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Année Age moyen d'adhésion

3) Une société de Messins ?

Dans un troisième temps, il faut envisager la situation géographique des membres titulaires résidants de la Société des Sciences médicales.

La Société des sciences médicales se présente comme la société de médecine d'un département, la Moselle, et à ce titre ses travaux peuvent traduire un intérêt pour des sujets qui se veulent utiles au département et agréger des médecins mosellans. Toutefois, son ancrage à Metz, le chef-lieu du département depuis 1790, amène à se demander dans quelle mesure la Société des sciences médicales est composée de Messins, et quelles conséquences cela peut avoir sur la nature de cette société savante.

a) Les médecins domiciliés à Metz

Nous nous sommes intéressés jusqu'à présent à la condition de membre titulaire résident, en ce que cette catégorie représenterait le cœur des membres actifs de la Société. Nous avons été amenés à constater qu'ils se caractérisent par la possession d'un diplôme particulier, d'un degré d'expérience et d'investissement spécifiques. Toutefois, ces critères ne suffisent pas à définir pleinement les membres titulaires résidants.

Ce qui caractérise ces membres est d'abord le critère de la résidence. On retrouve des membres résidants dans nombre de sociétés savantes, sous différents titres : « associés ordinaires », « associés résidants », « membres titulaires », « mainteneurs »158. Ces qualificatifs sont employés pour désigner une même chose : les membres domiciliés dans la cité où est basée la société savante, ou dans ses environs directs. Leur effectif est limité, et ce sont eux qui jouissent du titre de membre

à part entière, avec les droits et devoirs qui y sont attachés159.

Cette catégorie est toujours présente dans les sociétés savantes, et ses membres constituent son cœur. La sociabilité savante est en effet d'abord un phénomène urbain, qui se développe surtout dans les villes importantes. Jean-Pierre Chaline note qu'en 1846, que 55 des 251 sociétés savantes sont concentrées à Paris. Le reste est réparti dans 118 autres villes, dont 80% sont des préfectures160. De surcroît, les médecins eux-mêmes sont essentiellement des citadins par leur origine, leur formation et leur façon de penser161. Cependant, dans la Société des sciences médicales ne se regroupent pas seulement des médecins issus de la cité messine.

Durant les premières années d'existence de la Société, la condition de titulaire et celle de résident vont de pair. La Société est naissante, et suscite d'abord l'adhésion des médecins les plus proches d'elles, pouvant s'adonner la sociabilité savante en vertu de leur lieu de résidence. Les fondateurs eux-même résidants à Metz.

Ce n'est qu'à partir de la fin des années 1830 qu'apparaît la qualité de « membre titulaire non résident ». Cela peut naître d'un constat établi à partir de la baisse de la fréquentation des séances : il n'est pas nécessaire de résider à Metz pour assister aux séances, ni d'assister aux séances pour être compté au nombre des résidants.

De même, il s'opère une distinction entre un membre titulaire et un membre résident. Ainsi en 1830, le vétérinaire Watrin et ou encore le docteur Legrand habitent à Metz et sont membres correspondants.

Cette division rend compte de cet état de fait quand, en 1847, les docteurs Collard et Leclerc sont présents lors de plusieurs séances en tant que membres « associés résidants ». De plus, la même année, 12 des 32 membres titulaires ne sont pas résidants. En 1855, on dénombre 25 titulaires résidants ainsi que 14 titulaires « du département ».

Au cours de la période, la condition de titulaire se distingue peu à peu de celle de résident. En effet, la Société commence à agréger des médecins qui ne sont plus exclusivement un groupe de praticiens messins désireux de constituer une société savante au sein de leur ville de résidence. La structure ouvre le recrutement de ses membres titulaires au département entier ; la résidence (ou la non-résidence) devient peu à peu un critère supplémentaire qui vient se sur-apposer à la condition

159 CHALINE (Jean-Pierre),Op. cit, 1998, p. 116-117. 160 CHALINE (Jean-Pierre), Op. cit, 1998, p. 76-77.

161 BERCE (Yves-Marie), Le chaudon et la lancette. Croyances populaires et médecine préventive, 1798-1830, Paris, Presses de la Renaissance, 1984, p. 165.

de titulaire ou de correspondant.

Les membres titulaires résidants ne constituent pas l'essentiel des effectifs de cette Société, même s'ils en sont membres au sens le plus plein du terme. Force est de constater que les Mosellans, et plus particulièrement les Messins, ne sont rapidement plus majoritaires au sein de la Société des sciences médicales. Un quart des membres (24 individus sur 101) habitent à Metz en 1830. Les Messins représentent 30 des 189 membres en 1850, soit 17%. En 1870, sur les 152 membres de la Société on compte autant de médecins résidant à Metz que de médecins parisiens : chacune de ces origines regroupe 26 individus, soit moins de 16% du total.

Le titre de membre résident est au final une garantie de présence pour la Société des sciences médicales, présence aux séances régulières qui n'ont pas vocation à réunir la totalité des membres de la Société, mais seulement ceux qui se distinguent par un statut spécifique, dotés de pouvoirs décisionnels au sein de l'association. Il faut pour le constater observer les rues mentionnées dans la liste des membres résidants : Nexirue (Renaud), rue des Jardins (Terquem), quai Saint-Pierre (Maréchal), rue des Parmentiers (Gillot), rue Mazelle (Legrand, Morlanne), place de la Comédie (Mahu), place Saint-Louis... Autant de lieu situés à moins d'un quart d'heure à pied de la bibliothèque municipale où se tient les séances de la Société.

Ceux qui sont membres résidants font vivre la Société d'une manière spécifique : ils l'animent et la font exister dans l'espace et le temps, par les réunions auxquelles ils assistent. Le rôle actif de ces membres messins est donc central. Est-ce pour autant oublier que l'objet de la Société des Sciences médicales est l'avancement de la science médicale plus largement en Moselle ?

b) Les médecins en dehors de Metz

En dehors de la profession médicale à Metz, quel rapport entretient la Société des sciences médicales avec la Moselle, et plus largement avec ses membres correspondants ? Pour le comprendre, il faut envisager les membres dans leur entièreté et non plus seulement les membres titulaires qui sont tous, à quelques rares exceptions, des habitants de Metz ou de ses environs directs.

Les médecins « des campagnes » sont-ils absents de la Société ? Il n'est pas possible de le saisir pleinement à partir de l'étude de leur lieu de résidence. Les médecins peuvent en effet souvent exercer dans les campagnes tout en résidant en ville. Il convient dès lors de se baser sur d'autres

indicateurs.

La Société est-elle une société d'urbains en vertu du fait qu'elle est composée essentiellement de docteurs en médecine ? Il se trouve pourtant au sein de la Société des sciences médicales un nombre important de membres, docteurs en médecine, qui résident hors de Metz. Membre titulaire depuis 1837, le docteur Bastien habite Courcelles-Chaussy162. La même année, on remarque des docteurs en médecine résidant en Lorraine à Saint-Avold, Dieuze ou Gorze. En 1860, le docteur Medard, membre correspondant, réside et officie à Fresnes-en-Woëvre, dans la Meuse.

La brochure du docteur Finot163 souligne cette tendance au cours du siècle : la proportion de docteurs dans les agglomérations de plus de 40 000 habitants devient majoritaire dès 1815. Dans les agglomération de 5 000 à 10 000 habitants, les docteurs deviennent majoritaires à partir de 1828, et dans les localités de 1 000 à 5 000 habitants en 1859. Les docteurs sont bel et bien présents dans les campagnes, toutefois les médecins situés dans les campagnes ne sont qu'une infime partie des membres de la Société. L'éloignement de la ville peut être un facteur important qui explique le peu de participation de ces médecins des campagnes, qui doivent déjà effectuer d'importants trajets quotidiens.

Il est possible d'expliquer la présence majoritaire des citadins dans la Société des sciences médicales de plusieurs façons. Il peut s'agir d'abord de désintérêt de la part des médecins. Une société savante n'a que peu de prise dans les campagnes, elle s'adresse davantage à un groupe urbain plutôt restreint164. De plus, les médecins pratiquant à la campagne peuvent ne pas être intéressés par la sociabilité savante. Toutefois, cette tendance générale n'est pas sans exceptions. Certains médecins des campagnes peuvent adhérer à la Société des sciences médicales, le plus souvent en qualité de membre correspondant. Le docteur Petitgand, membre correspondant depuis 1849, est docteur en médecine et médecin cantonal à Gorze au dépôt de mendicité165.

Est-il un point qui distingue davantage correspondants et résidants, outre leur localisation géographique ?

Au sein de cette catégorie des correspondants sont réunis les médecins qui ne résident pas

162 BMM R 14 88 Exposé des travaux de la Société des sciences médicales de la Moselle pour l'année 1860, Metz, Verronnais, 1861, p. 474.

163 Citée dans JUNG (Caroline), Les officiers de santé en Moselle au dix-neuvième siècle, 2006, Nancy, UHP, p. 52. 164 VANDERPOOTEN (Michel), Les campagnes françaises au XIXe siècle. Economie, société, politique, Nantes,

Editions du Temps, 2005, p. 229-232.

165 BMM R 14 88 Exposé des travaux de la Société des sciences médicales de la Moselle pour l'année 1846, Metz, Verronnais, 1847, p. 127.

directement à Metz même, mais souhaitent entretenir des liens avec la Société en lui transmettant leurs travaux. Les résidants doivent fournir un travail annuel, mais rien n'est précisé en ce qui concerne les obligations auxquelles sont astreints les correspondants en terme de travaux à fournir. L'essentiel d'entre eux souhaitent sur la base du volontariat "être associés aux travaux de la Société", dont ils ont eu connaissance par ailleurs et auxquels ils souhaitent ajouter les leurs166. Les correspondants sont ainsi de ceux qui sont motivés essentiellement par le fait de présenter un travail qui sera lu, jugé et estimé par la Société, comme cela est présenté dans leurs lettres de demande d'adhésion.

Il n'existe pas de nette distinction au niveau du comportement productif des correspondants et des résidants ; comme on l'a vu à l'exemple des membres honoraires, bien souvent le statut au sein de la Société peut être dû à des contraintes indépendantes de la volonté ou de la valeur du membre. Ils peuvent être tout autant contraints par leur santé, ou leur implantation géographique si leur condition de médecin militaire les oblige à suivre le régiment auquel ils sont attachés.

Ainsi pour l'année 1845, le nombre des travaux expédiés par les membres correspondants s'élève à seulement deux, alors que les titulaires en font parvenir trente-quatre167. Cette même année, le chirurgien-major Félix Jacquot est le seul médecin militaire et membre correspondant en déplacement à remettre un travail. En 1854, il en remet trois, alors que les membres correspondants dans leur entier en font parvenir dix-huit à la Société contre trente et un de la part des titulaires. Le statut de résident suppose une participation plus importante que celle des correspondants, mais il faut constater que ces derniers soumettent un grand nombre de travaux à la Société, parfois plus que les membres résidants.

En les comparant, on comprend mieux ce qui distingue membres résidants et membres correspondants : ces deux statuts renvoient certes à un critère géographique, mais aussi à différents types de participation à la Société des sciences médicales.

166 AMM 5 I 101, Mémoires et rapports, 1848, Rapport de la commission d'enquête sur un mémoire de M. Lambert, le 4 avril 1848.

Cette analyse de l'ensemble des membres titulaires sur la période nous donne à voir un « homme des sociétés savantes », celui que Jean-Pierre Chaline décrit comme un « homme instruit, d'âge mûr »168. Il est possible de définir certains traits qu'ont en partage -de manière générale mais non exclusive- les individus regroupés au sein de cette catégorie. Ils possèdent un doctorat en médecine, délivré généralement à Paris. Ils ont en moyenne une quarantaine d'années lorsqu'ils adhèrent à la Société des Sciences médicales, et y demeurent une dizaine d'années.

Enfin, il apparaît que les membres titulaires sont souvent messins. Cette qualité de membre titulaire sert au départ à désigner les membres que l'on pense les plus actifs, les plus enclins à participer à la vie de la Société par leur présence aux séances. Il s'avère que par la suite, la Société cherche à distinguer plus précisément ce qui fonde l'implication et la participation des membres, à savoir la résidence. Les membres titulaires et les membres correspondants sont divisés en « résidants » et « non résidants » (ou « du département ») sur la base de cette observation.

Au final, les Messins ne constituent pas l'essentiel des membres de la Société des sciences médicales de la Moselle. Toutefois, les membres titulaires (et plus encore les membres titulaires résidants) sont composés presque intégralement de médecins résidant à Metz.

La Société des sciences médicales du département de la Moselle est basée à Metz et compte à ce titre parmi ses membres les plus actifs des Messins. Cet ancrage dans le chef-lieu du département constitue une échelle cohérente pour s'organiser et travailler dans des conditions satisfaisantes, en s'assurant qu'un certain nombre de membres actifs seront présents aux séances.