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Le ski, toujours un outil social et patriotique

La défaite de 1870 est considérée comme un des principaux facteurs de développement des sports en France, « de ce développement, notre défaite contre la Prusse fut une des premières causes », qui a conduit, depuis 40 ans, a un formidable mouvement de développement des sports afin de redresser le pays, de rendre les Français plus forts251. En tant que pratique physique et sportive à part entière, le ski participe à ce redressement par l’amélioration des qualités physiques et morales de la population française :

« Et si nous nous efforçons de développer la pratique du ski, si nous organisons ces concours, ce n’est pas pour la seule joie du sport, c’est, il faut le répéter, parce que nous voulons, par l’amélioration physique et morale de la race dans nos régions montagneuses, poursuivant un but humanitaire et patriotique, contribuer nous aussi, dans la mesure de nos moyens, à faire une France plus grande plus forte »252.

La direction du CAF annonce clairement son objectif patriotique et la réalisation de celui-ci sous-tend l’ensemble des autres actions de l’association. Il concerne aussi bien les officiers que les habitants de la montagne qui vivaient confinés, « Honneur au ski qui développe les habitudes de tempérance et contribue ainsi à donner aux populations de la montagne une force plus grande pour résister aux fatigues du labeur quotidien »253 ; ou encore les professionnels dont le métier nécessite de nombreux déplacements tels que les postiers et les médecins afin de réaliser plus rapidement leur mission sociale254. Au-delà, c’est même l’ensemble de la population française qui est concernée puisque le ski permet de développer des qualités morales essentielles : « le sport (…) fait admis par tous aujourd’hui, est la meilleure arme que nous puissions donner à la jeunesse pour lui permettre de se défendre contre les tentations malsaines, (…) de conserver une race saine et forte »255. Le CAF s’impose comme un relais éducatif

251 «J. Normand, « Réflexions sur quelques modes et usages du jour – Des sports », Le Figaro, n°218,

06/08/1911.

252 « Chronique du CAF », La Montagne, 8ème année, n°3, mars 1912, 174.

253 P. Alloix, « Le Vème Concours International de SKI », La Montagne, 8ème année, n°3, mars 1912,

144-151.

254 « La Chambre – Le budget des PPT », Le Figaro, n°87, 28/03/1911.

255 P. Alloix, « Le Vème Concours International de SKI », La Montagne, 8ème année, n°3, mars 1912,

au service de la République dans le but d’assurer une plus grande cohésion sociale (Morales, 2007a, op. cit.). A l’aube de la Première guerre mondiale, dans un contexte où les crises et les tensions européennes s’intensifient (Duroselle, 1995, op. cit., 153) le ski apparaît comme un outil intéressant pour décupler la condition physique des jeunes montagnards tout en diffusant un discours patriotique. Ce but humanitaire et patriotique est clairement affiché et fait écho à la devise originelle du CAF : « Pour la Patrie, par la Montagne ». La diffusion du sport, et tout particulièrement du ski, est donc, non une finalité, mais un moyen de développer chez la population française son amour pour la Nation tout en renforçant ses qualités physiques.

Au-delà de son action globale, ayant comme objectif la diffusion de la pratique du ski, le Comité de direction du CAF lance, en 1913, une vaste campagne caritative, « Des skis pour nos gosses », dont l’objectif est de récolter de l’argent pour offrir du matériel convenable de ski aux « petits montagnards »256. L’œuvre

sociale de l’association n’est pas terminée et même si le ski a déjà permis de désenclaver les villages de montagne lors de l’hiver, en offrant aux habitants la possibilité de se déplacer rapidement sur la neige, le but est désormais d’apprendre le ski aux plus jeunes et, surtout, au plus grand nombre de ces derniers. Les membres du CAF adoptent une attitude paternaliste à l’égard de ces enfants et leur but est désormais de former, dès le plus jeune âge, des skieurs compétents possédant toutes les qualités physiques et morales d’un bon Français. Cette campagne caritative apparaît donc comme une « Œuvre de bienfaisance, œuvre sociale, œuvre patriotique même »257 visant, au final, à faire de la France un pays fort et puissant.

Ainsi, vivre des aventures plurielles et individuelles, ou non, ne s’effectue pas pour une satisfaction personnelle mais pour l’amour de son pays. C’est finalement la collectivité qui prime sur l’individualité des motifs d’agir. Les finalités patriotiques viennent rationnaliser la pratique du ski qui ne s’effectue pas

256 La Montagne, 9ème année, n°3 à 12, Mars à Décembre 1913.

257 « R. Gélinet, « Le VIIIème Concours international de Ski. Impressions d’un skieur », La Montagne,

pour les joies de la glisse, la découverte de nouveaux espaces ou le plaisir de la victoire mais dans l’optique future de défendre son territoire : « Le Club Alpin Français doit être justement fier du résultat de ses efforts qui lui ont assuré la maîtrise du sport du ski en France. Mais cette maîtrise, nous devons l’exercer uniquement en vue de développer, davantage encore, la pratique si utilitaire du ski »258. Derrière les finalités sportives et touristiques se cache toujours la pratique utilitaire du ski qui vient justifier l’ensemble des efforts mis en œuvre.

Pour conclure ce cinquième temps d’analyse, nous avons pu montrer que la pratique du ski se formalise progressivement en se structurant autour de trois profils de pratiquants : les « puristes », les « touristes » et les « compétiteurs ». Afin d’encadrer et de développer leur pratique dans les meilleures conditions, les acteurs du ski ne cessent de multiplier les occasions de pratiquer le ski et de faciliter l’accès à l’activité, révélant des motivations et des objectifs divers et variés. Toutefois, cette expansion continue du ski n’est permise que par la finalité utilitaire qu’elle vise, la pratique n’étant pas une fin en soi mais un moyen inscrit dans un vaste projet patriotique : « L’organisation et la pratique du tourisme et des sport d’hiver en montagnes françaises constituent, en effet, une œuvre nationale qui peut hautement réclamer le dévouement et le concours de chacun, dans l’intérêt même de tous – dans l’intérêt supérieur du pays, de sa prospérité et de sa force »259. Dans un contexte sociétal européen de plus en plus instable

(Duroselle, 1995, op. cit., 152), « Le sport, c’est un fait admis par tous aujourd’hui, est la meilleure arme que nous puissions donner à la jeunesse pour lui permettre de se défendre contre les tentations malsaines : pour conserver une race saine et forte. A une époque où l’horizon s’assombrit de jour en jour, où la France a besoin de toutes ses forces, nous avons le devoir impérieux de ne rien négliger, (…) pour maintenant et pour l’avenir »260. L’investissement du ski est donc un pari pour l’avenir, son développement devant permettre à chacun

258 « Chronique du CAF – Direction centrale – Sociétés de ski affiliées », La Montagne, 7ème année,

n°12, décembre 1911, 729-730.

259 A. Ballif, « Les grandes semaines d’hiver du TCF – Le couronnement de l’œuvre », Le Figaro,

n°37, 06/02/1912.

260 R. Gélinet, « Le VIIème Concours international d’un skieur », La Montagne, 9ème année, n°3, mars

d’œuvrer à la défense nationale. Ainsi, « l’élan est donné et rien, certes, ne saurait plus l’arrêter » 261, le ski continue de se propager selon sa triple finalité dont l’existence est justifiée par l’utilitarisme de l’activité. Finalement, son aventure est avant tout patriotique et l’individu ne peut y participer qu’en s’inscrivant dans un vaste projet national.

261 A. Ballif, « Les grandes semaines d’hiver du TCF – Le couronnement de l’œuvre », Le Figaro,

6. 1914 : Le temps du bilan, quelle pratique, pour qui, par qui ?

1914 marque la dernière année de notre périodisation, fin de la Belle- Epoque et entrée dans une période de crises qui conduiront, en août, à la déclaration, par l’Etat français, de la mobilisation générale pour la Première guerre mondiale (Duroselle, 1995, op. cit., 164). Cette dernière année permet de faire le bilan sur l’évolution de la pratique du ski, et plus particulièrement du ski de fond depuis 1894. Tout au long de ces vingt années, le Club demeure l’acteur majeur de la diffusion du ski quelle que soit la finalité visée. Entourée de ses plus proches collaborateurs, l’Armée française, le TCF et les sociétés affiliées, cette association a participé à la transformation de l’espace montagnard tant dans les activités proposées, que dans son aménagement à la fois spatial et temporel. Le ski s’est donc propagé sur l’ensemble du territoire français, dans les actes et les pensées, en se diversifiant dans ses formes de pratiques et dans les motivations individuelles qu’il sous-tend, malgré la persistance d’une finalité patriotique inscrivant tout skieur dans un projet national collectif visant le développement d’une nation forte et puissante. Investir la montagne, pour les différents protagonistes de l’organisation du ski, c’est donc s’engager dans un espace géostratégique sensible et propice à la diffusion de discours idéologiques (Morales, 2007a, op. cit.) révélant les justifications politiques d’une pratique sociale.