• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE III : CHOIX, DONS, TRANSPORTS ET UTILISATIONS DES ANIMAUX

A. Les ménageries au XIII e siècle

4. Soins des animaux : personnels et traitements

Les animaux diplomatiques ont reçu des soins, du personnel et des équipements chargés de les maintenir en bonne santé et sous bonne garde. Nous pouvons tout de même nous demander si les modalités et les conditions de leur captivité ont été adaptées, notamment au sein de la tour de Londres. En effet, la ménagerie londonienne est la plus documentée sur ces sujets. Ainsi, nous savons que la couronne anglaise n’a pas financé seule les soins et les frais dédiés aux animaux appartenant à Henri III. En effet, lors de l’arrivée de l’ours blanc et de l’éléphant à Londres, le roi anglais demande une participation

106 Sur les aménagements de la tour de Londres: Edward Impey et Geoffrey Parnell, The Tower of

London: The Official Illustrated History (Londres : Merell Historic royal palaces, 2000).

135 fiscale à la population de la ville pour couvrir les dépenses engendrées par les deux animaux108.

a) Les gardiens

Premièrement, regardons le personnel de la ménagerie, notamment les gardiens, comme le cornac de l’éléphant d’Henri III, Henri de Flor. Il n’est pas rare que les animaux, durant leur transport, aient un gardien qui les suit tout au long de leur parcours jusqu’à leur arrivée sur le territoire du donataire. Ainsi, Henri de Flor était assujetti à Louis IX avant de suivre l’éléphant en Angleterre109. Nous pouvons d’ailleurs le voir sur une esquisse de

Matthieu Paris, en compagnie de l’animal110. On retrouve d’autres exemples d’hommes

accompagnant les animaux du royaume du donateur à celui du donataire. C’est le cas lors du mariage de Frédéric II, en 1235, où un gardien sarrasin guide des chameaux et des dromadaires pour une parade tandis qu’un autre, éthiopien, dirige des singes et des guépards111. Le personnel venant des mêmes régions que la faune exotique connait mieux

les animaux, permettant de mieux les soigner et les acclimater à leur nouvel espace. Cependant, dans le cadre d’une parade, la présence d’un gardien éthiopien et d’un autre sarrasin participe aussi au spectacle et à la mise en scène des animaux exotiques.

À la tour de Londres, les sources présentent un financement qui parait adaptable et suffisant puisque Henri III décide de pourvoir à toutes les dépenses nécessaires pour ses animaux et leurs gardiens, comme le montre le cas de l’éléphant : « To the sheriffs of London. Contrabreve, so long as they are sheriffs and the king’s elephant is in London, to find what is reasonably necessary for it and its keeper »112; « To the sheriffs of London.

Contrabreve to find such necessaries as are reasonably required for the king’s elephant and its keeper from Michaelmas last past as long they are sheriff and the elephant is in London »113. Les frais liés à l’entretien de l’éléphant et du cornac pour les neuf mois de

décembre 1255 à septembre 1256 atteignent la somme considérable de 24 livres et 14

108 Pastoureau, « Les ménageries princières », 76-77. 109 Pastoureau, Les animaux célèbres, 117.

110 Voir Annexe 1, Figure 1.

111 Lisa J. Kiser, « Animals in Medieval Sports, Entertainment and Menageries » dans Brigitte Resl, dir., A

Cultural History of Animals in the Medieval Age, Vol. 2 (Oxford : Berg, 2007), 107.

112 Thompson et Story- Maskelyne, Calendar of the Liberate Rolls, 8 décembre 1255, 260. 113 Ibid, 11 octobre 1256, 325.

136 sous114. Les sources comptables donnent également des informations sur les dépenses

concernant les autres résidents de la ménagerie, comme l’ours blanc ou les trois léopards offerts par Frédéric II en 1235 à Henri III, et donc, indirectement, sur leurs conditions de vie. Par exemple, nous savons que les trois fauves sont morts assez rapidement, car en août 1237, les documents comptables n’en mentionnent plus que deux, puis en 1240, un seul. Nous pouvons penser qu’ils ont été partiellement gardés par William de Botton, le « gardien des lions et léopards de sa Majesté », qui doit, en 1255, prendre en charge la plupart des animaux de la ménagerie comme l’éléphant, l’ours blanc, les fauves, etc115.

Quant au gardien de l’ours polaire, nous connaissons son salaire, nettement plus élevé que le financement des frais d’un gardien de faucon, comme Henri de Hauville : « To the sheriffs of London. Contrabreve to let a white bear, which the king is sending to the Tower to be kept there, and it’s keeper, have 4d. daily for their maintenance so long as they are there. »116 ; « To the sheriffs of London. Contrabreve to pay 4d. daily to the king’s

white bear with it’s keeper for their maintenance in London. »117 ; « To the sheriff of

Northampton. Contrabreve to find 1/2d daily for each of king’s three gerfalcon which are in the keeping of H. De Hauvill, and 1/2d daily for their keeper, for their maintenance »118.

Henri de Hauville ne perçoit qu’un demi-denier par faucon et par jour de garde tandis que l’homme qui s’occupe de l’ours polaire reçoit quatre deniers. Nous pouvons établir que les frais d’entretien évoluent selon l’animal et sa rareté, son exotisme, son alimentation, voire le danger à le surveiller. Il est donc clair que le financement des gardiens de la ménagerie a été plus important que celui des nobles ayant surveillé des animaux de plus petite taille et moins précieux. Toutefois, la réelle récompense pour ces derniers est d’avoir le privilège de servir le roi et de s’occuper de ses animaux.

114 « Matthew Paris and the Elephant at the Tower – The Parker Library », consulté le 5 mars 2019,

https://theparkerlibrary.wordpress.com/2013/05/08/matthew-paris-and-the-elephant-at-the-tower/.

115 Daniel Hahn, The Tower Menagerie: The Amazing 600-Year History of the Royal Collection of Wild and

Ferocious Beasts Kept at the Tower of London (New York : Jeremy P. Tarcher, 2004), 28.

116 Thompson, Story- Maskelyne, Calendar of the Liberate Rolls, 13 septembre 1252, 70. 117 Ibid, 29 septembre 1252, 73.

118 D. L. Evans, J. B. W. Chapman, dir., Calendar of the Liberate Rolls: Preserved in the Public Record

137 b) Les traitements, les soins et les équipements

Nous pouvons à présent nous intéresser aux différents achats de matériels, au financement des soins et des équipements, aux coûts d’entretien et d’aménagement des bâtiments, mais également aux autres frais de la ménagerie de la tour de la Londres, comme le budget dédié à la nourriture des animaux, qui doit par exemple couvrir les sept kilos de viande d’un lion. À travers ces dépenses consacrées au bien-être de la faune de la ménagerie, nous pouvons analyser les conditions de captivité des bêtes. Par exemple, en 1240, la couronne anglaise alloue à William de Botton, le gardien des lions, la somme de quatorze sous pour acheter du matériel nécessaire à leur garde, comme des chaines et des muselières : « March 23, 1240. To the sheriffs of London. Contrabreve to find the King’s Lion and his keeper their necessities, as long they shall be in the tower of London. To the same, contrabreve to cause the said William the keeper of the Kings Lion, to have 14 shilling that he expended in buying chains and other things for the use of the Lion »119. On

retrouve ce genre d’achat pour l’ours polaire, qui avait pris l’habitude d’aller pêcher dans la Tamise, obligeant ses gardiens à le munir d’une longue corde en plus des chaines de métal et de la muselière traditionnelle : « To the sheriffs of London. Contrabreve to let the keeper of the king’s white bear, which was lately sent to him from Norway and is now in the Tower of London, have muzzle and an iron chain to hold the bear when out of the water, and a long and strong cord to hold it when fishing in the Thames. By the steward »120. Lorsque l’éléphant est arrivé dans la ménagerie, il prend également l’habitude

de suivre l’ours blanc dans la Tamise121. Les baignades quotidiennes de ces deux animaux

ne sont pas sans rappeler leurs descriptions dans les encyclopédies et l’ouvrage d’Albert le Grand, où l’ours blanc est présenté comme un pécheur sous-marin et où l’éléphant est intimement lié à l’élément aquatique lors de l’accouchement pour se protéger du dragon122.

Concernant les instructions de soins présentes dans la littérature zoologique du XIIIe siècle, nous pouvons nous demander si le personnel de la ménagerie les a vraiment

suivies. Dans ce cas, selon les recommandations d’Aristote, les gardiens ont peut-être

119 Hahn, The Tower Menagerie, 18.

120 Thompson et Story- Maskelyne, Calendar of the Liberate Rolls, 30 octobre 1252, 84. 121 Pastoureau, « Les ménageries princières », 76-77.

138 donné du vin en grande quantité à l’éléphant, l’équivalent de six maris, pouvant expliquer, entre autres, le décès prématuré du pachyderme123, mort en 1257, soit deux ans après son

arrivée à Londres. Son corps a été dans un premier temps enterré sous la tour de Londres, certainement à proximité de la chapelle de Saint Peter, avant de finalement être exhumé un an plus tard, en août 1258. Le comptable de la tour de Londres envoie alors les ossements de l’animal au sacristain du monastère de Westminster, William Taylard : « De ossibus elephantis - Mandatum est constabulario turris Lond’ quod sacriste Westmonasterii sine dilacione faciat hebere ossa elephantis nuper intumulati infra ballivum predicte turris ad faciendum inde quod rex ei injuxit. Teste ut supra »124. Les intentions derrière

l’exhumation de l’éléphant sont inconnues, mais il est possible que la grande valeur de ses défenses en ivoire et les vertus de ses os aient attirer les convoitises125. Par ailleurs,

beaucoup de reliquaires et de coffrets du XIIIe siècle sont réalisés en ivoire et en os,

pouvant laisser penser que le monastère de Westminster a peut-être eu la volonté d’en créer à partir des ossements du pachyderme. Il est également possible que la dépouille de l’animal ait été enterrée sous le monastère afin de le protéger de Satan, ou pour conserver la bête dans un lieu proche du roi d’Angleterre126.

Ainsi, même morts, les animaux diplomatiques continuent d’avoir de la valeur et d’être utilisés. Toutefois, leur véritable but est de montrer le prestige et la puissance de leur détenteur à travers des évènements, des parades, mais aussi lors de leur voyage pour atteindre les ménageries.

B. Mise en scène des animaux : arrivées, évènements et parades