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Le Canada : les reverse mortgages, quels besoins ?

III. A PERÇUS SUR LA DIFFUSION DES PRETS VIAGERS HYPOTHECAIRES DANS QUELQUES PAYS ANGLO SAXONS ,

III.4. Le Canada : les reverse mortgages, quels besoins ?

La Canadian Home Income Plan Corporation, mieux connue sous l’acronyme CHIP, est au Canada le principal fournisseur de services financiers qui s’adresse exclusivement aux propriétaires de 62 ans ou plus « dans le but, est-il expliqué sur le site web de cette compagnie privée, de les aider à convertir en argent liquide non imposable un capital accumulé dans leur maison »1. Créé en 1986 à Vancouver, cet organisme conçu sur le modèle des programmes similaires existants aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, a essaimé depuis dans les grandes villes canadiennes, ses « Programmes de revenu résidentiel » - leur nom français – étant offerts par l’entremise de banques homologuées, de coopératives d’épargne et de crédit, de courtiers hypothécaires, de firmes de conseillers en investissement et de planification financière ainsi que par plusieurs autres institutions financières.

L’âge limite d’éligibilité est ici relativement bas (60 ans) mais le montant de l’emprunt plafonné à 40% de la valeur estimée de la maison au moment de la souscription garantit le prêteur que le montant de la dette finale n’excédera pas la valeur de la maison. L’emprunteur, qui reste propriétaire, doit là comme ailleurs, entretenir la propriété, payer les taxes foncières et les primes d’assurance.

Les frais d’ouverture du dossier (évaluation de la maison, avis juridique indépendant, frais de transaction), partiellement variables

1 http://francais.chip.ca

d’une province à l’autre, vont de 2 000 à 2 500 dollars. Les versements peuvent s’effectuer sous différentes formes : versements réguliers limités dans le temps et plafonnés à un certain montant ou sans durée fixe ni limite annuelle. Contrairement aux prêts américains, la diversité des options est donc ici réduite (pas de somme forfaitaire, et la ligne de crédit vient seulement d’être introduite). Les taux d’intérêt, variable selon la formule choisie, sont au minimum de 6,25%. Et pour un programme de 80 000 dollars, le taux annuel en pourcentage varie entre 10,28% et 10,64%, selon la durée du programme. La dette totale, capital et intérêts, peut ici être intégralement remboursée moyennant des pénalités, et l’emprunt est transférable sur une nouvelle propriété. Par ailleurs, tout ou partie des intérêts accrus peuvent être payés chaque année, ce qui réduit d’autant le montant de la dette finale.

On estime aujourd’hui que les prêts hypothécaires inversés laissent en moyenne aux emprunteurs 50% de leurs actifs résidentiels – « Donc tout va bien pour les enfants », précisent les courtiers - ceux-ci pouvant par ailleurs obtenir un prêt hypothécaire normal s’ils souhaitent racheter la maison1.

Les recettes de ce prêt hypothécaire inversé n’ont aucune incidence sur les prestations de Sécurité vieillesse ni, le cas échéant, sur le Supplément de revenu garanti. Les revenus de l’emprunt, considérés comme une dette, sont non seulement non imposables, mais s’ils sont investis dans certains types de placements, les frais d’intérêts du programme de revenu résidentiel peuvent éventuellement être déduits

1 http://canadareversemortgage.com

des impôts. Le gouvernement n’est aucunement impliqué dans ces programmes.

Pour celui dont les revenus de la retraite sont fixes, l’achat d’un programme de revenu résidentiel possède d’innombrables attraits, expliquent les courtiers : lorsque la santé décline, il peut financer une aide à domicile ou aider à faire face à des dépenses médicales imprévues ; il peut tout simplement faciliter la vie quand les revenus de la retraite sont trop serrés, ou encore aider à rembourser des dettes, permettre de faire des travaux dans la maison voire de construire un appartement de rapport dont la location augmentera les revenus, de participer aux frais d’éducation des enfants ou des petits-enfants, d’acheter une voiture neuve, de faire un investissement, d’acheter un appartement pour se rapprocher des enfants ou même une résidence secondaire. Au-delà du langage alléchant de ce type d’information commerciale, on notera le décalage entre la cible visée par ce type d’annonce qui fait miroiter à des ménages dont les budgets sont certes serrés la richesse cachée sur laquelle ils sont assis, et la cible visée par la statistique nationale qui ne retient que les ménages dont les revenus sont insuffisants pour faire face aux dépenses courantes ou aux dépenses imprévues (cf. infra). Là réside d’ailleurs l’ambiguïté d’un instrument financier vendu pour les largesses qu’il viendrait dispenser mais dont l’usage, on le verra, est de fait réservé aux propriétaires pauvres pour lesquels le reverse mortgage est la seule issue.

Au reste, la Société Canadienne d’Hypothèques et de Logement (SCHL), organisme national responsable de l’habitation et société d’assurance hypothécaire, récemment épinglée pour la prudence de sa gestion, et tout aussi économe en information sur les prêts hypothécaires inversés, émet à leur sujet des avis prudents : « Bien

que les prêts hypothécaires inversés aient des avantages, ils peuvent être onéreux. Des frais substantiels peuvent être exigés au départ. En outre, les taux d’intérêt pratiqués sont supérieurs à ceux des hypothèques standard. Le prêt hypothécaire inversé, précise-t-on ici, représente bel et bien une dette croissante qui peut épuiser l’avoir propre lié à l’immeuble. Par conséquent, certaines personnes devant vendre leur logement risquent de ne pas avoir les ressources suffisantes pour en trouver un autre. Il peut également affecter négativement les héritiers »1. Toutefois, la discrétion et la réserve dont fait preuve la Société Canadienne d’Hypothèques et de Logement à l’égard des prêts hypothécaire inversés tiennent ici avant tout au fait que, malgré les appels répétés en faveur de son implication dans le marché, elle s’en est tenue jusqu’ici rigoureusement à l’écart.

Au Canada, la majeure partie des ressources des personnes âgées provient des transferts publics. Le système de soins, favorable, couvre nombre de dépenses de santé identifiées par le National Council Of Aging américain, et les soins à domicile sont relativement aisément accessibles. L’attrait des reverse mortgages, estiment certains, en est diminué d’autant2. Par ailleurs, comme dans les autres pays de l’OCDE, les personnes âgées détiennent également une part substantielle de la richesse immobilière nationale. On observe en outre que leurs dépenses diminuent avec l’âge, qu’elles continuent à épargner, et que peu d’entre elles sont endettées - les femmes seules étant cependant moins les moins à l’abri de toutes. On estimait cependant qu’en 1999 8% de ménages âgés (contre 9% de ménages

1 http://www.cmhc-schl.gc.ca 2

Reverse Mortgages, Law Reform Commission of Saskatchewan Consultation

autres) se sentaient incapables de faire face à une dépense imprévue de 5 000 dollars1.

Cette prospérité expliquerait-elle la très faible popularité des reverse

mortgages au Canada ? En 2003, CHIP n’avait encore un portefeuille

que de 2 500 prêts représentant 187 millions de dollars, dont le montant moyen s’élevait à 37% de la valeur du logement, la moyenne d’âge des participants étant de 76 ans. Sur 68 000 propriétaires à faibles revenus libres d’hypothèque, potentiellement candidats aux

reverse mortgages, ce volume de prêts représente donc un peu plus de

2,5% du marché potentiel. Au Canada, « les reverse mortgages n’ont jamais trouvé un accueil favorable », lit-on dans un rapport adressé au Parlement2 ; ce marché est encore « dans l’enfance »3.

La raison invoquée par les avocats d’un développement renforcé des

reverse mortgages en serait l’absence d’implication gouvernementale,

une absence d’autant plus surprenante que le gouvernement fédéral, à travers la Société Canadienne d’Hypothèques et de Logement, a joué et continue de jouer un rôle de pointe dans le développement et la promotion de la propriété du logement au Canada4. Qui plus est, cette société aurait toute l’infrastructure technologique et l’expertise technique nécessaires pour introduire et administrer un tel programme de façon rentable. A cette première carence, s’ajoute une offre elle- même déficiente, proposée par des prêteurs frileux considérant les

1 Cara Williams, “Finances in the golden years », Perspectives on labour and

income, Statistics Canada, vol 4, n° 11, novembre 2003.

2

Philippe Le Goff, The Reverse Mortgage : A Solution to Retirement Funding ?, Parliament Research Branch, Economics Division, Otawa, 14 février 2003.

3 Report on Reverse Mortgages, Canadian Center for Elderly Law Studies, British Columbia Law Institute, CCELS report n°2, DCLI Report n° 41, février 2006, 39 p. 4

Philippe Le Goff, The Reverse Mortgage : A Solution to Retirement Funding ?, op. cit.

reverse mortgages comme risqués et peu rentables dans les conditions

actuelles. Leurs prêts manquent de flexibilité, ils sont onéreux et ne couvrent pas les rurales où les prix immobiliers sont insuffisamment élevés, ils sont faiblement connus de seniors qui par ailleurs peuvent être réticents à ré-hypothéquer un actif qu’ils ont travaillé des années à payer. Enfin, la bulle boursière des années 90s a suffisamment relevé le niveau des retraites pour que les retraités aient besoins d’actifs supplémentaires pour maintenir leur mode de vie. La prospérité des retraités canadiens contribuerait donc bien à expliquer le faible succès des reverse mortgages au Canada.

Ici comme ailleurs, pourtant, l’horizon menace de s’assombrir avec le boom à venir de seniors dont le nombre des plus de 65 ans devrait doubler de 2000 à 2026, portant, avec la baisse de fécondité, le ratio de dépendance des enfants et des seniors par rapport aux actifs de 46% à 55-60%, toujours en 2026. Selon une enquête réalisée en 2002, l’inquiétude ne serait d’ailleurs pas le seul fait des prévisionnistes, mais serait partagée par des répondants préparés soit à devenir réduire leur train de vie, soit à travailler pour compléter leurs revenus de retraite (72% y seraient résolus, alors que seuls 23% le faisaient effectivement au moment de l’enquête)1. Dans ce contexte, la méconnaissance des reverse mortgages apparaît d’autant plus regrettable que plus de 70% des Canadiens de plus de 65 ans sont propriétaires de leur logement, chiffre appelé à augmenté si l’on considère le taux croissant de propriétaires de moins de 65 ans. L’épargne engrangée dans la résidence principale des personnes âgées pourrait donc être, selon les termes de ce rapport, « mieux utilisée pour faire face à une augmentation de l’espérance de vie et à des

1

Cité dans Philippe Le Goff, The Reverse Mortgage : A Solution to Retirement

besoins financiers liés à la vieillesse appelés à croître ». Car, en dépit des assurances des actuaires selon lesquelles les programmes de retraite publique sont bien positionnés pour faire face aux retraites de masse des babyboomers, la situation pourrait « compromettre le système actuel PAYGO de financement des services publics et affaiblir la solidarité intergénérationnelle »1. Le reverse mortgage est une transaction complexe, conclue ce même rapport, et n’est pas exempt de risques. Ceux-ci pourraient cependant être réduits par le développement d’un prêt émis par la Société Canadienne des Hypothèques et du Logement seule capable, comme le FHA aux Etats-Unis, de répartir les risques sur un grand nombre de prêts. A côté de ces prêts garantis par le gouvernement fédéral, des prêts hypothécaires inversés privés à financement intergénérationnel – formules viagères évitant le vis-à-vis entre parents et descendants - seraient également les bienvenus.

Tandis que certains Etats, suivant l’exemple pionnier du Manitoba, travaillent à se doter de statuts spécifiques destinés à protéger les consommateurs, l’appel au soutien gouvernemental pour l’assurance des reverse mortgages est donc, au Canada comme ailleurs, considéré comme la condition sine qua non de leur plein développement2. La chose, périodiquement discutée au Parlement, soulève diverses interrogations. Notamment, qui veut-on assurer en impliquant la Société Canadienne des Hypothèques et du Logement ? La banque ou le propriétaire ? « Dans un prêt hypothécaire normal, s’interroge le

1 Ibid., pp. 10-12. 2

Selon l’étude effectuée en 2006 par le Centre canadien d’études juridiques pour les personnes âgées, soit trois années après ce rapport, deux cabinets ministériels se seraient saisis de l’idée de l’implication de la Société Canadienne d’Hypothèques et du Logement dans le marché des reverse mortgages, sans toutefois qu’aucune réponse n’ait été formulée publiquement à ce sujet – cf. Report on Reverse

Sénateur Oliver, l’assurance de la SCHL protège la banque, pas le propriétaire. L’assurance de la SCHL garantit que la banque sera payée, non pas que le propriétaire va garder sa maison. C’est le propriétaire et non la banque qui paie cette assurance. L’une des raisons avancées pour que le gouvernement veuille entrer dans le jeu est de permettre que la SCHL assure ces prêts. Pourquoi le gouvernement ressent-il le besoin d’assurer les reverse mortgages ? Qui bénéficiera de cette assurance, le prêteur ou le propriétaire, et combien cela coûtera-t-il en frais additionnels ? » A quoi il est répondu qu’une assurance fédérale réduisant les risques encourus par les banques, réduirait ipso facto le coût des prêts pour le consommateur1.

Trois années plus tard, la question des reverse mortgages est à nouveau évoquée au sein cette fois d’un comité sénatorial sur le vieillissement, non plus à propos de l’implication gouvernementale, mais des conséquences d’une telle option financière sur le marché de l’immobilier. Il y est question cette fois des « land rich but cash

poor » dont le problème déjà patent à Vancouver (où siège le comité),

est amené à se propager dans d’autres villes canadiennes, Toronto, Calgary notamment, bientôt toutes « dans le même bateau ». Il apparaîtrait ainsi que les reverse mortgages ne marchent pas comme la littérature semble le dire, et que la principale raison de ce dysfonctionnement tienne au rôle de l’héritage dans l’accès au marché immobilier. « Les gens croient encore à l’héritage pour leurs enfants, explique l’oratrice. Les seniors avec lesquels je travaille, explique-t- elle, sont préoccupés par cette question, notamment parce qu’acheter

1 Labour and Housing. Canada Mortgage and Housing Corporation – Request by

the Ministry for Study on reverse Mortgages, Canadian Parliament, Debates, Issue

un logement à Vancouver, même pour une personne ayant des revenus moyens, est devenu extrêmement cher, et les héritages sont un moyen d’y parvenir »1 Ce n’est donc pas ici seulement la propension à transmettre qui fait obstacle au succès des reverse mortgages, mais le rôle des transferts intergénérationnels dans l’accès à un parc immobilier qui, s’il devait être liquidé par les générations ascendantes, viendrait à s’épuiser au delà de ce seul horizon, et à se raréfier y compris chez les futurs accédants. En découplant la propriété de la possession, l’hypothèque inversée conduit, à terme, logiquement et pratiquement, à l’évaporation du patrimoine.

III.5. Le prêt viager hypothécaire français, « ma tante », et la