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Section II  Insuffisances des systèmes actuels

A.  Difficultés posées par les situations transfrontières

2.  Risque de conflit entre les régimes de protection  au niveau communautaire

2.3.  Conséquences du conflit de mesures de protection

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nommé un deputy Y, qui doit, pour déplacer la résidence de X, demander une autorisation à  la Protection Court621 ; les autorités judiciaires tchèques ont mis X sous curatelle totale de Y  et, en faisant application de la disposition du droit tchèque qui donne un large pouvoir au  juge de préciser l’étendue des pouvoirs du curateur622, ont expressément autorisé celui‐ci à  déterminer librement tout changement de résidence de X. Se produit là aussi, peut‐on dire,  un conflit de statuts caractérisés par une limitation de la capacité d’exercice ou d’agir  produisant des effets différents.  

 

Exemple 5   L’incompatibilité des mesures de protection prises par les Etats A et B peut tenir à ce que les  personnes chargées de la protection de X sont différentes. Ainsi, en reprenant l’exemple du  national franco‐suédois, on peut imaginer que les autorités françaises ont placé X sous  curatelle en nommant le frère Y comme curateur et que les autorités suédoises ont placé X  sous godmanskap en accordant au god man des pouvoirs substantiellement analogues à ceux  qu’exerce le curateur d’après la mesure de protection française, mais qu’elles ont en même  temps rejeté la demande du frère Y tendant à être nommé god man au profit de Z, époux de  X623. Le conflit de mesures de protection se manifeste sous la forme d’un « conflit de repré‐

sentants ou d’assistants », ici un « conflit de curateurs », le frère pour la France, l’époux pour  la Suède, ayant en principe les mêmes pouvoirs concernant les mêmes domaines de l’activité  et de la vie de X.  

 

Les types de conflit, c’est‐à‐dire d’incompatibilité, entre les mesures de protection qu’on peut envisa‐

ger sont très nombreux. Il est impossible de les évoquer tous ici. Il importe en revanche de voir  quelles sont les conséquences de ces conflits, eu égard notamment au « bon fonctionnement du  marché intérieur » évoqué à l’art. 65 CE et, plus généralement, à la création d’un « espace de liberté,  sécurité et justice » dont il est question à l’article 61 CE624

 

2.3.  Conséquences du conflit de mesures de protection 

Le problème peut être résolu en s’accommodant du fait que chacune des mesures de protection en  conflit n’est efficace que dans l’ordre juridique qui la rend, c’est‐à‐dire qu’elle a une efficacité terri‐

toriale. Ainsi, dans l’Exemple 1, X pourrait accomplir tout seul les actes et prendre les décisions  relatives à la partie de sa vie juridique qui se localise en Allemagne alors qu’il a besoin de se faire  assister d’un tuteur pour ce qui est de sa vie juridique localisée en Roumanie. De même, dans  l’Exemple 5, X doit se faire assister par son frère Y pour ce qui est de son activité en France et par son  épouse pour ce qui est de sa vie en Suède, etc. Or, cette solution est d’abord bien souvent im‐

praticable et, en tant que telle, génératrice d’insécurité et instabilité au niveau communautaire  quant aux contenu des droits, pouvoirs, charges et obligations des personnes impliquées (adulte  protégé, personne chargée de sa protection, tiers) (2.3.1). Lorsqu’elle est théoriquement praticable,  elle engendre néanmoins des activités et des coûts inutiles (2.3.2.). 

2.3.1.  Une solution génératrice  d’insécurité et d’instabilité peu compatibles avec le  bon  fonctionnement du marché intérieur 

Bien souvent, un acte juridique ou un acte matériel ne se localise pas à l’intérieur des seules fron‐

tières d’un pays mais, précisément, en implique plusieurs à la fois. Que l’on songe, dans l’Exemple 1,  à la situation où X veut acheter un tableau de valeur lors d’un séjour en Allemagne : le tableau se  trouve en Allemagne au moment de l’achat, mais X peut fort bien souhaiter le destiner à sa résidence        

621   Tel est en général le cas dans le droit anglais : v. rapport anglais, point 3.1.1. 

622   Art. 192 du Code de procédure civile tchèque : v. rapport tchèque, point 1.2. 

623   V. à cet égard l’arrêt de la Cour suprême suédoise, NJA, 1980, cité dans le rapport suédois, point  4.4. 

624   Voir supra, Point A.2. 

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secondaire en Roumanie ; conformément au rejet par les autorités allemandes de la demande  tendant à obtenir une mesure de protection, X peut conclure l’opération tout seul avec le vendeur 

Z625 ; d’après la mesure de protection en vigueur en Roumanie, X nécessite le concours du tuteur Y. 

Si on envisage la question avant la réalisation de l’acte, X peut essayer d’obtenir le concours du  tuteur Y, auquel cas l’acte serait tenu pour valable dans les deux ordres juridiques impliqués ; mais il  se peut que le tuteur Y ne donne pas son consentement et que Y souhaite tout de même profiter de  l’entière capacité qui lui est reconnue par l’Allemagne pour acheter le tableau. Après la conclusion de  l’achat, l’acte est en principe valable en Allemagne et invalide en Roumanie. En conséquence, en  Roumanie, le tuteur Y (ou bien X lui‐même) peut en obtenir l’annulation, suite à quoi X, d’après  l’ordre juridique roumain, perdrait la propriété du tableau et le prix qu’il a le cas échéant déjà versé  devra  être  rendu ;  la  reconnaissance  de  la  décision  d’annulation  étant  peu  concevable  en  Allemagne626, d’après l’ordre juridique allemand, X est, en revanche, toujours propriétaire du tableau  de même que débiteur du prix envers Z. Cela est de nature à créer une instabilité quant aux droits et  obligations des parties impliquées. On peut douter qu’un tel résultat soit conforme à la construction  d’un « espace de liberté, sécurité et justice » au sens de l’art. 61 CE. On peut d’ailleurs constater que  c’est du fait de la circulation du bien (notamment de son déplacement de la Roumanie à l’Alle‐

magne) que jaillit l’insécurité. Or cette insécurité risque d’augmenter au gré de tout déplacement ul‐

térieur du bien en question et des personnes qui peuvent prétendre avoir des droits ou des pouvoirs  relatifs à celui‐ci (X, Y et Z) à l’intérieur de l’espace communautaire. Cela diminue, nous semble‐t‐il,  l’effectivité des libertés de circulation des personnes et des biens : les personnes concernées (X, Y et  Z) peuvent fort bien être tentées de diminuer, dans la mesure du possible, l’internationalité, plus  précisément, la « communautarité », de la situation afin de diminuer les désagréments dont cette 

« communautarité » s’en trouve être la source. Plus concrètement, X peut chercher à renoncer à son  activité juridique en Roumanie ; Y peut essayer de décourager les déplacements de Y dans ce pays ; Z  peut renoncer au contrat avec X. De telles conséquences sont contraires à l’objectif visé par le « bon  fonctionnement du marché intérieur » dont il est question à l’art. 65 CE.  

 

Supposons encore que, dans l’Exemple 5, s’élève la question de l’acceptation par X d’un héritage. 

D’après la mesure suédoise, le godman Z, époux de Y, est, hormis le cas d’un conflit d’intérêt, com‐

pétent pour consentir à l’acceptation de l’héritage ; d’après la mesure française, c’est le frère Y en  tant que curateur qui détient ce pouvoir. Pour être sûr de son acquis, X peut chercher à obtenir le  consentement à la fois de Y et de Z, encore que cela oblige X, Y et Z à une duplication d’activité. Mais  on peut penser que, tandis que Y est prêt à y consentir, Z ne l’est pas. Quid face à un tel conflit de  volontés des deux curateurs ? Ce conflit est résolu à l’intérieur de tout système juridique, et  notamment en Suède, par recours à l’autorité de surveillance des curatelles627. Or, puisque le conflit  est ici international, c’est‐à‐dire qu’il survient « entre systèmes juridiques (nationaux) »628 et que, par  hypothèse, chacune des mesures a une efficacité territoriale limitée, une telle solution ne peut  évidemment être mise en œuvre ; d’ailleurs, si l’on suit jusqu’au bout la logique du point de vue  auquel on se place, il n’y aurait pas de conflit à proprement parler, les domaines d’efficacité des  mesures n’étant pas les mêmes. On peut penser, pour se tirer d’affaire, que le god man Y est exclu‐

sivement compétent pour accepter la succession sise en Suède et que le curateur Z l’est pour  accepter la succession sise en France. Encore faut‐il savoir où ses biens se localisent, ce qui peut po‐

ser problème, s’agissant notamment de placements boursiers mais aussi des avoirs bancaires. Quid  si les avoirs bancaires déposés auprès d’une banque suèdoise sont déplacés en France, notamment        

625   Nous supposerons que le vendeur Z est au courant de l’existence d’une mesure de protection en  Roumanie et que l’art. 13 du Règlement Rome I ne s’applique pas. 

626   Car en principe incompatible avec la décision roumaine ayant rejeté la demande tendant à  l’obtention d’une mesure de protection 

627   V.  rapport suédois, point 4.3. 

628   C’est l’expression que consacre le « Préambule » de la Convention de La Haye du 13 janvier 2000. 

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après que Y ait dénié son consentement à l’acceptation de la succession mais avant que Z s’y  prononce ? L’incertitude qui en découle quant aux droits, pouvoirs, charges et obligations relatifs à  ces biens, est analogue à celle examinée plus haut et appelle les mêmes commentaires.  

 

Que l’on pense, dans l’Exemple 3, au souhait de X se soumettre à une opération chirurgicale (une  interruption de grossesse ou une transplantation d’organes par exemple). En sa qualité de deputy  d’après la mesure de protection anglaise, Y demande l’autorisation à la Protection Court, qui la  refuse en raison des risques que l’opération présente pour X ; en tant que opatrovnik pour la Ré‐

publique Tchèque, Y peut prendre la décision tout seul et estimer qu’une telle opération est sou‐

haitable ; l’autorité judiciaire de surveillance tchèque, consultée le cas échéant par Y, peut également  donner son consentement à  l’opération voire ordonner qu’il y soit procédé. Y est tenté de  contourner le refus de la Protection Court en emmenant X en République Tchèque afin de le faire  opérer dans ce pays629 ; mais il risque alors d’être assigné en responsabilité en Angleterre, où il a par  hypothèse des biens, pour violation de la mesure anglaise. Et ce notamment si l’opération a entraîné  des sequelles dommageables, alors qu’il n’a fait qu’exercer régulièrement un pouvoir, voire même  s’exécuter d’un devoir, d’après l’ordre juridique tchèque. Cette situation qui peut être inextricable  de « conflit de devoirs » se produisant pour Y, personne chargée de la protection de X – interdiction  de lui faire subir une opération et pouvoir voire devoir d’organiser une telle opération et de l’y as‐

sister – ne peut évidemment être considérée comme conforme à l’idée d’un « espace de liberté,  sécurité et justice » au sens de l’art. 61 CE.  

2.3.2.  Une situation génératrice de coûts inutiles de nature à décourager la vie juridique  communautaire   

La solution envisagée n’est théoriquement praticable que dans la mesure où l’acte ou l’activité est  territorialement limité(e) de par sa nature. Tel est notamment le cas des actes concernant les im‐

meubles. Supposons que, dans l’Exemple 2, X, soumis à förvalterskap en Suède et placé sous tutelle  en France, dispose de plusieurs immeubles, distribués entre la Suède et la France ; le förvalter peut  bien s’occuper de l’administration des immeubles suédois (le cas échéant, en demandant les autori‐

sations nécessaires à l’autorité de surveillance) et le tuteur de l’administration des immeubles  français. Cette solution peut se justifier a posteriori, c’est‐à‐dire une fois que les deux mesures ont  été effectivement prises et qu’il s’agit de tracer la ligne de partage des pouvoirs/devoirs des per‐

sonnes qu’elles nomment en tant que responsables. En se plaçant dans une perspective ex ante, une  telle solution présente en revanche plusieurs inconvénients.  

 

D’abord, en dehors du cas d’urgence, une mesure de protection, y compris générale, dans un tel  système, devrait être sollicitée dans chacun des pays où se localise ou peut se localiser la vie  juridique de l’adulte que la mesure entend couvrir. Ainsi, si X possède des immeubles en  Roumanie, en France, en Allemagne et en Angleterre, dont il ne peut pas s’occuper en raison de  l’altération de ses facultés, il faut qu’il saisisse – où que ceux qui de facto prennent soin de lui  saisissent – tout à la fois les autorités roumaines, françaises, allemandes, anglaises afin d’obtenir de  chacune une mesure de protection qui n’aura qu’une efficacité limitée. Or, ainsi qu’il ressort des rap‐

ports nationaux, la procédure aboutissant à une mesure de protection est bien souvent coûteuse et        

629   On peut certes observer que la mesure anglaise étant par hypothèse « territoriale », il n’y a pas là  de « violation » dans la mesure où l’opération est réalisée sur un territoire étranger. A quoi on peut  objecter qu’au‐delà du fait que lire une quelconque limite territoriale dans la décision anglaise est  artificiel (la Protection Court estime que l’opération ne puisse être effectuée car elle met en danger  la santé, et, à son point de vue, elle ne cesse pas d’être risquée si elle est réalisée ailleurs qu’en  Angleterre), on peut penser que X viole déjà la mesure lorsqu’il prépare et organise le transfert de  X depuis l’Angleterre.  

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chronophage  : elle comporte, d’abord, une phase d’instruction requérant une ou plusieurs experti‐

ses médicales631, une ou plusieurs auditions de l’intéressé632, parfois l’obtention d’avis d’autres or‐

ganes ou institutions (une commission de médecins spécialistes633, le ministère public634, le « conseil  de famille »)635 ; la phase de la nomination d’une personne chargée de sa protection peut aussi  s’avérer délicate et laborieuse (examen de l’aptitude des « candidats », prise en considération de la  volonté de la personne, etc.). Or, il semble bien que la multiplication des procédures, et des activités  judiciaires, administratives, médicales, sociales et plus généralement humaines y relatives, dont  chacune aboutit à une mesure de protection qui n’a qu’une efficacité restreinte, est, surtout pour ce  qui est de la vérification des conditions, c’est‐à‐dire de la vérification de l’état de santé du même  adulte, X, peu souhaitable. Ceci est vrai tout à la fois si l’on se place du point de vue spécifique des  acteurs intéressés ou bien du point de vue général.  

 

Du point de vue de l’adulte à protéger X, de Y qui est chargé de sa protection mais aussi des proches  de X, il suffit de penser au temps, aux frais, aux activités mais aussi au stress psychologique et émo‐

tionnel, liés à l’engagement de plusieurs procédures : nécessité pour X de se soumettre à plusieurs  auditions devant les autorités de tous les pays et pour Y de l’accompagner ; risque pour X de devoir  se soumettre à plusieurs expertises médicales dans plusieurs pays, en tout cas lorsque les experts  sont nommés par le tribunaux ; coordination des avocats ou représentants, etc. Or, puisque la vie ju‐

ridique des personnes impliquées, du fait qu’elle déborde d’un système interne pour devenir (in‐

tra)communautaire, devient de ce fait, par hypothèse, plus complexe, plus lourde, plus coûteuse,  plus éprouvante. Le risque est que, pour éviter ces coûts et ces autres désagréments, les personnes  impliquées trouvent profit à tenter de réduire, dans la mesure du possible, voire de supprimer l’élé‐

ment d’internationalité, plus exactement, de communautarité, c’est‐à‐dire en quelque sorte à  renoncer à exploiter les liberté communautaires. Si X est titulaire de quatre biens immeubles dans  les pays A (Roumanie), B (France), C (Allemagne) et D (Angleterre), et que, pour obtenir une mesure  de protection efficace à l’égard de chacun de ses quatre immeubles, il faut que X ou Y (un des  proches), saisissent les autorités de ces quatre pays, s’engagent dans quatre procédures et sup‐

portent les frais de ces procédures et les frais des quatre régimes de protection différents qui en  résultent, mieux vaut‐il, pour X, de chercher à éviter cette situation, c’est‐à‐dire de ne pas acheter les  quatre immeubles dans quatre pays communautaires différents, mais dans un seul (celui de la rési‐

dence, par hypothèse la Roumanie) et, en général, d’essayer de réduire ses déplacements et ses  activités (juridiques ou matérielles) communautaires.  

 

En prenant de la hauteur et se situant d’point de vue plus global, celui du législateur communautaire,  force est aussi d’admettre que la situation évoquée, par la duplication des activités judiciaires et ad‐

ministratives qu’elle implique, n’est pas conforme à l’idée d’une raisonnable administration de la  justice dans un espace judiciaire se voulant « intégré », c’est‐à‐dire qu’elle n’est pas conforme à une  allocation efficiente des ressources dans cet espace.  

 

      

630   Exceptés les cas d’urgence, qui débouchent en général sur l’adoption d’une mesure qui n’est que  provisoire et qui suppose donc l’ouverture d’une procédure ordinaire. 

631   V. p. ex. rapport français, point 4.2.2, rapport roumain, 4.2.2 ; rapport allemand, point 4.3 ; rapport  tchèque, point 4.1. 

632   V. p. ex. rapport français, point 4.2.2 ; rapport roumain, point 4.2.3. 

633   Ainsi, p. ex., en Roumanie : v. rapport roumain, point 4.2.2. 

634   V. p. ex. rapport français, point 4.2.3 ; rapport roumain, point 4.2.3. 

635   En France, le conseil de famille : v. rapport français, point 4.2.5. 

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