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La pratique du ski : mise en avant des individualités au service de la

Progressivement, à l’image de son engagement en faveur de l’alpinisme, le CAF consacre une pratique non plus au service de la patrie mais de l’individu (Ottogalli-Mazacavallo, 2006) en proposant des formes de skis différenciées répondant à des motifs d’agir différents. Doucement, les références spirituelles et morales s’effacent donc au profit de l’individu (Peter, 2010) dont la satisfaction est recherchée. Emergent alors à la fin de notre période d’étude deux figures incontournables dans le champ des sports d’hiver qui font rêver les amateurs de ski. Néanmoins, malgré l’indivualisation de la pratique et la mise en lumière de ces figures emblématiques du ski, la pratique demeure au service du collectif qui s’incarne dans l’image d’une nation forte et unie.

a. Le Champion

Dans les premières années de la Belle-Epoque, la vision pittoresque de l’activité marque la vogue des voyages touristiques en mettant en avant les lieux découverts. Cependant de nouvelles perspectives s’imposent progressivement et

s’incarnent dans la figure du héros, la machine qu’il utilise et la vitesse des efforts réalisés (Robène & Bodin, 2007). C’est ainsi qu’émerge doucement, sur l’ensemble de notre période d’étude, la figure du champion sportif.

Selon Renaud (2009, op. cit., 28), la structuration du sport moderne réside prioritairement dans un processus personnel d’accomplissement par la pratique, démontrant ainsi l’importance de la naissance de la figure du champion dans l’institution d’une activité physique en sport. Cette dernière année de publications de La Montagne met en avant le sportif selon deux moyens. Le premier, précédemment cité, met un individu encore anonyme au premier plan : le futur champion de France271. Son nom n’est pas encore connu mais la volonté de le

couronner malgré l’annulation du Concours international de ski démontre l’importance accordée à la figure du champion qui symbolise, chaque année, ce qui se fait de plus pointu d’un point de vue technique et physique. Il incarne alors toutes les vertus du citoyen français, victorieux par ses prouesses physiques et ses qualités morales. Le second moyen de placer au premier plan l’individu réside dans l’annonce des records. Nous pouvons relever, dans le numéro d’avril272, l’annonce du « plus long saut exécuté par un Français à ski » lors d’une compétition internationale à Davos où le skieur français se place 6ème avec un saut à 37m50,

contre 39m pour le vainqueur. Toutes ces informations, contenues en quelques lignes, révèlent l’avancement de la structuration de la pratique du ski en tant que sport moderne. La pratique est suffisamment encadrée et réglementée pour que s’affrontent, dans des conditions admises par tous, des concurrents de différentes nations et que des records, reconnus de tous, soient homologués. L’affrontement est alors loyal et admet la désignation d’un vainqueur, accepté et connu de tous.

Ainsi, l’émergence de la figure du Champion marque la structuration du ski en tant que sport. Nécessitant l’organisation de compétitions et l’homologation de records, cette entité démontre d’une mise en forme sportive avancée qui place la victoire de l’individu au centre des motifs d’agir de l’activité. Le processus de sportivisation du ski se poursuit donc mais le niveau des skieurs français ne leur

271 « Sports d’hiver », La Montagne, 10ème année, n°3, Mars 1914, 168-172. 272 « Sports d’hiver », La Montagne, 10ème année, n°4, Avril 1914, 222.

permet pas, pour le moment, d’incarner, par leurs victoires, la réussite de toute la nation, étape qui marque la consécration de l’individualité dans la pratique (Renaud, 2009, op. cit, 37).

b. Le Guide

La seconde figure individuelle émergeant progressivement sur notre période d’analyse et symbolisant la mise en avant des individualités est celle du Guide. Beaucoup moins caractéristique que celle du Champion à la Belle-Epoque, la figure du Guide est néanmoins essentielle au développement du ski puisque cet individu permet aux débutants de découvrir la montagne et d’y pratiquer le ski en toute sécurité. Aussi, la volonté de faciliter l’accès aux pratiques hivernales par leur encadrement conduit les membres du CAF à s’interroger sur la création de brevets autorisant la prise en charge d’un groupe. Le numéro de La Montagne publié en avril 1914 annonce qu’un « brevet de guide skieur » est actuellement à l’étude273,

sans toutefois donner plus d’informations sur les conditions d’obtention et les possibilités permises une fois ce brevet acquis. Malgré cela, la volonté d’attester des compétences d’encadrement d’un individu s’inscrit dans la continuité de l’œuvre de propagation du ski du CAF. En certifiant d’aptitudes spécifiques, la direction du CAF institue le Guide comme un expert du ski, un modèle à suivre. Par conséquent, même si Champion et Guide semblent être deux figures éloignées, ces deux individualités sont proches et révèlent un processus d’individualisme qui émerge progressivement au début du XXème siècle et qui place ces individus au- dessus des autres en mettant en avant certaines de leurs compétences.

Ainsi, les figures du Champion et du Guide émergent progressivement jusqu’en 1914 pour être alors reconnues et instituées comme des exemples à suivre. Toutefois, cette valorisation d’individualités particulières révèle un projet collectif patriotique sous-jacent visant à diffuser les valeurs attendues d’un citoyen français à cette période, pour lequel les devoirs collectifs supplantent les droits individuels et l’apprentissage de la Nation prédomine pour développer une

conscience patriotique (Charroin, 2012). Le rôle particulier de la figure de Guide est quelque peu différent puisqu’il s’institue, par sa profession, comme l’individu qui doit montrer le chemin. Le fait que le « brevet de guide skieur » ne concerne, pour le moment, que les officiers militaires274 met en avant l’importance de

l’Armée dans une société française qui commence à être impactée par les crises européennes (Pacteau & Mougel, op. cit., 59). Guide et Champion montrent la direction à suivre pour participer à la renaissance d’une France forte et puissante, statut recherché depuis la défaite de Sedan en 1870. C’est en multipliant les formats de pratique proposés que les acteurs du ski vont permettre à tout un chacun d’investir l’exercice du ski et d’y développer des qualités morales et physiques essentielles par l’identification à ces deux figures. L’individu n’est alors pas mis en avant pour ce qu’il est personnellement, mais pour ce qu’il représente dans les imaginaires nationaux, véhiculant les valeurs républicaines d’une France en quête de légitimité sur le plan politique européen. Finalement, c’est autour de ce vaste projet national que s’organisent et se justifient les différentes modalités de pratique du ski, activité utilitaire sous ses aspects de divertissement.