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II. L A STRUCTURATION DU MARCHE DES REVERSE MORTGAGES AUX E TATS U NIS

II.2. La sollicitation de la demande

Pour ou contre les reverse mortgages : échos d’une publicité télévisée de 2007

Une publicité télévisée présente un personnage débonnaire invitant les téléspectateurs à considérer les reverse mortgages de plus près. Il en ressort que tout le monde n’est pas d’accord pour considérer que c’est une tellement bonne idée. Pourtant, malgré les réticences du public, leur popularité grimpe. Le nombre de prêts HECM assurés au niveau fédéral et administré par le HUD est monté de 43 131 en 2005 à 76 351 in 2006, soit 77% d’augmentation. Cinq des reverse mortgages de tête sont en Californie, suivis sur la liste par les villes de New York,

1

Ibid., p. X. 2 Ibid. , p. 119.

Phoenix, Boston, Denver et Coral Gables en Floride. Reste que le marché des reverse mortgages est minuscule comparé à celui des mortgages classiques dont il ne représente que 0,7%. A la suite de cette émission, une tribune de « pour » et de « contre » s’engage sur internet :

Les “contre”

Un vieil attorney, opérateur d’une compagnie californienne de maison de retraite, affirme que les reverse mortgages ne donnent pas aux seniors le fin mot de l’histoire quand il s’agit d’encaisser les actifs résidentiels, qu’en particulier les charges de départ sont très élevées; les prêteurs de reverse mortgages font de l’argent à l’ancienne manière: avec les intérêts, les frais et les points. Les coûts de terminaison sont significativement plus hauts pour les reverse mortgages. De plus, les emprunteurs restent redevables de leurs taxes immobilières, de l’assurance conventionnelle et de la maintenance du logement, et ils ont pour fardeau supplémentaire d’avoir à payer aussi l’assurance de l’hypothèque. Dernier risque : une diminution de la valeur de la propriété affecte le remboursement du prêteur.

Il pense que les seniors ne devraient considérer d’emprunter contre la valeur de leur logement qu’en dernier ressort.

Selon l’endroit où vous habitez, les revenus d’un reverse

mortage peuvent se révéler une barrière pour bénéficier de

Medicaid.

De surcroît, les conditions de nombreux reverse mortgages mettent les propriétaires à la porte de chez eux après une période d’absence qui varie d’un prêteur à l’autre. Certains d’entre eux exigent le solde complet du prêt plus le remboursement des intérêts accrus quand le logement est libéré par le propriétaire pour une période spécifique – comme le séjour prolongé mais temporaire en maison de santé.

Un point de vue « pour »

Autrefois président de l’Association des Massachussetts Mortgage Bankers Association, cet avocat des reverse

mortgages affirme qu’ils sont formidables quand ils sont bien

utilisés, mais qu’ils ne devraient pas être considérés financièrement comme la panacée.

Facteur d’eaux troubles : l’influence des autres membres de la famille ou des aides qui poussent le senior vers le reverse

mortgage pour des raisons égoïstes, ou le conseillent contre

parce qu’ils veulent hériter du bien intact.

Un écrivain et professeur de finances de l’Université de Syracuse dit qu’un aspect souvent négligé, et minimisé, des

reverse mortgages peut être leur impact émotionnel. « Vous

faites face à votre propre mortalité ». La plupart des adultes nourrit l’idée de laisser quelque chose à leurs enfants et croient que leur logement est sacrosaint. Se départir ne serait-ce qu’un peu de sa valeur peut être traumatisant. Pour lui, les reverse

mortages sont comme des cartes de crédit sécurisées : « Ca

ressemble un peu à de l’argent gratuit et beaucoup de gens oublient de lire ce qui est écrit en petits caractères”, “Beaucoup d’acheteurs ne prêtent attention qu’à deux ou trois variables du prêt ».

Pros and cons of reverse mortgage,

www.bankrate.com 2007/01/04

Les reverse mortgages, publicisés et simultanément controversés, font l’objet de très nombreuses tribunes de ce type. De leur côté, évaluateurs et analystes tentent d’identifier les obstacles potentiellement réductibles qui s’interposent entre l’offre et la demande, en s’efforçant de rationaliser les pratiques et les représentations susceptibles d’entraver leur mutuel développement. Coûts et manque de confiance : tels seraient les deux principaux obstacles au développement du marché des reverse mortgages identifiés. Combler les décalages entre un marché potentiel et un marché réel insuffisamment attrayant nécessiterait ainsi prioritairement de porter le fer sur la déficience d’une demande qu’il s’agit de à la fois de solvabiliser et de susciter. Compte tenu de ce diagnostic, des incitations financières accrues et une meilleure éducation du consommateur devraient réussir à lever les obstacles au plein déploiement du marché des reverse mortgages.

Les coûts élevés du reverse mortgage sont dus, on l’a vu, à deux séries de facteurs : d’une part les coûts d’entrée, et d’autre part le coût des intérêts composés courant sur une dette qui n’est remboursée qu’au décès de l’emprunteur, à la vente du logement ou au déménagement. C’est en premier lieu sur les coûts d’entrée que les analystes appellent le gouvernement à consentir des efforts et à proposer des incitations financières, seules à mêmes de permettre aux propriétaires âgés à faibles revenus de dégager des bénéfices

significatifs des reverse mortgages. Une enquête sur l’évaluation des prêts HECM réalisée en 2000 montrait en effet que, d’après les conseillers, les coûts d’émission des prêts étaient jugés excessifs par les acheteurs. A titre d’exemple, un emprunteur dont l’actif immobilier était estimé à 105 000 dollars, devait verser 1 800 dollars d’honoraires du sourceur, 2 100 dollars pour la prime assurance hypothécaire et environ 1 500 dollars de frais de terminaison, soit un total de 5 400 dollars. Ces coûts, comparables aux coûts habituels des hypothèques, ne seraient cependant pas familiers à la population âgée. Ces coûts sont perçus comme d’autant plus élevés qu’ils représentent une part significative du montant total susceptible d’être emprunté dont la limite pose elle aussi problème. Pour ce même actif immobilier de 105 000 dollars, le montant maximum empruntable varie entre 52 500 à 63 000 dollars. Une fois les frais d’entrée déduits de la somme réellement disponible, le coût total de l’emprunt équivaut à 15 à 20% du montant total susceptible d’être emprunté. Mais si leur réduction est souhaitée par les emprunteurs, les organismes prêteurs ont, quant à eux, fait valoir au Département du Développement Urbain que leurs honoraires sont trop bas.

Les organismes prêteurs militent également en faveur du relèvement des limites des volumes empruntables (au vu de la 203-b limit – cf. supra). Si des volumes supérieurs de prêts sont susceptibles de réduire leurs coûts, le faible montant de financement dont disposent nombre d’emprunteurs serait, de fait, la cause principale de la faible attractivité du programme. Emprunteurs et prêteurs font valoir que, alors que les propriétaires ne peuvent pas emprunter au-delà de cette limite, c’est la valeur entière de la maison qui est engagée contre le prêt. Les prêteurs font du lobbying pour, à tout le moins, unifier nationalement le niveau de cette limite. Une limite à laquelle ne sont

pas soumis, rappelons-le, les emprunteurs disposant de maison de valeur supérieure pouvant recourir au programme Fannie Mae et, dans certains Etats, au Financial Freedom Program1.

Réduire la perception des coûts d’emprunt, augmenter leur volume pour les réduire effectivement, à ces deux recommandations faites au HUD, les évaluateurs du programme ajoutent la réduction de la complexité des documents exigés, jugée intimidante et dissuasive aussi bien par les emprunteurs que par les organismes prêteurs, d’autant qu’une simplification des procédures pourrait également contribuer à diminuer les coûts d’émission. Enfin, les relations « compliquées » entre les services du HUD et les organismes prêteurs sont dénoncées, et leur clarification souhaitée.

Au vu de cette évaluation, les obstacles qui s’opposent au développement des prêts HECM apparaissent cependant non seulement fonctionnels et conjoncturels mais également structurels. Si en effet la réduction des coûts actuels susceptible de résulter de futures améliorations de fonctionnement, de la révision de certaines conditions de prêt (relèvement de la limite d’emprunt notamment) et de la maturation même du marché peut ouvrir le marché à un nombre supérieur de clients, l’indexation de la limitation de l’emprunt sur la croissance des intérêts composés constitue un obstacle structurel, lié au principe même du reverse mortgage.

A supposer que les obstacles financiers fonctionnels soient levés, restent des obstacles d’une autre nature que l’éducation et le conseil,

1 David T. Rodda, Christopher Herbert & Hin-Kin Lam, No Place Like Home;

Evaluation Report of FHA’s Home Equity Conversion Mortgage Insurance Demonstration, op. cit.

d’après certains analystes, devraient pouvoir désamorcer. Au fur et à mesure que les années passent, l’insuffisante augmentation du nombre de prêts souscrits oblige à en effet constater une résistance avérée aux prêts proposés. Cette résistance est déterminée par plusieurs facteurs, en premier lieu, la perspective de devoir liquider un patrimoine que l’on a mis des années à acquérir : Mais si l’on admet que « de nombreux Américains répugnent à souscrire un prêt sur un logement qu’ils ont mis des années à payer », l’éducation et le conseil devraient pouvoir venir à bout : « Grâce à l’éducation et au conseil, affirme une analyste du marché, un nombre croissant d’Américains âgés seront capables de continuer à vivre chez eux dignement en utilisant un

reverse mortgage »1. Les ménages passant de l’hypothèque traditionnelle (forward mortgage) à l’hypothèque inversée (reverse

mortgage), le marché de la dignité laisserait ainsi la place à celui

d’une hypothèque continue courant de l’acquisition du logement au décès de l’acquéreur. Le titre de propriété reste, comme on l’a vu, acquise au « propriétaire », mais hypothéqué à vie. Nous y reviendrons. Pour l’heure, il s’agit de surmonter les « croyances profondément ancrées des propriétaires âgés quant à l’usage de leurs actifs résidentiels »2. Pour faire face à ce défi, l’illégitimité du reverse

mortgage telle qu’elle est perçue par les propriétaires est réduite à

l’effet d’une « croyance », et, ultimement à celui d’une peur, celle de l’appauvrissement. Selon cet auteur, les interviews suggèrent ainsi, « qu’offrir des incitations sans procurer dans le même temps une éducation substantielle sur l’intérêt d’utiliser la maison pour rester à la maison ne pourra pas produire de résultats significatifs ». Mais la peur

1 Barbara R. Stucki, “Using Reverse Mortgages To Manage the Financial Risk of Long-Term Care”, Managing Retirement Assets Symposium, op. cit., p. 24.

2 Barbara R. Stucki, Use Your Home to Stay at Home. Expanding the Use of Reverse

Mortgages for Long-Term Care: A Blueprint for Action, The National Council on

de l’appauvrissement étant « ancrée » dans la population visée, en raison de son âge, il conviendrait, pour la circonvenir, de s’adresser en tout premier lieu aux jeunes générations, supposées plus réceptives à l’idée de l’hypothèque à vie. Si les Aging and Disability Resource Centers (centres de ressources pour les personnes âgées et handicapées) doivent pouvoir jouer un rôle dans l’éducation des seniors, notamment ceux qui sont confrontés à des problèmes de soins de longue durée et ceux qui reviennent chez eux après un accident ou une longue maladie, « l’éducation des enfants adultes sur les reverse

mortgages sera décisive dans la promotion de cette option financière

pour les soins de longue durée »1. Sans des campagnes destinées à accroître la « sensibilisation et l’acceptation » des consommateurs, les incitations financières ne suffiraient donc pas à assurer le déploiement des reverse mortgages.

L’affirmation de cette nécessité, partagée par les évaluateurs des programmes HECM, constitue l’aveu explicite d’un « manque de demande » pour des prêts dont il conviendrai alors de redresser la mauvaise image, tâche à laquelle s’emploient les opérateurs les plus offensifs, Fannie Mae ainsi que la National Reserve Mortgage Lenders Association dont les campagnes publicitaires s’efforcent de promouvoir le concept général de reverse mortgage, et de le présenter sous un jour plus positif que comme ultime recours pour pouvoir vieillir chez soi. Face à eux, en effet, les media regorgent d’avertissements contre les pièges potentiels de ces prêts « sans en souligner les bénéfices », regrettent les auteurs de l’évaluation des prêts HECM de 2000 intitulée No place Like Home (Pas d’endroit comme la maison), qui constatent la même suspicion chez les

1 Ibid., p. 55.

emprunteurs de leurs focus groupes. Ceux-ci déclaraient se sentir stigmatisés par le fait d’avoir eu recours à ces prêts à la fois parce qu’une telle option suppose des circonstances financières nécessiteuses et parce qu’en tant que choix, le reverse mortgage est considéré comme non avisé. Les emprunteurs notaient également que leur famille et leurs amis assimilaient l’emprunt d’un reverse

mortgage à la perte de la maison.

L’enquête menée au près des organismes prêteurs révélait elle aussi implicitement un effet de génération. D’après les dire des représentants des organismes prêteurs interrogés, l’aversion du risque et le manque de témérité rencontrés chez les personnes âgées reflétaient en effet une mentalité typique de période de dépression ancrée dans l’expérience de la crise de 1929. Pour contourner cet obstacle, ils préconisaient donc eux aussi de cibler prioritairement les enfants des personnes âgées, en qui ils discernaient des prescripteurs privilégiés, une cible d’autant plus stratégique que, contrairement aux préventions d’usage, la proportion des ménages emprunteurs avec enfants est numériquement importante1.

Enfin, certaines enquêtes ont pu montrer qu’aux attitudes vis-à-vis de l’épargne et d’emprunt affectant la propension à liquider l’avoir résidentiel, s’ajoutent des considérations culturelles, relatives au statut de la propriété, considérée aux Etats-Unis comme un accomplissement, et au désir d’indépendance conféré par la propriété du logement2. Nulle part, toutefois n’apparaît une raison mentionnée

1 David T. Rodda, Christopher Herbert & Hin-Kin Lam, No Place Like Home;

Evaluation Report of FHA’s Home Equity Conversion Mortgage Insurance Demonstration, op. cit.

2

Karen Martin Gibler & Joseph Rabianski, “Elderly Interest in Home equity Conversion”, Housing Policy Debate, vol 4, n°4, 1993, pp. 565-588.

dans la tribune citée plus haut, à savoir le désir de léguer à ses héritiers.

II.3. Les fondements théoriques de la conception du marché des