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langage dominant et scripts corporels

Section 1. L’appropriation du script corporel sexualisant

I. Sexualisation et corps féminins

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Par les technologies de corps structurant le male gaze et structurées par lui, le corps féminin se trouve sexualisé, et a fortiori la nudité féminine. A partir de trois exemples qui montrent ce que produisent les technologies de corps, il s’agit d’examiner comment la sexualisation du corps féminin se fonde sur la fiction d’un corps et d’une sexualité féminines qui seraient à la disposition du regard et du désir masculin. Il s’agira aussi d’examiner les effets du script corporel d’une féminité sexualisée sur les corps réels, sur la subjectivité des acteur-trice-s sociaux-sociales.

La structure androcentrique et hétérocentrique des imaginaires sur les corpz.

Les fictions hégémoniques de corps façonnent donc le regard qu’un-e acteur-rice social-e porte sur son propre corps et les pratiques envers lui, mais aussi le regard et les pratiques sur les autres corps. Les propos de Marie Docher sur les FEMEN, tirés d’une discussion informelle que j’ai eue avec elle sur Facebook, sont intéressants en ce sens. Je précise que Marie est elle-même photographe :

Si tu travailles pour la presse, tu vas par exemple rechercher celles qui ont une présence physique très forte, qui jouent leur rôle parfaitement. A ce jeu avec les photographes, Inna est parfaite. Elle joue avec ça de façon très pro et sa plastique sert le propos. Par contre on invisibilise celles qui sont "normales", petits bourrelets, petits seins ou hanches larges et du coup, on laisse croire qu'elles sont gabarisées. C'est faux mais la responsabilité des photographes et des iconographes est importante dans cette croyance. Pendant toute l'action j'ai dû lutter avec ce qui m'attirait, avec un regard que je sentais pré-formaté. Heureusement que je ne suis pas photographe de presse.

Le propos de Marie est intéressant, en ce qu’il amène à considérer l’idée selon laquelle les scripts corporels précèderaient les corps réels et fonderaient certaines pratiques envers les corps. Ce sont les scripts corporels qui déterminent, selon les logiques androcentriques et hétérocentriques, si un corps est digne d’être montré ou non et qui structurent le regard des photographes, fondant leur jugement esthétique sur les corps qu’ils voient, ainsi que leur choix de les photographier ou non. Ce faisant, ils participent du verrouillage du regard, en ceci que la pratique photographique est structurée pour proposer des images de corps selon les standards de beauté, déjà établis dans l’œil des photographes

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qui, s’ils-elles n’ont pas conscience du conditionnement de leur regard, ne peuvent que proposer et reproduire les images de corps féminins. On peut penser que l’engagement féministe de Marie lui permet un certain recul sur le façonnement androcentrique des images médiatiques et de son propre regard. En effet, il faut savoir que Marie est également activiste féministe au collectif de la Barbe et qu’elle organise des événements autour du thème « femmes et photographie ». Il est intéressant de voir la tension entre le façonnement du regard par les scripts corporels, visibles dans la résurgence de certains réflexes de pensée et de regard, et la tentative de déverrouillage du regard d’une personne qui va désapprendre ces fictions hégémoniques de corps, sous l’effet de son engagement féministe et de sa prise de conscience du cadrage sexualisé sur les corps féminins.

Dans le deuxième exemple, on retrouve la même idée selon laquelle les fictions hégémoniques de corps sont premières par rapport aux corps réels et aux pratiques corporelles et sexuelles, mais si le premier exemple se centrait sur le rapport aux autres corps, cet exemple traitera du rapport qu’un-e acteur-rice social-e entretient à son propre corps. En effet, les scripts corporels façonnent également les fantasmes d’un-e acteur-rice social-e, son intimité, la façon dont il ou elle va se raconter et se voir. Le texte de Wendy Delorme, intitulé « Merveilleuse Angélique »128 illustre bien cette idée. Dans ce texte, l’autrice et performeuse raconte des fantasmes qui l’habitent depuis le début de son adolescence : ils la mettent en scène, soumise à un Maître ou à tout un groupe d’hommes. Un jour, à l’âge adulte, elle zappe et tombe sur un film qu’elle regardait enfant, Merveilleuse

Angélique, qui relate les aventures et les mésaventures d’une jeune marquise du XVIIème

siècle. Dans ce film, l’héroïne est violentée toutes les vingt minutes par une multitude d’hommes et il y a une certaine érotisation de ces violences sexuelles :

Chaque fois qu'un homme est sur le point de la posséder de force, elle est montrée se débattant avec des gestes de libellule, avant de succomber toujours le rose aux joues, les paupières baissées, évanouie (alanguie?) dans une posture qui ressemble tant à un abandon érotique que c'en est très troublant.

Peu à peu, l’autrice découvre que ses fantasmes sont directement inspirés des scènes du film. C’est un texte intéressant, en ce qu’il montre comment la constitution des

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DELORME (W.), « Merveilleuse Angélique ». In : BOISCLAIR (I.), DUSSAULT FRENETTE (C.), (dir.), Femmes

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imaginaires sexuels de chacun-e peut être influencée par les images produites par les technologies de corps, ici la télévision. Cette constitution des imaginaires sexuels gravitant autour de la fiction d’un corps féminin sexualisé a débuté au XIXème siècle. En effet, selon A. Solomon-Godeau129, le XIXème siècle est le moment de la représentation du féminin comme objet, représentation caractérisant l’économie capitaliste et liée à la culture de masse et aux techniques modernes de production d’images – la lithographie, la photographie. Cela a participé à construire l’image d’un corps féminin comme objet désacralisé et sexuellement disponible, tant du côté de l’iconographie que du côté de l’économie psychique du regard. Il y a eu prolifération d’images érotiques et pornographiques et le « marché des obscénités » a explosé, car l’accès à la pornographie s’est relativement démocratisé. Cela contribue encore à montrer le rôle des technologies de corps dans la constitution des imaginaires sexuels.

Le texte de W. Delorme met également en exergue la structuration de l’intimité fantasmatique par les logiques sociales androcentrées et hétéronormées. S’esquisse aussi l’idée d’un façonnement des pratiques corporelles ou sexuelles. En effet, les fictions de corps précéderaient les corps et les pratiques réelles. Avant d’accéder à la sexualité, chaque individu-e a une idée préconçue de ce que doit être la sexualité, et donc de ce qu’il doit faire dans sa propre sexualité, du fait des représentations corporelles et sexuelles présentes dans le cinéma ou la sphère médiatique. Ce ne serait pas la réalité des sexes et des corps qui serait antérieure à leur représentation, mais bien le contraire : c’est l’image des sexes et des corps qui façonnerait, voire créerait, les sexualités, les corps réels et l’intimité des acteur-trice-s sociaux-ales.

Enfin, ce texte met en lumière l’idée d’une soumission de la sexualité féminine à un désir masculin, caractérisé par la violence. En témoigne l’érotisation des violences sexuelles. Cette érotisation se fonde sur un imaginaire où s’articulent de façon complexe plaisir et violence, contrainte et sexualité ; un imaginaire où celui qui violente sexuellement obtiendrait in fine, de celle qui subit cette violence, un acquiescement, tout d’abord timide, puis total. Une fiction s’élabore alors autour du plaisir et de la sexualité féminines qui apparaît non seulement à la disposition du désir et du regard masculins, mais aussi dépendants d’une certaine forme de violence et de contrainte. Cette conception du plaisir

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LAVIGNE (J.), LAURIN (A.), MAIORANO (S.), « Images du désir des femmes : agentivité sexuelle par la subversion de la norme érotique ou pornographique objectivante ». In : BOISCLAIR (I.), DUSSAULT FRENETTE (C.), (dir.), op. cit., p.37-65

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féminin semble entrer en tension avec le troisième exemple qui traite de « l’excision culturelle »130, un effacement symbolique du clitoris des discours dominants au sein des sociétés occidentales contemporaines. Autrement dit, on observe la construction d’un imaginaire à propos de cette partie du corps qu’est le clitoris. Cet imaginaire a des implications sur les fictions qui gravitent autour du corps et du plaisir féminins, des sexualités féminine comme masculine. L’effacement du rôle central du clitoris dans le surgissement du plaisir féminin – ou du moins, sa monstration délégitimée dans le corps des femmes – fait émerger certaines croyances qui se font l’écho d’une valorisation de la pénétration vaginale, comme « vrai acte sexuel ». La légitimation de la pénétration dénote en creux l’idée d’une symétrie entre plaisir masculin et plaisir féminin : la jouissance féminine s’obtiendrait par les mêmes biais que la jouissance masculine. En creux, on voit l’idée d’une complémentarité entre plaisir masculin et plaisir féminin. Mais sur cette interdépendance, se fonde l’idée d’un plaisir féminin qui ne serait pas autonome. Pour soutenir la thèse d’une dés-autonomisation du désir sexuel des femmes, on peut mentionner l’interdit moindre pesant sur la masturbation masculine, comme le montre cette enquête statistique qui constate un certain décalage dans la pratique masturbatoire, selon les hommes et les femmes :

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J’emprunte cette expression à M. Mazaurette et D. Mascret (MAZAURETTE [M.] et MASCRET [D.], La

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Dans cette partie de l’enquête131, on voit que, même si la masturbation féminine est devenue une pratique majoritaire chez les femmes ces dernières décennies, le nombre d’hommes qui déclarent se masturber devance encore largement celui des femmes. Pour expliquer cela, on peut arguer la tolérance plus grande accordée, dans les représentations et l’espace social, à la multiplicité des relations sexuelles qu’un homme peut avoir au cours de son existence ; alors qu’elle est violemment fustigée dans le cas de l’existence féminine. L’idée d’une nécessaire multiplicité des relations sexuelles dans une existence masculine se fonde sur des arguments sociaux et biologiques : par ses multiples expériences sexuelles vécues avec diverses femmes, en partie dues à un appétit sexuel biologiquement irrépressible et physiologiquement dangereux à réfréner, l’homme acquerrait un certain savoir des pratiques sexuelles qu’il dispenserait ensuite à sa compagne légitime qui, elle, serait novice en matière de sexualité et donc dépendante du savoir-faire de son mari, car elle ne peut acquérir ce savoir par un autre biais. Certes, aujourd’hui, la virginité prénuptiale n’est plus exigée d’une femme, mais on peut voir une certaine survivance de cet imaginaire dans les représentations et les pratiques du nomadisme sexuel, qui est davantage acceptable de la part d’un homme que d’une femme et qui peut même apparaître un fort enjeu dans la construction de la masculinité, comme l’explique l’étude britannique « Why Do Men Report More Opposite-Sex Sexual Partners Than Women? Analysis of the Gender Discrepancy in a British National Probability Survey » :

In a relatively closed population, the mean number of opposite-sex partners per unit of time reported by men should be similar to that of women, particularly over short time periods (Wadsworth, Johnson, Wellings, & Field, 1996). Although the gap has narrowed over recent decades, surveys across the world find that men typically report about twice as many lifetime partners as women (Mercer et al., 2013 ; Todd et al., 2009). This inconsistency has long vexed researchers and has underpinned concerns about the veracity of self-reported sexual behavior in general. The discrepancy also provides a key exemplar to investigate (albeit indirectly) validity and bias in surveys of sexual behavior.

There are three approaches to explaining the gap. *…+

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Enquête réalisée par l’IFOP pour le magazine Elle, publiée en 2019. URL : https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2019/02/116130_Ifop_ELLE_Mag_2019.02.014.pdf

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The third explanation focuses on misreporting due to intentional or unintentional “false accommodation” to perceived gendered norms and expectations (Fisher, 2013 ; Jonason & Fisher, 2009). Fear of social disapproval for transgressing gender norms may lead men to overreport and women to underreport their lifetime partners (Alexander & Fisher, 2003). Experimental manipulation of survey conditions suggests the gender discrepancy is narrower when participants perceive greater privacy (e.g., in self-complete versus interviewer-administered surveys; Tourangeau & Smith, 1996) and also when they think that lying might be detected (Alexander & Fisher, 2003). Overheard (staged) conversations expressing conservative or permissive norms (Fisher, 2009). The impact of socially conveyed norms on the reporting of sexual behaviour and attitudes by men and women. Journal of Experimental Social Psychology as well as the gender of the researcher (Fisher, 2007Fisher, T. D. (2007). Sex of experimenter and social norm effects on reports of sexual behaviour in young men and women. Archives of Sexual Behavior have also been shown to affect reporting, particularly among men and women who adhere more strongly to gender stereotypes.132

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«Dans une population relativement fermée, le nombre moyen de partenaires de sexe opposé par unité de temps que rapportent avoir eu les hommes devrait être similaire à celui rapporté par les femmes, surtout sur des périodes de temps courtes (Wadsworth, Johnson, Wellings, & Field, 1996). Bien que l'écart se soit réduit durant ces quelques dernières décennies, les études de par le monde montrent que les hommes disent généralement avoir eu deux fois plus de partenaires dans leur vie que les femmes (Mercer et al., 2013 ; Todd et al., 2009). Cette incohérence a longtemps frustré les chercheurs.euses et a renforcé les inquiétudes quant à la véracité des propos rapportés par les personnes parlant de leur propre comportement sexuel en général. Cet écart fournit également un exemple-clef afin d'examiner (quoiqu'indirectement) la validité et les partis pris dans les études sur le comportement sexuel. Il existe trois approches pour expliquer cet écart *…+ La troisième explication se concentre sur la récolte d'informations erronées due à des "fausses adaptations", conscientes ou inconscientes, aux normes perçues et aux attentes en lien avec le genre (Fisher, 2013 ; Jonason & Fisher, 2009). La peur de la désapprobation sociale lorsque l'on transgresse les normes de genre peut conduire les hommes à estimer à la hausse et les femmes à estimer à la baisse leurs partenaires dans leur vie (Alexander & Fisher, 2003). La manipulation expérimentale des conditions d'étude suggère que la différence entre les sexes est plus petite lorsque les participants perçoivent que leur vie privée est respectée (par exemple, dans les études que l'on remplit soi-même par opposition où à celles où l'on répond aux questions d'un.e intervieweur.se; Tourangeau & Smith, 1996) et aussi lorsqu'ils-elles pensent qu'un mensonge pourrait être détecté (Alexander & Fisher, 2003). Des conversations (mises en scène) entendues par hasard qui reflètent des normes conservatives ou permissives (Fisher, 2009), ainsi que le sexe du/de la chercheur-euse (Fisher, 2007), il a aussi déjà été démontré que ces effets affectent la manière dont les hommes et les femmes parlent d'eux-elles, surtout si ceux-celles-ci adhèrent à une vision plus stéréotypée des rôles genrés. ». MITCHELL [K. R.], MERCER [C. H.], PRAH [P.], CLIFTON [S.], TANTON [C.], WELLINGS [K.] & COPAS [A.], « Why Do Men Report More Opposite-Sex Sexual Partners Than Women? Analysis of the Gender Discrepancy in a British National Probability Survey » [Pourquoi les hommes déclarent-ils plus de partenaires sexuels de sexe opposé que les femmes ? Analyse de ce contraste lié au genre dans l’enquête quantitative nationale britannique+ In : The Journal of Sex Research, 2019, 56, 1, p.1-8. URL : https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/00224499.2018.1481193#)

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Ici, la réalité quantitative importe moins que les déformations de cette réalité, car elles font émerger la fiction d’un corps masculin tenu à la performance et à la surenchère sexuelle et d’un corps féminin tenu à la réserve en matière de sexualité.

Cependant, la fiction d’une féminité tenue à une attitude réservée face à la sexualité entre en tension avec l’imaginaire d’une disponibilité du corps féminin au désir masculin, notamment consolidé par la fiction d’une complémentarité entre plaisir masculin et plaisir féminin. Se dessinent alors deux types de corps féminins : un corps féminin légitime et un corps féminin repoussoir. Les relations entre ces deux types de corps doivent être pensées selon un rapport dialectique, sur lequel je reviendrai plus tard.

La légitimation de la pénétration vaginale, par rapport à la stimulation clitoridienne, se fonde sur un certain nombre de discours produits par les technologies de corps, ces institutions sociales qui fondent un certain regard et imaginaire sur les corps et se fondent sur eux. Ces institutions ont produit un certain regard sur le corps et la sexualité féminines, en effaçant symboliquement le clitoris, ou du moins en délégitimant son rôle central dans l’orgasme féminin. C’est le cas, par exemple, de la psychanalyse, et plus particulièrement du discours freudien, qui oppose la pénétration vaginale, signe d’une sexualité adulte et mature, à la stimulation clitoridienne qui verse, selon Freud, du côté de la perversion ou de la dysfonction sexuelle, apparaissant comme une pratique immature, voire dangereuse133. Mais d’autres technologies de corps ne sont pas en reste dans la délégitimation du clitoris : jusqu’en 2017, la plupart des manuels scolaires de S.V.T., produits par l’Education nationale, centraient leur discours pédagogique sur les fonctions de reproduction, et donc sur les organes reproducteurs féminins, et non sur le plaisir féminin, invisibilisant ainsi le clitoris134. De plus, comme nous l’avons montré dans le chapitre 1, les productions cinématographiques grand-public et les productions cinématographiques pornographiques corroborent la centralité de la pénétration vaginale dans l’acte sexuel, reléguant la stimulation clitoridienne au simple stade de préliminaires. On retrouve ici l’idée d’A. Sprinkle qui pense la pornographie – et toute la production cinématographique – comme le lieu de

133 « La transformation de la petite fille en femme est caractérisée principalement par le fait que cette sensibilité (dont le clitoris est le siège) se déplace en temps voulu et totalement du clitoris à l’entrée du vagin. Dans les cas d’anesthésie dite sexuelle des femmes, le clitoris conserve intacte sa sensibilité. » (FREUD [S.],

Introduction à la psychanalyse. Cité dans : MAZAURETTE [M.] et MASCRET [D.], op. cit., p.64)

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l’élaboration des scripts sexuels135, ces scripts culturels hégémoniques s’inscrivant dans les imaginaires d’un individu et prescrivant ce que doivent être les sexualités, les pratiques et les interactions des hommes et des femmes – ou toute personne socialement reconnue comme tel – entre eux.

On voit là encore comment les corps fictifs précèdent les corps réels. En montrant seulement certaines pratiques, les productions culturelles rendent inimaginables certaines pratiques sexuelles, verrouillant ainsi le champ des possibles des pratiques et des interactions réelles. Ici, on voit comment des pratiques renforcent certaines fictions hégémoniques de corps, en les rendant concrètes. Ces pratiques sexuelles entretiennent l’imaginaire selon lequel les femmes seraient plus souvent atteintes de frigidité sexuelle136 et seraient vouées à subir, en leur chair, la sexualité masculine137. Voilà que s’esquisse à nouveau l’idée d’un corps féminin à la disposition du désir masculin, un corps féminin dépossédé de son désir. On peut noter là un paradoxe : la fiction de la symétrie entre plaisir masculin et plaisir féminin a pour effet de produire un script corporel postulant la dissymétrie entre désir masculin et désir féminin138. Cette dissymétrie, cette fiction d’un désir féminin amoindri, apparaît en creux dans l’élaboration des fictions de corps légitimes et de corps repoussoirs, et, a fortiori, le système normatif qui détermine ce que doit être un corps féminin, ce qu’il ne doit pas être, les pratiques corporelles décentes ou inappropriées

135 Comme l’exemple traite de sexualité, j’utilise la notion de scripts sexuels de Gagnon et Simon. La notion de script corporel pointent les mêmes mécanismes sociaux décrites par les scripts sexuels, mais les généralisent aux corps – et non plus seulement aux corps sexualisés –, en insistant aussi sur les mécanismes de façonnement du regard social, et non plus seulement sur le façonnement des pratiques et des interactions.