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L’apport des valeurs tutélaires et l’évaluation coûts- coûts-bénéfices des politiques publiques

Dans le document Les économistes et la croissance verte (Page 65-69)

Les analyses coûts-avantages constituent un des moyens efficaces pour éclairer la décision publique et pour évaluer les politiques publiques.

L’ambition de cette approche est bien de mesurer concrètement l’utilité sociale des dépenses publiques, et de rendre cohérent les arbitrages collectifs compte tenu du fait que les ressources disponibles sont limitées. En effet, dans un contexte de fortes contraintes budgétaires, la question de l’optimisation de l’usage des ressources publiques est incontournable. Pour légitimer les engagements et les efforts, il devient essentiel, y compris du point de vue politique, de mesurer leurs impacts sur la société.

L’outil du calcul économique intègre de nombreuses dimensions, dimension financière, environnementale, sociale, sanitaire, etc., mais aussi des temporalités différentes, le court, le moyen, le long et le très long terme, et des groupes spécifiques de populations. C’est aussi un outil qui peut alimenter la réflexion collective et les échanges, et aider par là aux résorptions potentielles des désaccords, créer du consensus dans la société sur tel ou tel sujet.

Les applications du calcul socio-économique sont nombreuses et vont des autorisations de nouveaux médicaments aux investissements dans les infrastructures, par exemple les infrastructures de transport ou de production d’énergie, à l’urbanisation des zones exposées, aux innovations biogénétiques, ou encore la stratégie de placement des actifs du fonds de réserve des retraites.

Dégager l’analyse économique des seules considérations financières

Si une collectivité décide d’investir les ressources dont elle dispose dans un ouvrage ou un service, c’est parce que ceux-là produisent une certaine utilité sociale : un théâtre, un hôpital, une route, un commissariat de police, une université ont une

Luc Baumstark

Université de Lyon, Laboratoire GATE-CNRS ULT 5824.

Membre du Conseil économique pour le développement du-rable (CEDD).

n’a pas forcément de traduction marchande immédiate à opposer aux financements de ces ouvrages ou services. L’utilité économique est en général difficile à chiffrer et le processus de décision se contente bien souvent d’une évaluation « intuitive et politique » et le calcul économique se limite alors aux seuls calculs financiers qui pèsent considérablement dans le processus décisionnel. C’est tout l’enjeu du travail sur les référentiels.

Dans un grand nombre d’administrations, on a vu ainsi émerger des cadres de référence qui cherchent à donner une valeur monétaire à ce qui n’a pas de prix sur les marchés, notamment dans le domaine environnemental en raison de la montée de ces considérations dans l’agenda politique. Ces cadres référentiels sont déterminants.

L’administration française dispose de toute une tradition historique, qui s’est développée dans les grands corps d’Etat, et qui a été mise en œuvre notamment dans le pilotage des investissements publics dans les secteurs économiques du transport et de l’énergie. Même si le retrait du rôle de l’Etat dans la sphère productive s’est accéléré depuis les années 80, même si l’ambition d’un système général de planification qui a pu exister dans la programmation des investissements s’est étiolée avec l’introduction de la concurrence dans les facilités essentielles et les industries de réseaux, même si la décentralisation à réduit l’espace d’implication directe de l’Etat central sur les investissements, même si certaines fonctions de régulation ont été transférées à des agences, la doctrine du calcul économique est restée vive dans certaines administrations (Direction de la Prévision, Commissariat général du Plan puis le Centre d’Analyse stratégique).

Ce sont dans ces lieux que se sont développés, en relation avec le milieu académique, des référentiels susceptibles d’élargir le champ de l’évaluation dans un cadre théorique cohérent : la valeur du temps, la valeur de la vie humaine et quelques valeurs environnementales en matière de pollutions environnementales et sonores (rapport Boiteux), la valeur du carbone (rapport Quinet), la prise en compte du futur et du risque dans l’évaluation (rapports Lebègue et Gollier), une première avancée sur la valeur économique de la biodiversité (rapport Chevassus-au-Louis).

Ces référentiels peuvent avoir de multiples usages : fixer de manière tutélaire des valeurs donnant des perspectives à l’ensemble des acteurs alors que les marchés sont défaillants pour prendre en compte certaines réalités auxquelles la collectivité attache du prix, donner des bases pour construire des fiscalités, déterminer les modalités de mise en œuvre de normes et de réglementations en rapport avec la valeur des bénéfices attendus de l’action publique.

Adapter le calcul économique, pour répondre aux critiques

Ces méthodes ont toujours été contestées cependant, et ce d’autant plus qu’on envisageait de les appliquer à des secteurs (culture, santé, sécurité, éducation) qu’on souhaitait justement écarter des logiques marchandes. La critique est souvent radicale : ces outils véhiculeraient une problématique pseudo-scientifique reposant sur les fondements d’une théorie de l’utilité contestable, renforceraient un pouvoir

démocratiser, chercheraient à ramener des systèmes de valeurs irréductibles à une même unité de mesure de surcroît monétaire…

Le calcul socioéconomique, qui n’est pas exclusif d’autres approches dont il peut être un complément utile, est pourtant un outil incontournable pour éclairer la décision publique, mais il reste encore insuffisamment pratiqué en France, contrairement à ce qu’on observe dans beaucoup d’autres pays, notamment anglo-saxons.

Pour cela, l’analyse théorique ne peut pas s’enfermer dans la technicité des calculs et des modèles sans s’inquiéter de leur appropriation sociale et politique dans le processus de décision au risque de ruiner l’utilité sociale du calcul économique et de le réduire à une pure spéculation intellectuelle.

La qualité du processus de production d’un cadre de référence unique représente une des clefs importantes pour avancer dans ce sens et améliorer l’organisation du débat sur l’utilité sociale des dépenses publiques.

L’expérience du commissariat général au Plan permet ici de tirer un certain nombre d’enseignements :

- garantir la neutralité des valeurs de référence. La production des méthodes d’évaluation de ces valeurs doit être indépendante des préoccupations du moment, notamment de celles des lobbies qui se forment sur tel ou tel projet. Ces valeurs doivent être établies dans un lieu ouvert et reconnu, associant des expertises diverses, garantissant et crédibilisant les normes proposées. Le processus de production lui-même doit être transparent pour pouvoir être contesté. Cela suppose un dialogue entre les sciences économiques et les autres disciplines des sciences y compris les autres sciences sociales et juridiques.

- assurer la continuité du processus de co-production du système de valeurs. Il importe également que le processus ne soit pas figé pour qu’il reste en phase avec la réalité sociale. Cela suppose la permanence dans le temps du cadre de production de ces valeurs. Ce cadre doit assurer l’interaction entre les utilisateurs de ces valeurs, les attentes et les préoccupations de la population comme des décideurs, ainsi qu’entre la recherche théorique et appliquée. Il est notamment nécessaire d’élargir le spectre des valeurs en s’attachant à ce qui est le plus difficile à appréhender et qui touche par exemple à l’équité territoriale et sociale, ou encore à l’appréhension des effets de long terme. Cela suppose de capitaliser toute information utile.

- diminuer le coût d’usage des outils. Une des difficultés importante pour la diffusion de tels référentiels réside dans le coût de leur usage. Le réduire passe par le développement de guides de bonnes pratiques. Ces guides, sous réserve qu’ils émanent bien d’échanges entre professionnels des secteurs et universitaires, pourraient conduire à définir des procédures opératoires susceptibles d’encourager la généralisation de ces pratiques d’évaluation. Leur élaboration permettrait aussi de répertorier les points sur lesquels des études et des recherches mériteraient d’être lancées. Cela passe ensuite par l’animation et la formation sur le long terme des

d’évaluation de ce type. Cela passe encore par la capitalisation des expériences.

- inscrire la production de ces valeurs dans un processus politique d’évaluation réglementé. L’investissement dans ce processus de production ne peut sans doute être entrepris que s’il est partagé entre les acteurs et que s’il existe des incitations pour l’utiliser : alimenter un argumentaire contradictoire, demander des compensations ou des indemnités, défendre ou promouvoir un projet. Les analyses en matière de valorisation environnementale se sont ainsi d’autant plus développées qu’elles étaient attendues dans les contentieux, pour le calcul des indemnités suite à des catastrophes écologiques.

La nécessité de référentiels pour appréhender la valeur de la vie humaine dans les processus de décisions économiques

Un grand nombre de décisions publiques très sensibles et souvent très discutées portent sur des domaines qui ont un impact sur la vie collective et la vie de tout un chacun : sécurité sanitaire, sécurité alimentaire, sécurité des personnes, etc.

L’analyse coûts-avantages revient alors à établir une comparaison entre les questions d’efficacité et la valeur collective attribuée à la vie. Il est toujours extrêmement difficile d’accepter que la vie humaine ou la qualité de cette vie puisse faire l’objet d’un calcul économique et d’une valorisation monétaire pour les opposer aux dépenses publiques engagées, même si cette question, de manière certes implicite, se pose en permanence lors des arbitrages que font la collectivité et les individus eux-mêmes.

Si un surcroît de dépense pouvait suffire à prévenir l’ensemble des risques qui s’attachent à un projet, la question serait simple. Malheureusement, le risque zéro n’existe pas. Dès lors, la question se pose en termes de dépenses à consentir pour éviter un évènement par essence incertain. Jusqu’où aller par exemple pour garantir une diminution de 10 % des accidents mortels sur notre réseau routier ? Jusqu’où vacciner pour diminuer de 5 % la probabilité d’une pandémie grippale ? À quelle hauteur faut-il fixer le risque acceptable pour ce qui concerne l’énergie nucléaire ? etc.

Le référentiel correspondant est à construire, ce sujet n’ayant pas reçu jusqu’à présent la même attention que les autres valeurs tutélaires. Les récentes évolutions en matière de santé publique en France engagent d’ailleurs un processus de normalisation pour les études médico économiques, notamment à la Haute autorité de santé, dans lesquelles la question des référentiels va se poser avec une acuité.

L’enjeu: comment passer des réflexions académiques nombreuses sur la valeur de la vie humaine à une application socialement utile et politiquement acceptée?

Dans le document Les économistes et la croissance verte (Page 65-69)

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