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1.3 Cadre d’analyse

1.3.2 Le social : normes et nuisances

In building suburbia, Americans built inequality to last.

Nicolaides et Wiese (2006 : 6)

Nous qualifions le deuxième axe de notre cadre d’analyse de social, en ce qu’il se rapporte à l’action du gouvernement municipal sur la société civile et son milieu. Nous étudions d’abord et avant tout cette action à traver s la réglementation municipale. Même si l’influence du gouvernement local ne s’arrête pas là, on peut affirmer, à l’instar de Jean-Pierre Collin, que cette réglementation est le principal pr oduit politique des gouver nements municipaux, son principal outil pour agir sur le milieu (1982 : 118). Nous aurons l’occasion de revenir plus en détail sur les aspects méthodologiques de l’utilisation de cette source documentaire dans le chapitre suivant. Pour l’instant, nous nous contenterons de décrire les dimensions de l’action du gouvernement que nous avons l’intention d’étudier à travers elle. Il faut d’abord placer

cette action dans le contexte du processus de construction co mmunautaire évoqué plus haut. D’un point de vue purement théorique, on rappellera que :

the drawing of bou ndaries inevitably becomes entwined with community. Boundary demarcation tends to be brut al, notably in defining who is inside and who is outsi de. That is, co mmunity is about sim ilarity, but it is also about difference, about the exclusion of ‘o thers’. Physically, such co mmunities become expressed in the search for t he homogenous community (Paddison, 2001 : 201-202).

Cette recherche d’homogénéité suit essentiellement deux axes : recherche de l ’homogénéité dans la forme physique de la banlieue, qu’il s’agisse du milieu naturel ou bâti, et recherche de l’homogénéité sociale.

Cet effort vi se à créer une communauté, mais aussi un milieu favorable à son épanouissement et à sa durée dans le tem ps. Et qu’y a-t-il de plus durable, du moins en théorie, que le cadre physique, naturel et bâti? En fait, Corbin Sies a clairement établi un lien entre l’homogénéité physique des banlieues cossues et leur capacité à persister dans le temps (Corbin Sies, 1997). En d’autres mots, les municipalités qui parviennent à maintenir non seulement un certain degré d’harm onie dans l’architecture des bâtiments se trouvant sur leur territoire, mais également à maintenir des normes de zonage assurant une basse densité et la présence de multiples espaces verts, so nt plus en mesure de préserver leur cachet, la valeu r d’ensemble de leurs propriétés et, par conséquent, l’homogénéité socioéconomique de leu r population. On pourrait ajouter au raisonnement de Corbin Sies que la présence et l’entretien d’espaces publics où peuvent se retrouver les membres de la communauté comptent aussi pour beaucoup, comme l’explique Michèle Dagenais :

[la] vie urbaine génère […] une cult ure publique, produit du brassage de populations toujours plus nombreuses et di versifiées, de la m ultiplication des interactions sociales dans les rues et les autres endroits publics, de l’apparition de lieux propices aux rencontres et à la m ixité, tels les espac es de culture et de loisir qui se développent rapidement à partir de la deuxième moitié du XIXe

siècle (2006 : 5).

Son raisonnement se trou ve toutefois en bonne partie renversé dans le milieu suburbain bourgeois où l’ objectif est justem ent d’échapper à la mixité, au brassage d e populations

rencontré dans les villes industrielles de la fin du XIXe siècle et du début du suivant. Le s

espaces publics de culture et de loisir mis en place dans les ban lieues sont bel et bien de s endroits de rencontre, mais dans le cadre d’une mixité sociale bien limitée.

Ces limites sont en bonne partie posées dans le cadre d’une utili sation subtile de la réglementation municipale. À travers elle, les gouvernements suburbains re cherchent à maintenir une certaine pureté communautaire, pour reprendre l’expression de Richard Sennett (1970). Cette recherche prend plusieurs form es. Tout d’abord, et c’est la plus évidente, les gouvernants visent l’homogénéité socioéconomique de la co mmunauté, ce qui passe par l’adoption de mesures qui prohibent l’entrée ou l’établissement sur le territoire d’individus ou de groupes jugés indésirables, mais qui visent également la mise en place, à l’intérieur des frontières symboliques du groupe, de normes communes et l a suppression de ce qui les enfreint, les nuisances. Ces normes serviront à marquer l’appartenance des résidents au cadre identitaire commun et à entretenir au sein de ce groupe un certain nom bre de divisions intérieures, la plus im portante étant liée a ux relations de genre. Comme l’ont dém ontré nombre d’auteurs, la banlieue est un espace hautement genré27. Les gouvernants dont nous

traitons sont tous des ho mmes, ce qui en dit déjà long sur le genre du pouv oir municipal formel et ce qui appelle à une recherche des espaces de pouvoi rs où se man ifeste, ou non, l’influence politique des femmes de la bourgeoisie.

Dernier élément sur lequel nous nous arrêtons dans le cadre de l’ étude de la f acette sociale de notre problématique : les effets de la crise des années 1930 sur ce cadre, ces normes, mais également ce que ce contexte nous révèle des liens de solidarité qui caractérisent les communautés étudiées. Durant la crise écono mique, le palier municipal se retrouve sur la ligne de feu. Malgré l es contributions im portantes des gouvernem ents provincial et fédéral, c’ est lui qui est chargé d’administrer les différe ntes mesures d’assistance sociale mises de l’avant. Bien entendu, la bourgeoisie vit la crise différemmen t des membres de la classe ouvrière. L’action du gouvernement municipal évoluera tout de

27 Voir notamme nt les travaux , mentionnés plus tôt, de Veronica Strong- Boag (1995) et de Margaret Marsh

même en réaction no n seulement aux effets soci oéconomiques de la crise, mais aussi à ses effets politiques.