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Quelques enseignements de l’expérience japonaise

III. A PERÇUS SUR LA DIFFUSION DES PRETS VIAGERS HYPOTHECAIRES DANS QUELQUES PAYS ANGLO SAXONS ,

III.3. Quelques enseignements de l’expérience japonaise

Dans les pays d’Asie où le nombre des propriétaires est conséquent, où les prix de l’immobilier sont élevés et où les systèmes de retraite sont soit peu développés soit en récession, l’identification d’une

1

What Are the Health Challenges Facing Australia? Will Changes to State and

Commonwealth Responsabilities meet the Challenges?, op. cit.

2

A decent quality of life: inquiry into the cost of living pressures on older

population vieillissante « home rich cash poor » suggère, là, comme aux Etats-Unis, le recours à la solution des reverse mortgages. Des programmes commencent à peine dans certains pays (Corée, Singapour, Hong-Kong, Japon), leur introduction est examinée dans d’autres (Inde), et les enquêtes de faisabilité s’efforcent de démêler les atouts et les obstacles susceptibles de favoriser ou de freiner leur développement. Surtout, le caractère récent ou imminent de leur introduction confère aux attendus de l’arrivée de ces prêts sur le marché une lisibilité toute particulière. C’est donc à ce titre qu’il en sera fait mention dans ce rapport, en nous centrant toutefois sur le Japon qui, le premier, a expérimenté une chute de valeurs immobilières conséquente.

Financer la consommation des personnes âgées – consommation générale et consommation de soins : tel serait l’objectif d’une politique de développement des reverse mortgages au Japon, dans un pays où « les taux de dépendance déjà élevés sont appelés à augmenter considérablement dans les trois prochaines décennies […] et dépasser les 45% dans les trente années à venir »1.

Le recours aux reverse mortgages pour affronter les taux de dépendance croissants des personnes âgées : cet objectif, clairement affiché aux Etats-Unis, n’est que discrètement mentionné dans ce préambule, dans la mesure où au Japon, et dans différents pays de l’Asie de l’est et du sud-est2, le contexte, social, économique et politique ne s’y prête pas. Ici, explique Nelson Chow, la prégnance de

1 Olivia S. Mitchell & John Piggott, « Housing Equity and Senior Security »,

International Forum on ‘The System of Security Economic Stability for Seniors and the Improvement of Housing in Japan’, Tokyo, ESRI, 10 septembre 2003, p. 1.

2

en Chine, en République de Corée, à Taïwan, Hong-Kong et Singapour notamment.

la piété filiale (xiao), valeur de respect pour les anciens emportant obligation de soutien, explique que la vieillesse soit encore regardée principalement comme une affaire familiale au sein desquelles les politiques officielles n’ont pas à s’introduire. Pourtant, en dépit du fait que tout le monde continue à y souscrire, son influence pratique va en diminuant. Ni rejetée ni pleinement acceptée, la piété filiale, de plus en plus soumise à la notion de réciprocité, se restreindrait dans les faits au soutien purement matériel des besoins de base des personnes âgées – « la façon dont on s’acquitte de la piété filiale devient […] essentiellement pratique et terre-à-terre »1. En dépit de ce constat, les soins de longue durée pour les personnes âgées, dont les services sont rares sinon absents, toujours considérés comme du ressort de la famille, ne retiennent que faiblement l’attention des pouvoirs publics. Ni les jeunes ni l’Etat n’ont clarifié leurs rôles respectifs dans ce domaine. Et si des voix se sont élevées au Japon pour faire valoir que cette responsabilité devrait incomber à la fois aux familles et à l’Etat, et plus équitablement entre les hommes et les femmes, les solutions se font toujours attendre. Dans ce contexte, la prise en charge des soins de longue durée des personnes âgées ne peut constituer un objectif ouvertement affiché d’une politique en faveur des reverse mortgages.

Plus explicite en revanche est l’objectif strictement économique de la croissance par la consommation. Le développement des reverse

mortgages permettrait ainsi en tout premier lieu de libérer une

consommation bridée par une épargne « plâtrée » ou encore « ficelée dans les murs »2 qui compromet le niveau de la consommation

1 Nelson Chow, « Asian Value and aged care », Geriatrics and Gerontology

International, 2004, n°4, S21-S25.

2 L’expression est de Ngee-Choon Chia et KC Tsui, in : Reverse Mortgages as

retirement Financing Instrument : An Option for ‘Asset-rich and Cash-Poor Singaporeans, National University of Singapore, Department of Economics, Juin

générale du pays. Etant donné la progression du vieillissement de la population, la création d’un environnement dans lequel les plus âgés puissent consommer leur épargne « est une question importante pour la totalité de l’économie japonaise ». Si d’après certains, « la population âgée ne commence pas à dépenser au lieu d’épargner, il est à prévoir que le marché domestique restera déprimé ». Quand bien même un nombre considérable de ménages japonais ont une épargne immobilière infiniment moindre que celle initialement prévue, les politiques cherchent les moyens de débloquer l’épargne engrangée dans les logements. Mais tandis que dans des pays comme la Grande- Bretagne, cette stratégie visait à faire en sorte que les individus paient davantage pour leurs soins de santé, les priorités politiques au Japon seraient plus directement focalisées sur le besoin de stimuler la consommation générale1.

Au Japon, où ils demeurent peu attractifs mais où ils pourraient le devenir davantage « si les mesures réglementaires [étaient] développées de manière appropriée »2, les reverse mortgages viendraient de fait compenser la modicité de retraites que la démographie et l’évolution du marché du travail menacent de compromettre. C’est donc, en second lieu, pour alléger la dette publique que les reverse mortgages seraient appelés à la rescousse. Pour qui en effet juge que la générosité des taux de remplacement de 2004, 42 p. A Singapour, où les premiers reverse mortgages ont été introduits en 1997, 85% des habitants résident dans des logements du secteur public, dont 93% sont propriétaires de leur logement. La question ici serait donc de rendre accessibles les reverse mortgages à cette catégorie de propriétaires. Les auteurs proposent ainsi « une transformation du rôle du Housing Development Board de fournisseur de logement public en fournisseur de reverse mortgages ».

1 Ray Forrest, Patricia Kennett et Miza Izuhara, “Home Ownership and Economic Change in Japan”, Housing Studies, vol. 18, n°3, 2003, pp. 277-293 (p. 289). 2 Olivia S. Mitchell & John Piggott, Unlocking Housing Equity in Japan, Pension Research Council Working Paper 2003-3, Wharton School of Pennsylvania, 2003, 46 p.

revenus (70%) offerts par les systèmes publics de retraite n’est pas « soutenable » et engendre des « hausses bourgeonnantes de dépenses publiques », seul le recours à ces instruments financiers permettrait de « relancer la consommation des personnes âgées »1. « Le recours aux

reverse mortgages, explique-t-on, pourrait alléger une partie de la

pression financière que la population âgée impose à l’économie japonaise et à son budget. Les retraites des personnes âgées font déjà face à l’insolvabilité, et le nouveau programme japonais de soins à long terme laisse présager des pressions budgétaires supplémentaires. Les revenus de la retraite sont typiquement inférieurs aux revenus du travail au Japon, et les restrictions imposées par les problèmes de financement vont peser d’autant sur les bénéfices du taux de remplacement qui peuvent être financés par le système PAYGO2 de sécurité sociale. Cet élément est aussi susceptible d’avoir un impact positif sur la demande de reverse mortgages »3).

Ici, en effet, le vieillissement démographique, le niveau des valeurs immobilières à la fois absolu (en particulier dans les grandes aires métropolitaines) et relatif (par rapport à celui des revenus) se conjuguent pour donner aux prêts à hypothèque inversée un rendement théorique particulièrement favorable ; d’autant que les Japonais âgés, nombreux à cohabiter avec leurs enfants adultes, détiennent un patrimoine immobilier de presque 50% supérieur à celui de leurs homologues étrangers. Si ce n’est qu’au Japon précisément, l’un des premiers pays à avoir essuyé une chute importante des

1

Ibid., p. 1.

2 PAYGO, acronyme de “Pay-As-You-GO” : système non financé dans lequel les contributeurs actuels paient pour les bénéficiaires actuels.

3 Olivia S. Mitchell & John Piggott, « Housing Equity and Senior Security »,

International Forum on ‘The System of Security Economic Stability for Seniors and the Improvement of Housing in Japan’, op. cit., pp. 11-12.

valeurs immobilières1, la confiance en un prêt indexé sur la valeur du logement qu’il contribue à liquider à terme a déserté le peu de clientèle conquise.

Pourtant, l’obstacle que représente la volatilité des prix immobiliers serait, aux yeux des avocats des reverse mortgages, une raison supplémentaire de leur utilité, dans la mesure où ils contribueraient à déconcentrer une richesse trop massivement reportée sur le logement par les politiques « tous azimuts » en faveur de l’accession à la propriété. Au Japon, comme en Nouvelle-Zélande et en Grande- Bretagne, les reverse mortgages viendraient donc, en troisième lieu, parer aux conséquences de politiques publiques trop exclusivement tournées vers la propriété privée du logement. « Les prix fluctuent, cette richesse se révèle volatile, les prix sont erratiques. On juge ainsi préoccupant que les ménages âgés puissent concentrer trop de leur richesse dans un logement, et qu’ils s’assujettissent eux-mêmes à un investissement volatile unique dans l’immobilier », en omettant toutefois de mentionner la cause de la volatilité des prix immobiliers qui réside non dans l’extension de la propriété d’occupation, mais dans la financiarisation des actifs immobiliers. Qui plus est, la possibilité de « déverrouiller le patrimoine logement » offerte par le

reverse mortgage serait un « outil de management du risque » d’autant

plus « valable » que ceux des propriétaires qui se montreraient désireux de réduire leur exposition au risque immobilierse heurtent à un marché où le prix des transactions et le manque de produits

1

De 1991 à 1992, dans les grandes villes japonaises, les prix de l’immobilier ont chuté de 20%. Le nombre des ménages tokyoïtes ayant un actif résidentiel négatif était alors estimé à 280 000 ; et les emprunts aisément consentis jusqu’ici pour 100% de la valeur du logement ne l’ont plus été qu’à hauteur de 80%. Cf. Ray Forrest, Patricia Kennett & Miza Izuhara, “Home Ownership and Economic Change in Japan”, op. cit.

financiers appropriés se révèle dissuasif1. Si les ménages japonais laissent en effet un patrimoine « équivalent à 25,8 années de consommation » et un patrimoine immobilier intouché équivalent à 20,5 années de consommation (contre 5% aux Etats-Unis par exemple), la raison n’en serait pas volontaire (volonté d’épargne et de transmission) mais contrainte par les « pauvres performances » d’un marché immobilier dont le niveau d’activité est dix fois moindre que celui des Etats-Unis. On relèvera l’équivalence établie par le raisonnement économiste entre le logement et la consommation. Dans cette perspective, le reverse mortgage, en tant qu’instrument de gestion du risque financier, représenterait donc simultanément une option avisée d’investisseur diversifiant des actifs trop concentrés, et la possibilité de convertir les investissements financiers qui en seraient extraits en moyens consommation. Par glissements successifs, le bien logement subit deux mutations, en investissement puis en consommation.

Muté en valeur mobilière, le logement perdrait ainsi sa qualité de bien vivrier, assurant la vie familiale, y compris dans les formes de cohabitation intergénérationnelle encore en vigueur dans nombre de ménages japonais, et perpétuant la continuité des liens de filiation concrétisés par les pratiques de transmission. Force est cependant de constater que cette logique de déréalisation, pour rationnelle qu’elle paraisse aux économistes, résiste à la rationalité des familles qui persistent à ne pas liquider leur patrimoine, et ce en dépit d’un faible taux de fécondité. Tout espoir ne serait pas perdu pour autant, si l’on en juge par le précédent américain où l’attractivité des reverse

1 Olivia S. Mitchell & John Piggott, Unlocking Housing Equity in Japan, op. cit., p. 9.

mortgages, loin d’être exclusivement le fait de ménages sans enfants,

est le fait d’une population « de structure comparable à la population générale »1. Et le fait que les détenteurs de reverse mortgages se révèlent les moins enclins à vouloir transmettre quelque chose, laisse espérer que dans un pays comme le Japon, où le taux de fertilité est faible, « le développement du marché des reverse mortgage est plus faisable que moins » (ibid.). Certes, l’affaiblissement du désir de transmettre n’est pas le tout de la question. Encore faut-il que les enfants aient eux aussi renoncé à hériter. Si tel n’était pas le cas, il leur reviendrait alors de prendre en charge leurs parents âgés : « Si les enfanta adultes veulent pouvoir éviter à leurs parents de puiser dans leur logement, ils peuvent contribuer à payer leurs notes de frais médicaux et leurs besoins de consommation »2.

Enfin, le marché des reverse mortgages serait potentiellement d’autant plus porteur qu’il répond aux désirs profonds des personnes âgées – celui de vieillir chez elles – et que pour réaliser ce souhait, elles n’auraient en fait pas d’autres alternatives. « Pouvoir rester chez soi est certainement le motif le plus puissant, qui là encore milite en faveur des reverse mortgages », conclut cet analyste. Or ce qui vaut à l’intérieur des systèmes dominants actuels de retraite ne le sera plus à l’avenir : « Lorsque les pensions financées par l’Etat deviendront beaucoup moins généreuses, les retraités pourraient compter infiniment plus sur leur patrimoine logement pour financer la consommation de leur vieillesse » (ibid., p. 12).

Le Japon, et l’Asie en général, où les taux de cohabitation intergénérationnelle demeurent élevés, où le soutien familial joue un

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Ibid., p. 11-12. 2 Ibid., p. 29.

rôle majeur dans la vie des ménages aussi bien jeunes qu’âgés, offrent ainsi deux configurations simultanées. D’une part les unités familiales intergénérationnelles dont l’autonomie impliquerait désormais l’exercice d’une solidarité reposant exclusivement sur leurs membres. D’autre part, les familles de type nucléaire appelées pour subvenir à leurs besoins à liquider leur logement. Patrimoine impliquant que certains membres de la famille se démunissent au profit des autres, dans un cas, patrimoine dont les individus devront se démunir dans l’autre, le logement est dans tous les cas de figure, non pas un gage de survie de la famille mais une promesse d’appauvrissement.

Une dernière remarque : échaudés par les chutes de valeurs immobilières, et peu confiants dans des prêts directement indexés sur elles, les ménages japonais seraient peu enclins à s’engager dans l’achat de reverse mortgages en raison d’un dernier obstacle, celui de devoir confronter la « réalité » de la valeur de leurs actifs résidentiels avec une appréciation exigée préalablement à l’établissement du prêt et à la définition de ses termes. Le fait d’avoir à faire apprécier leur propriété pourrait ainsi conduire certaines personnes âgées à « devenir averties de combien leur propriété a perdu en valeur suite à une décennie de récession ». Symétriquement, les institutions de prêts auraient elles aussi à reconnaître que la valorisation de nombre de leurs actifs a décliné de façon précipitée et à révéler la précarité de leur situation1. Ce que l’on pourrait imputer à une politique de l’autruche ne manifeste-t-il pas en réalité un coût d’arrêt au mouvement d’exportation des biens immobiliers dans la sphère virtuelle de marchés spéculatifs de créances et à la dépossession accomplie par cette aliénation financière ?

1

Ray Forrest, Patricia Kennett & Miza Izuhara, “Home Ownership and Economic Change in Japan”, op. cit, p. 10.