut encore se réaliser au stade du transfert de compétence. C’est un système encore assez peu développé dans les systèmes actuels, car il suppose pour bien fonctionner, ici de nouveau, un cadre institutionnel cohérent. Dans l’Exemple 3, les autorités allemandes, alors même qu’elles ont nommé à X un Betreuer Y, peuvent faire cesser la Betreuung lorsque les autorités roumaines ont placé X sous la tutelle de Y suite à l’interdiction qu’elles ont prononcée, dans la mesure où Y y consent, que ceci est dans l’intérêt de X et que les autorités roumaines gèront la mesure de protection y compris pour ce qui est des intérêts surgissant en Allemagne. Cela suppose cependant la reconnaissance par l’Allemagne de l’interdiction pro‐
noncée en Roumanie. Dans l’Exemple 5, les autorités suédoises ont le loisir de faire cesser la godmanskap de droit suédois (et donc remercier le godman Y), au profit de la curatelle prononcée en France et du curateur Z. Force est cependant de constater que, là encore, il n’existe aucun devoir à cet égard.
2. Loi applicable
2.1. La complexité inutile des règles
Quant à la loi applicable, la distinction entre loi applicable aux conditions et loi applicable aux effets ayant cours dans certains systèmes procède d’une conception dont on peut se demander – et dont la doctrine se demande en effet638 – si elle est encore actuelle. Plus généralement, et plus fondamen‐
talement, on peut se demander si la volonté d’appliquer la loi nationale de l’intéressé – qui, en cas
638 V. T. Guttenberger, cit., spéc. p. 40 s.
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de dissociation entre nationalité et résidence habituelle, est, pour le for, le plus souvent, une loi étrangère – est vraiment appropriée dans ce domaine. L’inconvénient n’est pas tant, à notre avis, la difficulté pour les autorités du for d’établir le contenu de la loi étrangère, car, en dehors des cas d’ur‐
gence, les procédures tendant à la prise d’une mesure de protection sont déjà assez longues et coû‐
teuses : si une meilleure justice suggère d’appliquer une loi étrangère, on ne voit pas bien pourquoi on devrait toujours en principe y renoncer639 (quitte à se replier, ici comme toujours, sur la loi du for en cas d’impossibilité de l’établir). Ce n’est pas tant non plus que la résidence habituelle serait toujours plus adaptée que la nationalité, ou plus conforme au principe de non‐discrimination, question délicate qu’il n’est pas nécessaire d’aborder. C’est l’opportunité même de l’application de la loi étrangère au stade de la prise d’une mesure de protection qui est discutable. S’agissant d’une mesure destinée à disposer pour l’avenir (et non d’une décision qui déclare l’existence de droits et obligations nées d’actes réalisés au passé), le besoin d’une application étrangère est, en effet, peu pressant640. Le droit applicable peut bien suivre la compétence (principe dit du Gleichlauf).
Une application de la loi du for présente par ailleurs l’avantage de faire perdre d’acuité aux questions de qualification et d’adaptation: il importe peu de savoir si, par exemple, la nécessité d’une exper‐
tise médicale établie par un conseil de spécialistes (comme l’exige le droit roumain641) ou l’exigence du consentement de l’intéressé (s’agissant d’une godmanskap de droit suédois)642, est une question qui tient à la procédure ou aux conditions de fond dès lors que c’est toujours la loi de l’autorité saisie qui tranche. Semblablement, le risque que l’on doive appliquer une loi étrangère supposant l’intervention d’un organisme inexistant dans le for (ce qui est de nature à conduire à un blocage dans l’administration du droit) ne se pose pas. Ainsi, en supposant que l’intéressé, dans l’Exemple 1, ait la nationalité française, les autorités allemandes seront dispensées de chercher l’introuvable équivalent, en droit allemand, du « conseil de famille » du droit français.
2.2. L’inadéquation du droit écrit à la pratique
Il semble que la loi du for est pratiquement très souvent appliquée et ce à la fois aux conditions, à la procédure, et aux effets des mesures. Il en résulte un décalage, notamment en Allemagne et en France, entre droit écrit et pratique du droit, décalage dont il a été dit qu’il appelle en soi une réforme643. Il faut certes prendre garde à l’harmonie des solutions. L’harmonie des solutions revient en ce domaine à éviter les conflits de mesures ou de régimes de protection et nous avons vu pour‐
quoi il est impératif de les éviter644. Il y a des moyens plus sûrs pour atteindre cet objectif. Ce sont surtout des règles de coordination entre autorités qui viennent en ligne de compte, des règles.
3. Reconnaissance et coopération
3.1. Des hypothèses de refus de la reconnaissance peu justifiées
Quant à la reconnaissance des mesures, le régime fermé de la Roumanie peut être signalé, qui, par exemple, s’interdit de reconnaître la Betreuung de droit allemand dans les Exemples 1 et 3. Afin de ne pas laisser X sans protection, notamment dans l’Exemple 3, les autorités roumaines se verront
639 Cf. nos observations in G. P. Romano, « La bilatéralité eclipsée par l’autorité », cit.
640 V. G. P. Romano, « La bilatéralité eclipsée par l’autorité », cit.
641 V. rapport roumain, Point 4.1.
642 V. rapport suédois, Point 4.2.1.
643 V. p. ex. T. Guttenberger, cit., p. 41.
644 V. supra.
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dans l’obligation de se saisir de la question et d’ouvrir ainsi la voie à un conflit de statut ou un conflit de mesures de protection du type qu’on a esquissé plus haut. Il n’est pas certain que, dans l’Exemple 2, la godmanskap de droit suédois soit reconnue en France, s’agissant d’un citoyen français, encore que la jurisprudence française a fait preuve d’une volonté de coordination.
3.2. Les insuffisances du régime de coopération
Enfin, il convient de revenir sur l’absence d’un régime commun de communication et de trans‐
mission d’informations. Un tel régime est le seul qui peut garantir une effectivité à l’effort de coordination dont témoignent les règles évoquées. Il s’agit là d’une lacune importante, mais au fond inévitable, tant que l’on reste dans un système national. En Suède, on l’a vu, c’est par le biais du Ministère de la Justice que l’autorité suédoise doit chercher à savoir si l’Etat étranger de la nationalité de l’adulte à protéger a déjà pris une mesure de protection ; l’absence, dans les Etats étrangers, d’une autorité clairement vouée à réceptionner les demandes d’informations et à les transmettre est de nature à ralentir le processus. En Allemagne, l’application de la règle sur le transfert de compétence suppose une prise de contact avec l’autorité étrangère qui doit consentir à se saisir de la question ; il n’a pas été possible de savoir comment cette règle fonctionne en pratique.
Or ces deux règles témoignent d’un besoin réel non réellement satisfait qu’il existe un cadre officiel, commun, de communication et de transmission d’informations élaborée de façon concertée.
4. Bilan
Encore que la fréquence des situations effectivement problématiques soit, à l’heure actuelle, difficile à chiffrer, il est à croire que les solutions se dégageant des systèmes nationaux de droit interna‐
tional privé des Etats membres ne parviennent pas, dans l’ensemble, à assurer un régime de la pro‐
tection de l’adulte qui soit en tout point et toujours satisfaisant. A côté des règles ou mécanismes nationaux qui dressent clairement des obstacles à la coordination et à la reconnaissance des mesures de protection, et qui ouvrent de ce fait la voie à un conflit de régimes de protection potentiellement générateur d’entraves à la vie juridique communautaire de l’adulte et de ceux qui s’occupent de lui – le « bon fonctionnement du marché intérieur » est alors, nous semble‐t‐il, sans doute mis en cause –, certains systèmes nationaux contiennent d’autres règles, plus modernes, plus ouvertes à la coordination et plus soucieuses d’épargner aux nombreux acteurs de la protection de l’adulte les désagréments découlant de tels conflits. Mais ces règles, parfois par ailleurs isolées, sont à leur tour souvent formulées de façon trop timide ou pas suffisamment spécifique, nette ou cohérente, et, en tout cas, ne parviennent pas à une effectivité satisfaisante en raison de leur unilatéralité, c’est‐à‐dire à défaut de s’inscrire dans un cadre supranational plus général de coopération.
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