• Aucun résultat trouvé

225 

Section I  Bases légales pour une intervention communautaire 

     

Le phénomène d’internationalisation des situations impliquant des adultes sous protection semble  bien être en expansion (A) ; il convient donc de s’interroger sur les fondements d’une possible  intervention communautaire permettant de gérer ces situations transfrontières (B) 

     

A.  Un phénomène en expansion 

Ainsi que les données statistiques que nous avons récoltées et insérées dans les rapports nationaux  le démontrent, le nombre de personnes se trouvant sous une forme ou une autre de protection en  raison de la réduction de leur capacité à pourvoir à leurs intérêts, a augmenté de façon assez impor‐

tante ces dernières années604. Aussi, n’y a‐t‐il de raisons convainquantes d’estimer qu’il en soit autre‐

ment dans les Etats membres non couverts par l’étude. Compte tenu de la facilité accrue des mou‐

vements transfrontières, et notamment (intra)communautaires, des personnes et des biens, ainsi  que de la croissance du bien‐être en Europe – peu discutable au niveau global si l’on envisage les dix  dernières années –, il est permis de penser, encore qu’aucune statistique fiable ne soit disponible à  cet égard, que le nombre d’adultes à protéger impliqués dans des relations transfrontières est en  hausse : il en sera ainsi de ceux qui, par exemple, résident dans un pays autre que celui dont ils  conservent la nationalité, ou qui possèdent ou désirent acquérir des biens ou font des séjours  ponctuels ou réguliers dans un pays autre que celui où ils résident ou dont ils sont ressortissants. 

L’évolution de l’espérance de vie, le vieillessement de la population qui en est la conséquence605,  tout comme le souci, qui sous‐tend les récentes réformes nationales notamment en Allemagne en  France et en Angleterre, de restreindre le moins possible la liberté de l’adulte606, autorisent le pro‐

nostic que cette double tendance est vouée à se poursuivre si ce n’est à s’accentuer pendant les dé‐

cennies à venir.  

 

Et de fait, malgré l’insuffisance de leurs facultés personnelles, les adultes sous protection, en tant  que personnes ayant une capacité juridique générale, c’est‐à‐dire en tant que centres d’imputation  de droits et obligations, mènent une vie juridique : que l’on songe à la réalisation, possible selon le  degré d’incapacité et à des conditions variables d’un pays à l’autre, d’actes juridiques personnels, tels  le mariage, l’adoption, la filiation, la reconnaissance d’enfant, ou la conclusion d’un contrat de travail 

; mais que l’on songe aussi, plus simplement, aux actes matériels, et à la prise de décision y relative,  tel le déplacement de la résidence, une interruption de grossesse, un voyage de loisirs, le placement  dans un établissement de soins, etc. De tels actes peuvent évidemment aussi avoir un contenu di‐

rectement patrimonial, puisque ces personnes majeures possèdent souvent des biens (davantage 

      

604   V. en particulier le rapport français, sous A et en annexe, le rapport allemand, sous A et en annexe,  et le rapport suédois, sous A. 

605   V. à cet égard le rapport suédois, sous A. 

606   Tel est surtout le cas, en France, de la loi n° 2007‐308 du 5 mars 2007, du Erstes une Zweites Gesetz  zur Aenderung des Betreuungsrechts (1998‐2005), du Mental Capacity Act 2005 e du Mental Health  Act 2007 en Angleterre. V. ég. le rapport suédois, sous A. 

  226 

en tout cas, en moyenne – on se plaît souvent à le relever607 – que l’autre catégorie de personnes  nécessitant une protection, c’est‐à‐dire les enfants) et ces biens doivent être administrés : il suffit de  penser à l’achat ou la vente ou à la location d’un bien, à la gestion d’un portefeuille de valeurs  mobilières, à l’ouverture d’un compte bancaire, à l’acceptation d’une succession, à la prise de  dispositions de dernières volontés. Or une telle vie juridique, se traduisant par l’accomplissement  d’actes juridiques à contenu personnel ou patrimonial ou par la réalisation d’actes ou activités ma‐

tériels, peut fort bien – et il s’agit là d’un phénomène naturel et de plus en plus récurrent, pour les  facteurs que l’on a évoqués – déborder, par un ou plusieurs éléments, le cadre d’un seul pays et re‐

vêtir un caractère international, c’est‐à‐dire, pour le dire avec l’art. 65 du Traité instituant la Com‐

munauté européenne, avoir une « incidence transfrontière », et, plus spécifiquement, communau‐

taire. 

     

B.  Les articles 61 et 65 CE comme bases légales suffisantes 

Les systèmes de protection qu’organisent les Etats couverts par l’étude diffèrent assez significative‐

ment, pour les raisons que l’on a vues608. Ces écarts sont aujourd’hui peut‐être encore plus profonds  qu’autrefois609 du fait que certains Etats ont procédé à un travail important de modernisation de  leurs lois (que l’on pense à la France, à l’Allemagne et au Royaume‐Uni, mais aussi à la Suède), alors  que cela n’a pas été le cas dans d’autres (la Roumanie et la République Tchèque).  

 

Il est dès lors peu réaliste d’envisager, à l’heure actuelle, une intervention uniformisante du droit  communautaire sur le plan du droit matériel de la protection des adultes. A l’heure actuelle, il  n’existe d’ailleurs pas, en droit communautaire, de bases légales suffisantes à cet effet. Le contenu  matériel du régime de la protection de l’adulte ne peut dès lors, à l’heure actuelle, qu’être emprunté  aux législations nationales des Etats membres. Encore faut‐il que ce morcellement juridique soit 

« géré »610, dans l’espace européen, de telle sorte qu’il ne fasse pas obstacle au « bon fonction‐

nement du marché intérieur ». 

 

Et de fait, l’objectif du marché intérieur et des libertés qui le fondent n’est véritablement atteint que  dans la mesure où ces libertés sont effectives, c’est‐à‐dire dans la mesure où la vie juridique intra‐

communautaire est encouragée ou, à tout le moins, n’est pas entravée d’une manière ou d’une  autre. La création d’un « espace de liberté, sécurité et justice » envisagée par l’art. 61 du Traité  instituant la Communauté européenne, est asservie, précisément, au « bon fonctionnement du  marché intérieur » au sens de l’art. 65, lequel est à son tour un outil pour la « promotion du progrès  économique et social »611 qui figure au premier rang des « objectifs » que « l’Union se donne » au  sens de l’art. 2 (premier tiret)612. En l’absence d’uniformité matérielle, le bon fonctionnement du        

607   V. p. ex. le rapport explicatif de P. Lagarde relatif à la Convention du 13 janvier 2000 sur la  protection  internationale  des  adultes, disponible  sur  le  site  de  la  Conférence  de  La  Haye  (www.hcch.net), n° 12. 

608   V. supra, « Première Partie – Résumé de l’étude comparative ». 

609   Cf.  T.  Guttenberger,  Das  Haager  Uebereinkommen  über  den  internationalen  Schutz  von  Erwachsene, Bielefeld, 2004.  

610   Selon l’expression connue de Ph. Francescakis, par laquelle est fixée la tâche du droit international  privé. 

611   V. art. 2 du Traité sur l’Union européenne. 

612   Article 2 L'Union se donne pour objectifs:  ‐ de promouvoir le progrès économique et social ainsi  qu'un niveau d'emploi élevé, et de parvenir à un développement équilibré et durable, notamment 

  227 

marché intérieur se doit donc de passer par l’adoption de mesures dans le domaine du droit interna‐

tional privé (au sens large), c’est‐à‐dire, comme s’exprime l’art. 61 lit. c), dans le domaine de la 

« coopération judiciaire en matière civile »613. L’art. 65, qui vise spécifiquement les mesures re‐

latives à une telle coopération, est formulé de façon très large. En effet, il invite, par l’adoption de  telles mesures, « à simplifier et améliorer la reconnaissance et l’exécution des décisions, y compris  extrajudiciaires », à « favoriser la compatibilité des règles applicables en matière de conflits de lois et  de compétence » et la « compatibilité des règles de procédure civile »614. C’est d’ailleurs en s’ap‐

puyant sur cette base légale qu’a vu le jour un nombre considérable de règlements portant sur la  compétence des autorités, le droit applicable, la reconnaissance de décisions et d’actes authentiques  dans les divisions du droit les plus variées.  

 

Le domaine de la protection de l’adulte, en tout cas les questions que nous avons eu à traiter dans  les rapports nationaux, ressortissent indiscutablement à la « matière civile »615. L’adoption par la  Communauté de règles sur la « coopération judiciaire » au sens large que l’on a vu, c’est‐à‐dire, en  substance, des règles sur la compétence, le droit applicable et la reconnaissance des décisions dans  le domaine de la protection de l’adulte, trouve donc dans les articles 61, particulièrement lit. c), et 65  CE, une base suffisante. Le recours à cette base juridique nécessite néanmoins  que l’on démontre  au préalable que ces mesures sont, ainsi que l’exige l’art. 65 CE, « nécessaires au bon fonction‐

nement du marché intérieur », c’est‐à‐dire en substance à la création d’un « espace de liberté, sé‐

curité et justice », et proportionnelles par rapport à un tel objectif. Une intervention de la Commu‐

nauté se justifie si le régime de protection internationale de l’adulte qui résulte de l’application des  systèmes nationaux, de droit matériel et de droit international privé, aboutit à dresser un obstacle à  la vie juridique internationale, et notamment communautaire, de ces personnes, à leur mobilité et  à celle de leurs biens. Autrement dit, l’intervention se justifie voire même s’impose, s’il s’agit là du  seul moyen pour assurer que l’activité, juridique (au sens étroit du terme) ou matérielle réalisée par  ces adultes ou impliquant leur personne ou leurs biens, ne soit rendue inutilement plus difficile,  moins praticable, plus incertaine, plus coûteuse – pour ces personnes d’abord, mais aussi, derechef,  pour ce qu’on pourrait appeler la « société communautaire » en général – en un mot qu’elle ne soit 

« entravée », du fait du morcellement juridique, cumulé avec l’absence ou la défaillance de coordi‐

nation internationale des régimes de protection différents, laquelle, si elle est avérée, peut être  combattue par les instances européennes.   

 

       par la création d'un espace sans frontières intérieures, par le renforcement de la cohésion  économique et sociale et par l'établissement d'une union économique et monétaire comportant, à  terme, une monnaie unique, conformément aux dispositions du présent traité;

613   Article 61 Afin de mettre en place progressivement un espace de liberté, de sécurité et de justice,  le Conseil arrête: (…) c) des mesures dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile,  visées à l'article 65;  

614   Article 65 Les mesures relevant du domaine de la coopération judiciaire dans les matières civiles  ayant une incidence transfrontière, qui doivent être prises conformément à l'article 67 et dans la  mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur, visent entre autres à:  a) améliorer  et simplifier: ‐ le système de signification et de notification transfrontière des actes judiciaires et  extrajudiciaires;    ‐ la coopération en matière d'obtention des preuves;  ‐ la reconnaissance et  l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, y compris les décisions extrajudiciaires; 

b) favoriser la compatibilité des règles applicables dans les États membres en matière de conflits  de lois et de compétence; c) éliminer les obstacles au bon déroulement des procédures civiles, au  besoin en favorisant la compatibilité des règles de procédure civile applicables dans les États  membres.

615   Sur la difficulté de distinguer parfois entre droit public et droit privé en matière de protection de  l’adulte, v. P. Lagarde, Rapport explicatif, cit., p. n° 24, à propos de la lit. e) de la Convention de La  Haye. 

  228 

C’est pourquoi il faut d’abord s’attacher à vérifier si et dans quelle mesure les systèmes nationaux de  droit international privé ne sont pas ou pas suffisamment coordonnés et si et dans quelle mesure ce  défaut ou cette insuffisance de coordination risque effectivement de créer des obstacles à la vie  juridique communautaire des adultes à protéger et, de ce fait au commerce juridique commu‐

nautaire qui les implique. Il faut ensuite se demander comment ces éventuels obstacles pourraient  être supprimés. 

  229