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Le « ski sport » : les débuts de la reconnaissance

L’organisation de ce premier Concours international de ski, précédée de la publication du premier règlement relatif à cette pratique marquent une étape importante dans les processus de reconnaissance et d’institution du ski en tant que pratique sportive et la presse y joue un rôle majeur. Se développant en parallèle des sports contemporains, les journaux, spécialisés mais essentiellement généralistes, participent à la promotion de certaines pratiques en les introduisant dans leurs colonnes sportives (Clastres & Méadel, op. cit.). C’est en 1907 que le ski commence à être présent, de manière récurrente, dans les colonnes du Figaro, au

86 Mme M. Rougier, « Silhouettes d’hiver. Le Lautaret et le Mont Genèvre », Annuaires du CAF,

sein de la rubrique « La Vie sportive ». La majorité des articles, écrits par Frantz Reichel font référence à l’organisation du Concours international de ski. L’analyse du contenu permet de mettre en lumière les débuts de l’institutionnalisation du ski en tant que pratique sportive codifiée. Les lecteurs commencent alors progressivement à entrevoir le ski, il y a peu outil de déplacement nordique inconnu, comme une pratique sportive caractéristique des Alpes françaises, qui commence même à se diffuser dans les autres massifs.

En effet, F. Reichel annonce que les concurrents « accompliront les épreuves dans des conditions déterminées ». Celles-ci doivent permettre une égalité de départ entre les différents concurrents, caractéristique essentielle des sports modernes (Guttmann, op. cit., 51-64). Egalité qui n’est permise que depuis la publication du règlement des Concours de ski par le CAF l’année précédente qui garantit les mêmes conditions de course pour tous les participants quelque soit le lieu et le jour du concours. Cette caractéristique des sports modernes assure l’intérêt des spectateurs, directs ou non, qui sont alors tenus en haleine puisqu’au départ chaque concurrent peut potentiellement être le vainqueur.

Toutefois, il précise que cette manifestation est celle d’un « sport encore nouveau ». Effectivement, le processus d’institutionnalisation de l’activité ne fait que débuter et ce premier concours marque un tournant dans la diffusion du ski qui est désormais une pratique qui se donne à voir. Par le biais de ce concours, le CAF participe à accroître la visibilité du ski et cherche donc, à travers celui-ci, à piquer la curiosité de la population. L’association permet ainsi la diffusion de la connaissance de cette pratique en l’instituant progressivement comme un spectacle sportif. Désormais pratiquants et spectateurs véhiculent des informations sur ce « sport encore nouveau »87 favorisant la propagation de sa connaissance. En outre, utiliser l’aspect novateur du ski pour le décrire intrigue obligatoirement le lecteur. Dans une époque marquée par la découverte et le positivisme (Winock, op. cit., 303), toute nouveauté capte l’attention, permettant ainsi à la pratique du ski de se développer par l’intérêt que lui porte de nouveaux pratiquants qui vont tester ces patins de bois, se rassembler puis créer des manifestations.

a. La multiplication des clubs

La première décennie du XXème siècle marque un tournant dans le développement des sports modernes, notamment par l’accélération subite du nombre de créations de sociétés sportives, soutenue par le vote de la loi de 1901 sur la liberté d’association (Pociello, op. cit., 135). L’association sportive se révèle être un lieu d’initiation à la vie sociale et d’intégration à la communauté culturelle par le partage d’une identité plus ou moins locale (Arnaud, 1987), source de cohésion sociale. Le ski s’inscrit dans ce mouvement de multiplication des clubs sportifs avec la création de nouvelles associations ayant pour but la diffusion de cette pratique sur le territoire français : « Pendant ce temps les clubs de ski commencent à se créer un peu partout. Le premier en date fut celui de Grenoble, vint ensuite celui de Chamonix qui compte cent membres. L’an dernier, nous annoncions la formation de celui de Gap »88. Par exemple le CAF rapporte les

premiers essais de cette activité dans les Pyrénées en 1903 qui donnent ensuite lieu à la fondation d’un ski-club comprenant 58 membres en 190789. Le Figaro fait

référence à la création d’un ski-club à Cauterets dans les Pyrénées également : « A l’instar de Chamonix et Grenoble, Cauterets possède un ski-club et compte bien organiser de belles journées sportives l’hiver qui vient »90. Grâce à la constitution

de tous ces clubs œuvrant en faveur de la diffusion du ski, le nombre de compétitions et concours commence également à augmenter sur cette période.

Néanmoins, malgré le nom de ski-club la lecture des sources demande vigilance puisque certains de ces clubs renvoient essentiellement à des associations de skating, autrement dit de patinage, et non des clubs de ski comme nous pourrions l’entendre. Cette distinction pratique issue d’une terminologie commune démontre que, malgré une diffusion notable de la connaissance du ski et de sa pratique sur le territoire français, sa dénomination exacte demeure floue puisque deux activités, pourtant distinctes dans les outils utilisés et les lieux d’évolution, sont désignées par le même nom. Dans la grande famille des sports d’hiver, le ski,

88 « Chronique du CAF – Sports d’hiver - Le développement des sports d’hiver en France », Annuaires

du CAF, Volume III, 1907, 580-581.

89 « Chronique alpine – Sports d’hiver – Dans les Pyrénées », Annuaires du CAF, Volume III, 1907,

117.

ces deux longs patins de bois, est en train de trouver sa place mais son avènement en tant que roi des sports d’hiver arrivera plus tard (Arnaud & Terret, op. cit.).

b. La multiplication des compétitions

Si le Concours international de skis marque le début des grandes compétitions internationales sur le territoire français, d’autres concours locaux sont déjà organisés depuis le début des années 190091. En outre, suite au succès rencontré par le premier concours international, le CAF décide de reconduire l’expérience pour l’année suivante : « En raison du brillant succès remporté l’an dernier par le concours de ski, organisé par le Club Alpin Français, au Mont Genèvre, un second concours aura lieu cette saison. Il sera disputé entre le 3 et le 6 janvier prochain, à Chamonix »92. Les compétitions de ski entrent alors dans un

mode d’organisation annuel permettant, chaque année, de désigner un Champion de France, skieur excellant par ses qualités tant physiques que morales. Ce prochain Concours international sera également suivi d’autres concours organisés la semaine suivante par le Club des Sports Alpins de Chamonix et le Club des Patineurs de Paris. De nombreuses activités sont au programme telles que des courses de luges, des excursions en traîneaux et des concours de patinage mais également de nouvelles pratiques dérivées du ski comme le ski-kjöring et le ski- tailing 93. Le premier, pratiqué depuis plusieurs décennies dans les pays nordiques94

consiste à se faire tirer par un attelage de deux chevaux en skis tandis que le second est typiquement européen puisqu’il nécessite des pentes relativement abruptes caractéristiques des Alpes. Le ski-tailing peut s’apparenter au ski-riding actuel, autrement dit au ski hors-pistes. Toutefois aucune description n’est donnée de cette pratique qui inspirera très certainement les Anglais comme Arnold Lunn, à l’origine de la naissance du ski alpin ou ski de descente (Pfister, op. cit.).

91 « Chronique alpine – Sports d’hiver - Ski », Annuaires du CAF, Volume II, 1906, 82. 92 F. Reichel, « Ski », Le Figaro, n°335, 01/12/1907.

93 « Chronique du CAF – Programmes d’excursions », Annuaires du CAF, Volume III, 1907, 523-524. 94 M.H.D, « Le ski dans l’histoire », Annuaires du CAF, Volume III, 1907, 53-63.

Ainsi, dans la continuité de notre démonstration concernant la progressive mise en forme sportive du ski, clubs et compétitions se multiplient afin de créer un maillage territorial de pratique de plus en plus large touchant, de facto, un public plus important. Désormais les institutions supports de l’organisation de l’activité sont en place, le développement du « ski sport » est lancé même si : « Nous le répétons, le mouvement n’en est qu’à son début »95.

Cependant, l’objectif du Club est double et ne concerne pas que la mise en forme sportive de la pratique. Le ski s’inscrit dans une triple finalité à la fois sportive mais également utilitaire et touristique. Ces deux derniers pôles occupent une part importante des actions mises en œuvre par le CAF et ses plus proches collaborateurs : l’Armée et le TCF, dans le but de promouvoir cette activité chez des populations distinctes : les montagnards et les touristes.

D. Le « ski transport » : un argumentaire utilitaire hygiénique,