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Quelle réponse apporter ? La loi et la défense professionnelle Le discours que formule la Société des sciences médicales à l'égard de ceux qui se posent en

2) Contre la « médecine illégale » : l'exclusivité de la pratique

3) Quelle réponse apporter ? La loi et la défense professionnelle Le discours que formule la Société des sciences médicales à l'égard de ceux qui se posent en

concurrents de la médecine diplômée et professionnelle est un discours de nette condamnation. Il consiste en une double exhortation : inviter les dépositaires de la dignité médicale à réfléchir, et inviter les dépositaires de l'autorité publique à agir467. Une piste consiste ainsi à exiger des médecins illégaux la production de la preuve de ce qui est supposé leur faire défaut : capacité, compétence et expérience.

a) Avoir recours à la loi

Dans un premier temps, la Société des Sciences médicales cherche à peser de sa seule expertise scientifique pour lutter contre le charlatanisme. Ainsi, la Société des sciences médicales de Moselle se saisit dès 1821 d'une question relative à l'emploi d'un médicament : « le vomi-purgatif du sieur Leroy »468 en expliquant les raisons de la dangerosité de ce "remède". L'angle d'attaque employé par le docteur Rampont, auteur du rapport sur le vomi-purgatif, est double. Il s'attache à la fois à mettre en avant le rôle décisif joué par le supposé remède dans l'aggravation parfois fatale de la maladie, mais il souligne aussi le caractère bénéfique de l'intervention des médecins. Le rôle d'autorité scientifique de la Société est donc décisif : il éclaire, par l'investigation, la démonstration et le dialogue concerté, « le peuple sur ses vrais intérêts » selon l'expression qu'emploie le docteur Rampont.

La voie légale est plus efficace. L'avis d'expert des membres de la Société se heurte parfois à l'opinion publique mais peut se trouver conforté par les textes juridiques, car il existe des dispositifs légaux qui peuvent sanctionner assez efficacement le charlatanisme : la loi de germinal an XI (avril 1803)469 prévoit des sanctions contre les « guérisseurs » si ces derniers sont reconnus coupables de blessures ou d'aggravation de l'état de santé de leur patient. Une liste annuelle des médecins reçus dans le département est publiée dans les Annuaires de la Moselle, une publication reçue régulièrement par la Société des sciences médicales et mise à disposition de ses membres.

467 BMM R 14 88, Exposé des travaux de la Société des sciences médicales de Moselle pour l'année 1858, 1859, p. 13.

468 BMM R 14 88, Exposé des travaux de la Société des sciences médicales de Moselle pour l'année 1821, 1822, p. 14-15.

Des amendes viennent enfin sanctionner les usurpateurs, à hauteur de 500 francs pour le titre d'officier de santé, 1000 francs pour celui de docteur, et jusqu'à six mois d'emprisonnement en cas de récidive. Les cas relatés au sein de la Société des Sciences médicales laissent toutefois apercevoir des cas de récidive, comme c'est le cas dans l'affaire Warice. Les membres se reconnaissent assez souvent lésés en tant que praticiens libéraux par des individus qui les dépouillent de leur clientèle solvable de façon illégale et illégitime.

Quelle soit ou non efficace, cette médecine illégale constitue-t-elle une escroquerie aux yeux de ceux qui la pratiquent ? La loi définit cette dernière470 comme réunissant deux conditions pour former un « abus de crédulité » : d'abord la « conscience de la part du prévenu qu'il en impose sur ses promesses, ses entreprises et l'espérance qu'il donne », et d'autre part l'ignorance de ceux avec qui il traite que leur adversaire se targue de fausses promesses. Or, si le patient fait un appel délibéré à un « charlatan », qui à son tour délivre un soin qui apparaît satisfaisant, les conditions de l'abus de crédulité ne sont pas réunies. Ce qui pose un problème aux médecins qui se plaignent d'ores et déjà d'un encombrement médical, une « surpopulation»471 qui, on le voit ici, correspond en réalité surtout à une clientèle peu nombreuse que doivent se partager beaucoup de praticiens au nombre desquels se trouvent des charlatans.

b) Créer des structures de défense professionnelle

De manière générale, les moyens ne sont pas encore donnés sur le plan légal à la profession médicale pour se défendre face aux pratiques illégales. A ce titre, les années 1845 à 1848 représentent une occasion manquée pour qu'une structure de défense nationale du corps médical voit le jour.

Initiée en novembre 1845 à l'occasion du « Congrès Médical de France » tenu à Paris, la volonté de créer des « conseils de discipline » est une idée qui séduit le corps des médecins. Le comte Achille de Salvandy, ministre de l'Instruction Publique, assure alors que le Conseil Médical départemental que les médecins appellent de leurs vœux « aura pour mission, d’une part de soutenir les droits du corps médical et de ses membres, d’autre part de maintenir la dignité du corps médical ». Toutes ces informations sont reprises et publiées à l'occasion d'un Rapport sur les

questions adressées par la Société des sciences médicales de la Moselle472 adressé par la

commission permanente du congrès médical de Paris. Les décisions sont appuyées par les vœux des

470 SIREY (Jean-Baptiste), Jurisprudence du XIXe siècle, Paris, 1821, p. 373. 471 LEONARD (Jacques), Op. cit., 1981, p. 82.

membres de la Société, formulés dans un compte-rendu attaché à ce rapport : « La société a le droit d'exiger des connaissances approfondies de celui à qui elle confie sa santé ». La réforme des ordres de médecins, la défense de la profession médicale et la promotion de son rôle social sont liées à un même objectif : la réalisation d'un corps socio-professionnel plus uni.

Dès 1845, la Société des sciences médicales de Moselle adhère à ce projet. Dans le discours de son président, elle évoque « le remède » au charlatanisme : « créer l'esprit de corps qui n'existe pas, constituer une association générale de tous les médecins honnêtes » à l'exemple de qui est en discussion ailleurs en France. Il ne s'agit ni plus ni moins que d'élargir le principe d'association entre médecins aux associations elles-mêmes, et de fédérer nationalement les hommes « voués à l'art de guérir ». La Société appelle de ses vœux la création d'une telle structure à l'échelle du département de la Moselle, structure qu'elle se propose de fonder elle-même. « La réforme médicale doit surtout être l’œuvre des médecins », conclut le docteur Puel473.

Le texte adopté par les congressistes parisiens présente le projet : « Un collège médical sera créé dans chaque arrondissement et comprendra tous les médecins domiciliés dans l'arrondissement. Chaque collège médical de l'arrondissement élira tous les ans, à la majorité absolue des suffrages, un conseil médical. Le conseil aura pour mission d'une part de soutenir les droits du corps médical et de ses membres, d'autre part de maintenir la dignité professionnelle. Le conseil aura le pouvoir de prononcer devant les circonstances qu'il appréciera cinq ordres de peine disciplinaire : l’admonition, la réprimande, la censure, la radiation temporaire du tableau du collège, et la radiation absolue. Les collèges médicaux seront chargés de signaler au procureur du roi les individus qui exercent illégalement la médecine et d’en presser la poursuite. Les conseils médicaux devront adresser aux autorités administratives et judiciaires, les demandes et réclamations qui intéressent le corps médical ou l'un de ses membres. Tout appel d'une décision disciplinaire rendue par le conseil médical d’arrondissement, ne pourra être portée que devant le conseil médical du chef-lieu du département. Tout appel d'une décision disciplinaire rendue par le conseil médical du département sera porté devant le conseil de l'arrondissement éloigné. » Cet outil devait permettre aux médecins de mieux contrôler les modalités d'exercice de leur profession, de se défendre et de s'appuyer sur la puissance publique autant que sur leur expertise scientifique.

Dans le cadre de la lutte contre l'exercice illégal de la médecine et dans la continuité de ce projet avorté à cause de la Révolution de 1848, la Société des Sciences médicales contribue à la

473 BMM R 14 88, Exposé des travaux de la Société des sciences médicales de Moselle pour l'année 1845, 1846, p. 6-8.

création d'une structure de défense professionnelle dont elle rédige les statuts : l'Association des Médecins de la Moselle, qui vise à organiser l'entraide professionnelle dans le cadre des lois régissant les sociétés mutualistes. Approuvée en 1861, elle rejoint alors les sociétés du même type en adhérant à l'Association Générale des Médecins de France, où elle demeure jusqu'en 1872474. Il faut noter enfin que le combat de la Société des sciences médicales de Moselle contre le charlatanisme et la médecine illégale participe finalement d'un objectif plus grand, qui est celui de la constitution d'un corps médical plus unifié, par la pratique, la condition, le statut légal.

Il faut donc souligner le rôle paradoxal que jouent les acteurs « illégaux » ou « illégitimes » de la médecine dans l'évolution et la structuration de la médecine officielle. Ainsi en est-il du rôle que jouent les charlatans et « vendeurs de remèdes » dans la transition entre la médecine des anciennes sociétés agraires et celle des sociétés industrielles. Les vendeurs de remèdes et les charlatans généralisent ainsi par exemple la pratique de la rémunération immédiate en argent, en contrepartie d'un soin défini475. Précurseurs dans la mise en place des nouveaux rapports entre médecins et patients, avec leurs limites et leurs abus (« vente » excessive de médicaments et de soins, parfois dangereux), les guérisseurs en tous genres tirent bénéfice du contact imparfait entre villes et campagnes et de l'absence de praticiens, qui leur laissent le champ libre. La présence en Moselle des charlatans qui préoccupent les membres de la Société des sciences médicales est ainsi certainement à mettre en relation avec la densité des médecins dans le département. Dans les années 1830, la Moselle compte 2,35 médecins pour 10.000 habitants, alors qu'à la même époque le Haut-Rhin en compte 3,28 pour le même nombre d'habitants, et le Bas-Haut-Rhin en compte 4,81476.

Les membres de la Société, rompus à l'art de guérir et au fonctionnement du corps humain, savent qu'il est vain de chercher à traiter des symptômes plutôt que de chercher l'origine d'un mal. Pour le charlatanisme aussi, leur attention se porte sur la répression et sur la prévention tout à la fois. Jacques Léonard voit dans la médecine illégale un « poste avancé de la médicalisation »477 qui a permis aux patients d'être habitués à une pratique médicale spécifique qui consiste à payer pour un soin spécialisé et ponctuel. Ceci n'est qu'une tendance naissante, la majorité des populations susceptibles de recourir à des soins médicaux étant rurale et peu encline à payer en numéraire chacun des soins qui lui sont prodigués478.

474 JUNG (François), « Les officiers de santé dans le département de la Moselle », Histoire des sciences médicales, 1997, n°3-4, p. 297.

475 RAMSAY, (Matthew), Professional and popular medicine in France, 1770-1830. The social world of medical

practice, Cambridge, Cambridge University Press, 1988, p. 300-302.

476 Ibid., p. 304.

477 Cité dans Ibid., p. 301.

478 FAURE (Olivier), Histoire sociale de la Médecine (XVIIIe-XXe siècles), Paris, Anthropos-Economica, 1994, p. 103.

La présence de charlatans permet de mettre en relief des problèmes inhérents à l'organisation de la médecine dans les sociétés industrielles contemporaines, et de tenter d'apporter des solutions. Lue comme une étape constitutive de la médicalisation de la France, l'existence de la médecine illégale n'a pas été un fléau aussi intégralement néfaste que l'affirme le docteur Lavert. Au contraire, la présence de cette pratique permet au corps médical en formation de définir des objectifs et des horizons communs, afin de faire l'union entre ses membres.

La Société des sciences médicales de la Moselle est ainsi un lieu où peut naître et s'exprimer un état d'esprit commun sur les questions relatives à la profession, son exercice et les questions liées à la rémunération. En fédérant des avis éclairés émanant de ses propres membres, d'autres médecins ou membres de sociétés savantes, elle contribue à parfaire la conscience de l'appartenance à un groupe et à la définition d'une identité socio-professionnelle. La Société cherche à représenter le corps médical mosellan, mais comme cela a été dit précédemment, elle n'est qu'un reflet partiel de la réalité du corps médical en Moselle.

Toutefois, en faisant s'exprimer des points de vue parfois divergents, en rendant compte collectivement de la diversité des conditions, elle fait ressortir la nécessité de l'union : face aux impératifs liés à la rémunération et au partage d'une clientèle peu nombreuse, face à des usurpations dangereuses pour ses intérêts matériels, pour la crédibilité de la médecine et la santé publique.