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C) Discussion

3) SIDA et histoire sociétale

A part un participant, aucun autre n’a ouvertement manifesté sa peur des autres IST. En effet, elles n’ont pas la même charge émotionnelle ni la même histoire que le VIH. Plusieurs d’entre eux ont connu le début du SIDA et vécu ce qu’être gay avant les trithérapies pouvait impliquer. La plupart ont lu les récits d’Hervé Guibert notamment sur le vécu de cette maladie, à l’époque incurable, mortelle et invisible.

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Toutes ces préoccupations autour du SIDA leur font donc minimiser les risques et dangers des autres IST ou bien tout simplement ignorer ces risques. En effet, malgré le fait qu’elles peuvent être source de dérangement certains, elles n’ont pas la même valeur symbolique que le VIH. Elles sont avant tout curables et surtout, contrairement au SIDA, leurs histoires ne se confondent pas avec celle de la communauté homosexuelle.

Un des participants aborde la découverte de son homosexualité et surtout le moment où il l’a révélé à son entourage. « la réaction de mes potes quand je leur ai dit que j’aimais les

garçons leur première réaction ça a été « tu vas choper le SIDA » » (E3).

Il est intéressant de voir que les mentalités et nos peurs fondamentales n’ont semblent elles peu évolué sur certains points.

Une particularité distingue le SIDA des autres maladies : l’épidémie en France, comme dans l’ensemble des pays industrialisés, s’est développée principalement au sein de groupes socialement déterminés, dont les deux principaux sont les homosexuels masculins et les usagers de drogues par voie intraveineuse. Les stigmates dont ces deux groupes sont porteurs ont entâché d’emblée le SIDA d’une valence doublement négative et d’une forte charge symbolique.

En schématisant, on peut dire qu’une première période de stigmatisation des groupes les plus touchés a suivi celle du déni de la diffusion sélective de l’épidémie. Avant que la majorité de la population n’admette les normes préventives prônées par la médecine et les politiques publiques, l’idée d’une épidémie de l’altérité et des marges allait pouvoir fonctionner comme une « protection imaginaire » mais néanmoins « efficace » pour beaucoup, tant le SIDA tardait à déborder les frontières des « groupes à risque ».

C’est ainsi que dans les pays industrialisés, au cours de la première décennie, s’est construite une épidémie à deux vitesses et à deux visages : dans les discours officiels, une maladie concernant indistinctement l’ensemble de la population: dans l’expérience directe du SIDA, une épidémie cantonnée aux homosexuels et aux usagers de drogues.

Comme le soulignait un des interviewés, encore aujourd’hui on associe très rapidement homosexualité et SIDA/VIH. Cette réalité est combattue efficacement par la PrEP qui est une arme contre la transmission du virus et contre cette idée que certains se sont forgés autour de la fatalité gay/SIDA. Plusieurs d’entre eux expliquent avoir connu des gens séropositifs dont

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certains sont morts. Ils ont donc un lieu avec le VIH et celui-ci qui fait partie intégrante de leur vie sociale (de près ou de loin) et de leur vie sexuelle.

4) Sexualité et PrEP

Une chose intéressante concerne leur rapport au sperme. Lorsqu’on leur demande par quel moyen le VIH et les autres IST se transmettent ils, ils répondent majoritairement par le sperme et ne citent même pas pour certains le sang et les contacts avec les muqueuses.

Lorsqu’on leur demande si leur rapport au corps et au sperme a changé, beaucoup vont expliquer qu’ils n’ont plus cette appréhension, cette méfiance vis à vis du liquide séminal. Cela peut traduire une diminution de la peur du risque de transmission majeur, une perception du risque de transmission modifiée car, grâce à la PrEP ce risque semble, pour beaucoup, quasi nul.

Dans le cadre du problème de la déshinibition, la plupart des participants relatent une augmentation moindre voire inexistante du nombre de partenaire sexuel. En revanche, certains expliquent qu’ils n’utilisent que peu, voir pas le préservatif, en expliquant que le risque de transmission du VIH est quasi nul et que les autres IST, parce que curables et peu handicapantes, ne leur font pas peur. On est face à une forme de désinhibition sexuelle issue du relâchement des barrières psychiques qui empêchaient l’exécution de la fonction sexuelle, d’un désir ou d’un fantasme présent de manière consciente ou inconsciente chez un individu.

Elle s’oppose à l’inhibition, en l’occurrence sexuelle dans ce cas, processus antagoniste qui, selon Freud, a pour fonction d’éviter les angoisses liées à la réalisation au surgissement d’un conflit psychique (entre le ça et le moi) et entraine le refoulement de la motion pulsionnelle. Celle-ci apparaît sous forme de symptôme, dont le principal est le blocage fonctionnel. Dans le cas de l’inhibition sexuelle, issue d’une démarche de prévention instiguant la peur de la contamination et la mort (symbolique ou physique), le symptôme se manifestera par le dégoût et/ou la culpabilité.

Il s’installe à la suite d’un acte sexuel où, de manière passive, l’individu assiste à son manque de prévention.

Il peut d’ailleurs être à l’origine d’actions compulsives de nature phobiques se manifestant par des attitudes d’évitement des situations anxiogènes (dépistages des IST) ou comportements

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obsessionnels dans le cadre de la prévention de la contamination par le VIH (dépistages à répétition).

On voit donc que cette inhibition sexuelle, responsable d’une culpabilité, conduit peut-être les individus à ne pas ou peu se dépister régulièrement. La désinhibition a donc permis aussi, une disparition des angoisses en rapport avec le dépistage.

De manière quasi unanime, les participants reconnaissent que grâce à la PrEP, le suivi par des tests trimestriels, leur a apporté un confort psychologique et ils reconnaissent qu’ils sont plus sereins. Avant, chaque dépistage les effrayait, expliquant probablement en partie pourquoi ils n’en faisaient qu’occasionnellement. Cette explication peut aussi probablement s’appliquer à la population pour expliquer le peu de tests effectués par les gens interrogés. En effet selon le sondage Ifop de 2015, seule une petite majorité de jeunes de 15 à 24 ans ayant eu un rapport sexuel dans l’année écoulée, déclare avoir déjà effectué un test (52%, et seulement 42% pour les hommes), et la proportion n’est pas beaucoup plus importante chez les personnes pour qui ce rapport était sans protection : 55% d’entre eux déclarent qu’ils ont effectué́ un test de dépistage, et 50% seulement affirment que leur partenaire a aussi effectué un test.

On pourra souligner l’importance pour les participants, de ressentir une protection supplémentaire avec la PrEP, (en accord avec d’autres études) participant ainsi à une sexualité moins marquée par l’angoisse et la peur. (59, 60)

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