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2.1 Historiographie

2.1.3 Montréal : métropole

[…] the Metropolis of Canada, the largest, wealthiest and most progressive city of the fair Dominion – the entrepot, par excellence, for the exports and imports of all her broad area.

[s.a.] (1894 : 37)

Exception faite des dernières années de cr ise économique, la p ériode que nous étudions (1880-1939) ressort dans l’historiographie comme un âge d’ or pour Montréal, qui peut se flatter alors d’être la métropole incontestée du Dominion of Canada. Compte tenu du r ôle central que joue Montréal dans le développeme nt des banlieues étudiées et dans la vie de ceux et celles qui les habitent, nous allons revenir rapidement sur les principales monographies traitant de son histoire en portant une attention particulière à la manière dont évolue, au fi l du tem ps, la façon dont est pe rçue la cité, sa rég ion métropolitaine et son hinterland, ainsi que les causes et les effets de la prospérité que connaît la ville durant ce s décennies.

Une des premières grandes monographies sur Montréal est produite durant cet âg e d’or. Il s’agit de l’œuvre e n trois tomes de l’Anglo-catholique William H. Atherton (19 14 : T2). En homme de son tem ps, il abor de surtout l’histoire de Montréal d’un point de vue politique et il n’hésite pas à la mêler aux gr ands mouvements de l’histoire canadienne. Le jeune pays fait alors figure de vaste hinterland montréalais (Atherton, 19 14 : T2, 53 7). Lorsqu’il traite de la cité proprement dite, Atherton définit Montr éal comme correspondant aux neuf quartiers inclus dans les limites établies en 1792, auxquels s’ajoutent les « suburban

wards », c’est-à-dire les municipalités annexées depuis 1883 (Atherton 1914 : T2, 183)8. Au-

delà, il reconnaît déjà l’existen ce d’un « Greater Montreal », une entité plus abstraite et en expansion englobant les autres cen tres importants de l’île (Maisonneuve, Lachine, Outremont, Saint-Henri, Saint-Louis, Verdun et Westmount), ainsi que les têtes de pont de la Rive-Sud (Atherton, 1 914 : T2, 548). En d ’autres mots, pour lui, il exist e déjà deux Montréal : « the people within the civic boundaries and the comm unity of which Montreal city is the heart » (Atherton, 19 14 : T2, 668). L’auteur fait p reuve d’un enthousiasme débordant quant aux perspectives d’avenir de la ville et explique son im portance sur le plan politique et économ ique par sa position géogra phique avantageuse, ainsi que par le développement du transport ferroviaire, qu’ il associe d’ailleurs à l’expansion de sa banlieue (Atherton, 1914 : T2, 219, 527, 652). À ce sujet, il insiste non seulem ent sur la nécessité d e mettre éventuellement en place une structure de gouvernem ent pour toute l ’île de Montréal, mais sur celle de procéder rapidem ent à l’annexion des municipalités récalcitrantes qui s’y trouvent (Atherton, 1914 : T2, 191).

Alors que s’achève l’âge d’or de Montréal, dans les années 1930-1940, nombre de recherches plus am bitieuses sont publi ées, notamment celles du géographe f rançais Raoul Blanchard (1992 [1947] ; 1953), le collectif dirigé par l’économiste Esdras Minville (1943) et, dans une moindre mesure, la monographie plus facétieuse qu’académique de Stephen Leacock (1948). Leacock y explique que depuis 1867 : « [Montreal’s] history merges more and more into the wider history of the nation » (Leacock, 1948 : 186). Dans les pages de so n livre, rien ne laisse présager que les a nnées de cri se et de guerr e ont affect é le statut d e Montréal comme métropole canadienne. Pour leur part, Blanchard, Minville et ses collaborateurs s’interrogent plus longuement sur le développement économique de la ville et sur la relation qu’elle entretient avec sa région.

La cité est ainsi décrite comme assise au centre de l a plaine de Montréal, « comme l’araignée au milieu de sa toile » (Blanchard, 1992 [1947] : 47). Par l’attraction qu’exerce son secteur manufacturier, Montréal est décrite comme pratiqu ant une véritable saigné e

8 « The history of Greater Mon treal now beg ins in th e annexation of the rural m unicipalities. » Soulignons

démographique de sa plaine (Blanchard, 195 3 : 77). Selon Blanchard, les voies d e communication qui permettent à Mo ntréal d’étendre son influence sur le pays assurent également sa dom ination sur sa région immédiat e, lui perm ettant de monopoliser à son avantage le trafic fluvial ou ferroviair e duquel dépendent plusieurs villes satellites de la métropole (Blanchard, 1953 : 167).

Sur l’île en t ant que telle, Blanchard, Minville et ses collègues reconnaissent les signes de la suburbanisation q ui commence. Le premier identifie rapidement les tro is principaux axes de cette expansion suburbaine : le premier et le plus important longe le canal Lachine vers l’ouest de l’île, le deuxième monte vers le nord le long des rues Saint-Laurent et Saint-Denis et le dernier va vers l’es t le long du fleuve Saint -Laurent (Blanchard, 199 2 [1947] : 174). De manière plus colorée, Leaco ck explique que la suburbanisation « came along with, indeed arose out of, the new electric age. Fast urban transport spreads a city out; telephone put the suburbs within talkin g distance, lighted streets and comfortable streetcars invite movement abroad, and on the h eels of all that the m otorcar puts anybody anywhere » (Leacock, 1948 : 216). Les lignes de tramway et le téléphone agrandissent donc la superficie sur laquelle l’agglomération peut s’étendre, même si cette expansion dépen d d’abord de sa croissance démographique et de sa prospérité économique (Tanghe, 1943 : 105). À cet égard, ces chercheurs se distinguent de leurs prédécesseu rs qui voy aient en Montré al d’abord et avant tout u ne cité commerçante, en reconnaissant la nature surtout industrielle de ses activités économiques9.

Mais comme leurs prédécesseurs, ils dénoncent les problèmes administratifs que connaît la région m étropolitaine. Blanchard juge ainsi que Montréal grossit trop rapidemen t et que l’ administration est incapable de gérer adéqu atement cette croissance10. Si Leacock

salue les effets politiques bénéfiques qu’ont les annexions pour les francophones – elles leu r permettent entre autres de prendre contrôle de la mairie – il souligne lui aussi les problèmes

9 « C’est bien sur l’industrie q ue repose désor mais l’essentiel de l’activité d e Montréal. » (Blanchard, 1992

[1947] : 156)

10 « Tout autour de la ville bo urgeonnent désormais des pousses nouvelles à croissance hâtive, les unes

parfaitement spontanées et nées au contact de Montréal, les autres vieilles localités rurales brusquement engorgées d’un flot citadin. » Blanchard, 1992 [1947], 259.

qu’engendre cette expansion rapide et désorganisée : une m auvaise qualité des services municipaux, la persistance d’enclaves autonom es au sein du ti ssu urbain et la corruption endémique de l’administration municipale (Leacock, 1948 : 236-237).

Dans les décennies qui suivent la D euxième Guerre mondiale, les études sur Montréal se multiplient et les méthodologies employées se raffinent. Sur le plan spatial, on y observe un double mouvement. D’une part, les chercheurs sont plus sensibles à la dimension métropolitaine de l’infl uence de Mont réal et conceptualisent l’a gglomération comme une entité changeant dans l’espace et dans le temps, désormais définie plus adéquatement par des frontières économiques et sociales plutôt que par des lim ites politiques ou juridiques 11.

D’autre part, ces chercheurs rendent compte du repli de la métropole sur l’espace québécois et accordent beaucoup m oins de place au contex te canadien dans l’histoire de Montréal. Parallèlement, des expressions souvent plus prudentes viennent rem placer le titre de métropole du Canada, qui n’est plus utilisé que pour décrire la période 1880-1930. Montréal est une métropole parmi d'autres, ou alors la métropole culturelle du Québec (Linteau, 2000, 250).

Ajoutons que la position géographique avantageuse de Montréal est décrit e de manière plus prudente lorsque vient le moment d’expliquer la pr ospérité du début du XX e

siècle. Certains chercheurs relativisent certains des avantages attribués au site de Montréal ; d’autres constatent que ces avantages sont illusoires ou alors qu’ ils se sont lentem ent transformés en désavantages. Cooper, par exem ple, citant les différents problèmes associés à la navigation sur le fleuve (fermeture à la navigation durant l’hiver, variations importantes de profondeur le long de son parcours, présence de rapides), acc orde plus d’importance au développement du réseau de chemin de fer qu’au fleuve ou aux installations portuaires d e Montréal (Cooper, 1969 : 196). C’est un constat que partagent Linteau, Durocher et Robert qui voient dans l’organisation du réseau ferroviaire la source de la hiérarchisation urbaine qui

11 Voir par exemple Linteau (2000 : 83, 191) ou encore Marsan (1994 [1974] : 310) qui, dans son étude de la

géographie historique montréalaise, parle de couvrir tout le territoire défini par le Service d’urbanisme de la ville « comme subissant l’ influence du centre montréalais d’activités économiques, sociales et culturelles […] cette région couvre une superficie de quelques 5 000 kilom ètres carrés […] effleurant à sa périph érie des villes aussi éloignées que Saint-Jérôm e au nord, Saint-Hyacinthe à l’ est, Saint-Jean-sur-Richelieu au s ud et Salaberry-de- Valleyfield à l’ouest. »

s’impose au Québec à la fin du XIXe siècle et qui avantage Montréal (Linteau, Durocher, Robert, 1989 : 106, 166, 452). Sénécal et Manzagol abondent dans le même sens et décrivent l’avantage géographique de Montréal comme n’ ayant duré que le te mps de mettre en place des structures de transport plus efficaces12.

Sur le plan de la suburbanisation, la pr emière vague de déve loppement qui va de 1880 à 1930 est généralement liée à l’électrification des lignes de tramways à la fin du XIXe

siècle, à l’activité des prom oteurs (Linteau, Durocher, Robert, 1989 : 209, 473), m ais également aux importantes transformations économiques que co nnaît Montréal durant la même période (Marsan, 1994 [1974] : 26). L ’industrialisation dicte le ry thme de sa croissance démographique et de son expansion territoriale (Linteau, Durocher, Robert, 1989 [1979] : 153, 401, 472-47 6). L’amélioration des réseaux de transport urbain, les mesures législatives diverses et l’action des promoteurs privés demeurent tous secondaires par rapport à ce f acteur de base et servent surtout à déter miner les modalités exactes – ray on de l’expansion et qualité de la planification – du développement urbain.