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Pourquoi, en situation de crise, se préoccuper du long terme ?

Dans le document Les économistes et la croissance verte (Page 41-45)

Les arguments pour se concentrer sur le court terme sont plus nombreux et tentants que jamais : la crise financière est violente, son issue incertaine en Europe et incite à la plus grande prudence. Les budgets publics sont en crise, avec des conditions de financement aggravées en France par la perte du AAA. La compétition internationale est plus féroce que jamais. La situation économique se dégrade en Europe et semble tendre vers la récession. Les banquiers durcissent les critères de sélection des dossiers et poussent donc à privilégier les investissements à retour rapide.

Pour autant, plus que jamais, il est impératif d’investir sur des enjeux de long terme. Les efforts de lutte contre le changement climatique, de réduction de l’érosion de la biodiversité terrestre et marine, de réduction de la dépendance aux énergies fossiles et aux ressources minérales doivent être poursuivis et amplifiés pour plusieurs raisons.

Les coûts d’une action différée

Tout d’abord, au plan de la lutte contre le changement climatique, les trajectoires d’émissions de GES qui permettent de limiter la température au-dessous de 2 °C à terme sont toutes en forme de cloche : elles passent par un maximum d’émissions puis décroissent.

Plus la date du maximum est repoussée, plus la pente ultérieure est forte, ce qui correspond à des rythmes de décroissance des émissions difficiles, voire impossibles à atteindre (cf. figure 1).

Alain Grandjean

Est co-fondateur et associé de Carbone 4, membre du Conseil économique pour le développement durable (CEDD).

figure 1 : « Plus nous attendons, plus cela sera difficile… »

De plus, faire passer les émissions de l’ordre de 10 tonnes de eqCO2 en moyenne par Français à un chiffre de l’ordre de 2 à horizon 2050 nécessite à l’évidence des modifications substantielles du cadre de vie et des modèles de production et de consommation (cf. encadré) : il ne suffira pas de devenir plus sobres, même si ce sera nécessaire.

Encadré : Points de repères sur l’ampleur de la rupture à opérer

Inventée par l’économiste japonais Yoichi Kaya, l’équation du même nom établit un lien entre les émissions mondiales de CO2, l’énergie, la population et la croissance du PIB. Elle décompose simplement les émissions de CO2 en une série de facteurs.

Cette équation permet de visualiser l'ampleur de la rupture à réaliser avec la trajectoire d'émissions au fil de l'eau pour diviser par 2 ou par 3 les émissions mondiales de CO2 d’ici 2050. Dans la partie droite de l’équation, la population va être multipliée par 1,5 d’ici 2050. Nous souhaiterons, dans le même temps faire croître le bien-être de la population, d’une part, parce qu’une partie importante de la population mondiale vit aujourd’hui dans des conditions inacceptables, d’autre part, pour maintenir le niveau de vie de ceux qui vivent déjà dans des conditions décentes. Une croissance de 2 % représenterait une multiplication par 2,7 du revenu moyen par tête. Au total, le PIB mondial serait donc multiplié par quatre environ d’ici 2050.

Pour diviser par deux les émissions mondiales de CO2, il faudrait donc réduire au moins d’un facteur huit les deux premiers facteurs, à savoir le contenu CO2 de l’énergie et le contenu énergétique de l’économie.

Certes, nous avons, au cours des dernières décennies, fait des progrès sur ces deux termes. Mais, dans les 30 dernières années, nous avons réduit de seulement 10 % le contenu CO2 de l’énergie et de l’ordre de 30 % le contenu en énergie de l’économie. Au total ces deux facteurs ne se sont réduits que de 37 % sur 30 ans. Il va donc falloir faire 6 à 7 fois mieux chaque année dans les 40 prochaines années que dans les 30 dernières années…

source : rapport du CEDD sur la croissance verte, Crifo P., Debonneuil M., Grandjean A.

Ces évolutions nécessitent des investissements lourds et un effort important sur une durée longue. Rénover un parc de 30 millions de logements prend 30 ans à raison d’1 million de logements par an, et 100 ans à raison de 300 000 logements par an.

Là aussi, tout « retard au démarrage » rend l’atteinte de l’objectif plus difficile. Ce d’autant que l’appareil de production pour réaliser ces investissements pourrait être alors sur-sollicité, ce qui provoquerait des tensions inflationnistes.

Tout retard dans l’action augmente la probabilité d’occurrence d’événements climatiques extrêmes et de désordres climatiques coûteux au plan économique (cf.

figure 2). Les coûts de l’adaptation s’ajouteront donc aux coûts de l’atténuation. Il pourrait y avoir des conflits d’usages de ressources rendant d’ailleurs impossible la poursuite des deux objectifs, qui se conçoivent dans une économie qui a de toutes façons aussi besoin de ces ressources : le pétrole qui sera nécessaire pour déplacer des populations entières suite à un événement climatique extrême ne sera pas disponible pour autre chose.

Figure 2 : Exemples d’impacts dus à l’augmentation des températures moyennes de la planète

Les enjeux économiques et sociaux

La course à l’innovation et la compétition pour la recherche de solutions technologiques bas-carbone est déjà lancée. La France a des atouts et des intérêts évidents. Comme l’Europe dans son ensemble, elle est pauvre en ressources énergétiques et minérales. Elle a donc intérêt à se lancer vite dans cette bataille, sous peine de se retrouver dans des situations de dépendance multipliées. En effet, la facture énergétique (de l’ordre de 50 milliards d’euros) a été égale en 2010 au déficit de la balance commerciale. Les actions pour réduire cette facture – qui réduisent l’empreinte carbone de la France réduisent son déficit – permettent toutes choses égales par ailleurs de créer de l’emploi.

Au plan social, la poursuite de la hausse du prix du pétrole (a minima son maintien dans une zone de prix de 100 à 120 dollars le baril) associée à une hausse inévitable des prix de l’électricité va aussi aggraver le nombre de ménages en situation de précarité énergétique. Toute action de maîtrise de la demande sera donc de nature à réduire cette précarité.

Plus généralement, les coûts sociaux de la transition de notre modèle à un modèle sobre en ressources et bas-carbone seront moins élevés, si cette transition est largement anticipée : le programme important d’investissements à réaliser pour réussir la transition énergétique et écologique dans des conditions optimales aux plans économique et social aura, s’il est fait intelligemment, des bénéfices raides en termes de compétitivité et de création d’emplois. Tout retard réduit ces bénéfices.

Dans le document Les économistes et la croissance verte (Page 41-45)

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