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« Le CAF, fondé le 2 avril 1874, est une association reconnue d’utilité publique (le 31 mars 1882), dont le but est de répandre la connaissance des pays de montagne et des régions pittoresques de la France, d’en faciliter l’accès et de faire bénéficier ses Membres des spectacles grandioses et des saines fatigues que procurent les séjours et les excursions en montagne. (…) Son influence est considérablement bienfaisante à l’égard des populations des pays montagneux dont l’existence si rude est grandement améliorée par les profits du tourisme »262.

Cet extrait paru dans La Montagne rappelle les différents objectifs poursuivis par le CAF : connaissance du milieu montagnard, organisation de la pratique sportive du ski, facilitation de l’accès aux terrains de pratiques des sports d’hiver, désenclavement des populations des pays montagneux en apportant de nouveaux moyens de transport mais également en développant le secteur du tourisme. Chargés d’assurer la gestion des pratiques hivernales, le CAF et ses membres se sont rapidement appropriés la pratique du ski afin d’en faire un outil d’exploration mais également un support de finalités à la fois patriotiques, touristiques et sportives induisant l’émergence de formes de pratiques différenciées entre un « ski sport » et un « ski transport » induisant des motifs d’agir divergents et individuels. Par ses différentes actions, développées ci-dessous, le CAF s’impose donc comme un acteur majeur dans le développement et l’organisation du ski sur le territoire français.

a. L’organisation des Concours de ski

Les Concours internationaux de ski sont, depuis 1907, un événement majeur dans le paysage des sports d’hiver. Ceux-ci ont participé à l’implantation du ski dans l’ensemble des territoires de montagne grâce au choix de la Direction du CAF de les organiser dans un massif différent chaque année. Ils représentent une des plus grosses œuvres du Club qui continue d’investir d’importantes sommes pour leur réalisation puisque le comité de direction ouvre un crédit de 3000 francs (environ 8000€ ; Jeanneney, op. cit.) en faveur de leur organisation en juin 1914263. L’investissement pour ces concours est donc de plus en plus important avec un budget accordé qui a triplé en six ans.

Néanmoins, l’impact de ces concours est d’autant plus conséquent que d’autres associations de sports d’hiver organisent, elles aussi, leurs propres concours afin de diffuser la pratique du ski, à l’image du TCF ou des sociétés de ski affiliées au CAF. De plus, 1914 est également marquée par l’investissement des hôteliers dans le champ du « ski sport ». En effet, ces derniers se mettent également à organiser leurs propres concours dans le but de développer leur

263 « Chronique du CAF – Comité de direction – Séance du 17 juin 1914 », La Montagne, 10ème année,

clientèle à l’image du challenge des hôteliers de Gérardmer proposant une course de skis par équipe264 et impactant, de fait, le taux de fréquentation des hôtels de la station. Le temps sportif s’organise alors tout au long de la saison hivernale via l’émergence d’un calendrier sportif de plus en plus rempli proposant chaque semaine de nombreux concours sur l’ensemble du territoire. Cette organisation temporelle de la pratique marque une étape essentielle dans le processus de sportivisation du ski qui, sous cette forme, s’incarne dans une véritable activité sportive réglementée et codifiée par une instance gérant son déroulement dans le temps et l’espace (Arnaud, 1995, op. cit., 1).

Ainsi, l’organisation des concours de ski est un élément essentiel de la diffusion et du développement de la pratique du ski sur le territoire français. Elle permet d’accroître la visibilité de l’activité et, par conséquent, de diffuser sa connaissance auprès d’un nombre croissant de Français. Ces concours participent également à la mise en forme sportive du ski en offrant des conditions d’affrontement équitables et justes qui permettent de désigner un vainqueur (Guttmann, op. cit., 38). En instaurant une forme, a priori, non utilitaire de pratique physique, les courses organisées font du ski un sport à part entière selon le modèle d’intelligibilité développé par Guttmann (Ibid., 204). Même si le ski de fond n’existe pas encore, cette forme de pratique difficilement définissable du ski s’impose comme un sport sur le territoire français et dans les pensées collectives.

b. La multiplication des sociétés affiliées

Le second champ d’action du CAF concerne la structuration de son réseau de sociétés affiliées s’élevant au nombre de 83 en avril 1914265. L’adhésion de ces

clubs permet au CAF de développer son action sur l’ensemble du territoire français puisque, pour être affiliés, ceux-ci doivent signer les règlements du Club et notamment respecter celui concernant l’organisation des concours de ski. Ainsi, la grande majorité des compétitions organisées le sont sur le même modèle permettant la diffusion d’un discours unifié concernant la mise en œuvre du « ski sport ». En outre, cette multiplication des sociétés affiliées participe aussi à faire

264 « Sports de glace », Le Figaro, n°41, 10/02/1914.

du ski un sport moderne à part entière en permettant une forme de bureaucratisation de la pratique (Guttmann, op. cit., 77) dont un des objectif est de faciliter la mise en place d’un ensemble de compétitions. La mise en forme sportive du ski continue donc son chemin, s’éloignant, pour cette modalité de la pratique, du « ski transport » plus utilitaire.

Ainsi, le Club, par ces deux préoccupations liées à l’organisation de la pratique et de ses manifestations, s’intègre parfaitement dans la structuration du champ sportif, et notamment des sports d’hiver, qui s’organise progressivement au début du XXème siècle. A ce propos, Le Figaro rapporte que, durant le Congrès des

Comités olympiques nationaux, tenu à Paris, la décision est adoptée de faire des sports d’hiver une épreuve facultative lors des Jeux Olympiques. L’objectif de ce Congrès est d’établir un programme uniforme pour les prochaines éditions des Jeux en édictant des règles partagées et approuvées par tous266. Toutefois, le choix est fait d’écarter le ski de la catégorie des « sports d’hiver » et seul le patinage de figure a été agréé en tant que pratique olympique facultative267. Si le ski est érigé

au rang de sport moderne et en possède de nombreuses caractéristiques, il n’est toutefois pas encore reconnu comme un sport olympique. Les raisons de cette mise à l’écart ne sont pas données mais concernent, certainement, les difficultés d’organisation d’une partie hivernale des Jeux Olympiques puisque le ski, en tant que pratique sportive, répond à la vision du Comité International Olympique (CIO) : « L’essence du sport c’est l’effort ; son condiment indispensable, c’est le concours »268. La forte participation de concurrents « professionnels » dans les concours régionaux et internationaux semble aussi représenter un frein à l’inscription du ski au programme olympique (Carpentier, 2006). Il faudra attendre 1924 pour que des Jeux Olympiques d’hiver soient organisés et que le ski soit inscrit au programme. Le ski n’est donc pas encore arrivé à sa forme sportive finale, si nous considérons l’activité olympique qu’il représente actuellement comme telle, mais progresse en ce sens via le développement et l’évolution des

266 « VI Congrès olympique - Paris 1914 ». Olympics (blog), s. d.

https://www.olympic.org/fr/congres-olympique-paris-1914.

267 F. Reichel, « Le Congrès des Comités olympiques nationaux », Le Figaro, n°173, 22/06/1914. 268 Revue olympique : Bulletin trimestriel du Comité international olympique, Auxerre, octobre

différents concours tant locaux qu’internationaux. Toutefois la mise en forme sportive du ski n’est pas le seul espace d’investissement du CAF qui s’engage également fortement dans le « ski transport », orienté par une finalité plus utilitaire.

c. L’œuvre sociale

Le troisième champ d’action investi par le CAF à la fin de notre période d’étude s’éloigne du « ski sport » pour s’intéresser à une forme plus utilitaire de pratique se rapprochant du « ski transport », sous-tendue par des objectifs sociaux. Dans cette optique, la collecte de dons, initiée en 1913 pour offrir des skis aux petits montagnards continue pour la seconde année. En février 1914 le total de celle-ci monte à 667,5 francs269, permettant alors de distribuer 55 paires de skis

durant l’hiver 1914270. Cependant, aucune information n’est communiquée sur qui bénéficie réellement des dons collectés, ni sur les retombées de cette collecte. Toutefois, cette action permet de révéler l’investissement du CAF dans des objectifs plus utilitaires puisque le but de cette action est de permettre aux petits montagnards de se former, dès leur plus jeune âge, à la pratique du ski afin de devenir, plus tard et pour certains, des officiers compétents capables de défendre leur pays et de transmettre leur savoir-faire dans les bataillons alpins ; traduisant le lien puissant qui lie, au début du XXème siècle, les pratiques corporelles à

l’éducation et à la morale républicaine (Morales, 2007a, op. cit.).

Ainsi, l’œuvre sociale du CAF s’inscrit dans une perspective à plus long terme que son investissement dans le champ sportif. L’objectif est de permettre à la France d’être une nation forte et puissante sur l’échiquier européen via les qualités physiques et morales de ses habitants, des caractéristiques essentielles que la pratique du ski permet de développer en engageant chaque citoyen dans un projet national facteur de cohésion sociale – élément indispensable du patriotisme républicain désormais bien implanté dans l’opinion (Caron & Vernus, op. cit., 345).

269 La Montagne, 10ème année, n°2, Février 1914, 108. 270 La Montagne, 10ème année, n°4, Avril 1914, 241.

Entre mise en forme sportive du ski et utilisation de cette activité à des fins utilitaires le CAF fait de cette pratique un outil essentiel dans l’espace des sports d’hiver. Ses différentes actions participent à l’émergence de formes différenciées de pratique correspondant à des motivations diverses et donc à des façons de faire du ski spécifiques. Toutefois, le peu d’articles parus en 1914 ne divulguent pas d’informations sur le matériel utilisé ne nous permettant pas d’attester ou non d’une évolution de celui-ci vers un ski s’apparentant plus à un ski de fond ou de randonnée. Néanmoins, quelle que soit la pratique investie, même si l’engagement est généralement personnel, les finalités qui sous-tendent chaque modalité demeurent collectives dans un espace social pourtant marqué par une montée de l’individualisme (Renaud, 2009, op. cit., 36).

B. La pratique du ski : mise en avant des individualités au service