• Aucun résultat trouvé

Le seuil a, par définition, toujours un gardien, et sa fonction met en relief la non-homogénéité de l’espace telle que la vit l’homme en général, qu’il soit religieux ou non du moment que même pour l’homme le plus ouvertement non-religieux, dit Mircea Eliade, tous les lieux de l’univers privé conservent « une qualité exceptionnelle, "unique" : ce sont les "lieux saints" de son Univers privé », cette autre réalité que celle qui définit son existence quotidienne77. Pour Rigoletto, gardien de cette demeure sur-valorisée, de la même façon, l’espace est clairement orienté. Son existence « profane », privée de toute sacralisation, sublimation ou même de la moindre intimité se limite à l’espace de la cour où au contraire l’immondice morale et la sordidité sont reines, tandis que son espace « sacré » consiste en l’espace de la maison, avec, de surcroît, Gilda à son intérieur. La révélation, la reconnaissance de l’espace sacré permettent d’un point de vue symbolique de « fonder le Monde », de « vivre réellement » alors que l’expérience profane place l’individu dans un ensemble de lieux plus ou moins neutres où il est dirigé par ses obligations quotidiennes78, celles de la cour dans le cas de Rigoletto. On comprend alors mieux pourquoi il voit en sa fille tout son univers, son seul univers :

Tutto il mondo è tal figlia per me.79 76 G. DURAND, Les structures, p. 333.

77 M. ELIADE, Le Sacré et le profane, Paris, Folio essais, 2007, p. 27-28. 78 Ibid., p. 27.

[Une telle fille est pour moi le monde entier.]

Nous pourrions d’ailleurs presque nous risquer à définir ce monde privilégié de religieux, dans le sens où sa religion à lui, tout comme sa famille et sa patrie se résument à cette fille, seul être qu’il ait au monde d’autant plus que, nous sommes sur le point de le démontrer, de nombreux éléments relevant du sacré font partie de ce monde qui est le sien. Gardien de sa maison, il la défend de la malveillance des hommes :

Me forse al mondo temono, D’alcuno ho forse gli asti… Altri mi maledicono… 80

[Quelqu’un me redoute peut-être dans le monde, J’attise peut-être la haine de certains

D’autres me maudissent…]

Dans ces mots nous retrouvons la psychologie du masque étudiée plus haut, défensive (en tant que tel, le masque constitue une représentation de l’être méfiant81) voire offensive.

Le seuil, la porte ont une grande importance religieuse en ce qu’ils séparent l’espace profane de l’espace religieux, car ce sont des symboles et des véhicules du passage82. D’ailleurs, comme preuve de cette hétérogénéité de l’espace, il est bien un élément, un signe comme le nomme Eliade, qui sert à indiquer et à distinguer la sacralité du lieu, quelque chose qui n’appartient pas au monde des hommes83. C’est en l’occurrence Gilda, la « femme céleste » et « divine » dont l’amour élève l’homme élu jusqu’au royaume des anges, le libérant de sa condition médiocre, humaine et mortelle.

Bakhtine a également illustré l’existence d’un chronotope du seuil qui correspondrait au bouleversement d’une vie pendant lequel un changement brusque, de crise, de décision ou d’indécision modifie le cours d’une existence : « [C]hronotope imprégné de grande valeur émotionnelle, de forte intensité […] c’est le chronotope de la crise, du tournant d’une vie84. » Hanté par l’idée fixe que Gilda ne doit pas franchir le seuil de la porte, Rigoletto recommande à Giovanna de toujours veiller à ce que la porte qui donne sur le bastion reste fermée et de préserver sa créature, sa fleur comme il la nomme, de la fureur des vents adverses :

80 Ibid., I, 9.

81 G. BACHELARD, Le droit, p. 207. 82 M. ELIADE, Le sacré, p. 29. 83 Ibid., p. 30.

Veglia, o donna, questo fiore Che a te puro confidai ; Veglia attenta, e non sia mai Che s’offuschi il suo candor. Tu dei venti dal furore, Ch’altri fiori hanno piegato, Lo difendi, e immacolato Lo ridona al genitor.85

[Veille, ô femme sur cette fleur Que je t’ai confiée pure

Veille sur elle attentivement, et que sa candeur Ne soit jamais offusquée.

Des vents dont la fureur A courbé d’autres fleurs, Défends-la, et rends-la À son père immaculée.]

Dans Rigoletto le seuil tient lieu d’espace de crise à quatre reprises : lorsque le Duc entre dans la maison de Rigoletto pour séduire Gilda (Acte I), lorsque les courtisans y pénètrent également pour l’enlever (Acte I), lorsque Gilda franchit de force le seuil de la chambre du Duc qui l’y attend, mais surtout lorsqu’elle franchit volontairement le pas de la maison de Sparafucile près du fleuve (Acte IV) pour se sacrifier et sauver le Duc qu’elle aime. La fonction du seuil est, dans ce dernier cas, pleinement exploitée attendu que c’est en général sur le seuil que les sacrifices se consomment car ils sont offerts aux divinités gardiennes86. Le seuil atteint ainsi son sommet symbolique par la mort qui s’ensuit, tournant de la vie de son père. Il nous paraît en outre essentiel de mettre en évidence les paroles de Blanche à ce moment crucial de l’histoire et du temps, alors qu’elle est sur le point de franchir le seuil de la maison où elle sera poignardée à mort :

Oh ! Je sens que je touche à quelque instant suprême !87

Dans la source hugolienne cette crise du seuil apparaît encore plus explicitement : Faut-il pour l’ingrat que je franchisse ce pas ?88

85 Rigoletto, I, 10.

86 M. ELIADE, Le sacré, p. 29.

87 V. HUGO, Le Roi s’amuse, IV, 5, p. 172. 88 Ibid., p. 178.

Le tournant définitif dont parle Bakhtine se place donc au moment de l’anéantissement absolu de l’univers sacré de Rigoletto dont les épisodes préparateurs, que nous venons d’étudier, sont au nombre de trois. Ils représentent les moments au cours desquels il y a d’abord une contamination progressive et invasive de cet univers qui s’effondre ensuite au moment où l’interdit sexuel est enfreint pour disparaître enfin totalement avec la mort de Gilda.

Cela dit, un autre moment décisif antérieur à ceux-ci, qui sert d’introduction au thème de la désacralisation, est celui au cours duquel Gilda et le Duc se croisent pour la première fois à l’église – prudemment appelée « tempio » et non pas « chiesa » pour pouvoir contourner la censure – terme qui cadre néanmoins parfaitement pour des raisons symboliques puisque le temple et l’autel sont, tout comme la maison, des symboles de l’intimité et qu’ils tiennent lieu, de plus, d’espace sanctifié, nous allons le voir. C’est précisément devant l’autel de l’église, dans un lieu sacré et public, que se forme une première brèche par laquelle s’insinue pour la première fois le monde corrompu de la cour dans une dimension théoriquement sacrée et dans la vie privée de Gilda :

Tutte le feste al tempio Mentre pregava Iddio, Bello e fatale un giovane S’offerse al guardo mio89

[Tous les jours de fête au temple Pendant que je priais Dieu, Un jeune homme, beau et fatal, S’offrit à mon regard]

Suite à l’enlèvement de Gilda qui laisse supposer sa perte de virginité (« Il ratto… l’onta, o padre !… » [Le rapt… la honte, ô père ! »]) toute la vie de son père bascule en un jour :

E tutto un sol giorno cangiare poté !… 90

[Et une seule journée réussit à tout changer !…]

L’ultime chance de survie ou de reconstruction demeure donc en la vengeance : Sì, vendetta, tremenda vendetta

Di quest’anima è solo desio… 91

89 Rigoletto, II, 6. 90 Ibid.

[Oui, vengeance, terrible vengeance Est le seul désir de cette âme…]

Le tabou sexuel ayant été transgressé, le monde de Rigoletto chavire, les valeurs de sa vie s’effondrent autour de lui. L’amour est aveuglé par la vengeance puisque la pureté qui constituait son monde personnel, intérieur, secret, a été souillée. Ainsi l’autel, symbole de sacralité est à présent brisé, renversé :

Ah presso del patibolo Bisogna ben l’altare !… Ma tutto ora scompare… L’altar si rovesciò !92

[Ah ! Près de l’échafaud Il faut bien l’autel !…

Mais désormais tout disparaît… L’autel fut renversé !]

L’autel, lieu sacré, fusionne ici avec l’échafaud, lieu de mort. On trouve donc dans ce rapprochement un indice suivant lequel les lieux sacrés de l’œuvre vont de pair avec une dynamique brutale de la mort, traduite par cette action soudaine du renversement. L’autel est, à l’instar de la maison un lieu de l’intimité, les deux étant sacrés car ce qui sacralise un lieu, c’est avant tout sa fermeture93. Cet autel qui se renverse est le symbole de la destruction de l’univers de Rigoletto fondé sur la présence, l’existence et surtout la préservation de Gilda. L’autel est donc, d’une certaine façon, le centre du Monde de Rigoletto. Nous avons montré dans quelle mesure l’espace n’est pas homogène pour l’homme qui sacralise un lieu de sa vie intime, puisque la manifestation du sacré fonde l’homme ontologiquement94. En fait, « pour vivre dans le Monde, il faut [avant tout] le fonder95 », construction personnelle d’où dérive l’existence de l’espace sacré appartenant à chacun. Pour Rigoletto, en effet, l’édification de cet espace dont Gilda est le fondement premier lui permet de vivre réellement, d’avoir une vraie existence, dans un environnement aimant et immaculé qui plus est, puisque la révélation d’un espace sacré lui permet d’obtenir une orientation bénéfique dans l’immense homogénéité chaotique que le reste du monde informe et abject de la cour représente :

Mia vita sei !

92 Ibid., II, 6.

93 G. DURAND, Les structures, p. 281. 94 M. ELIADE, Le sacré, p. 26. 95 Ibid.,

Senza te in terra qual bene avrei ?96

[Tu es ma vie !

Sans toi, sur terre quel bien aurais-je ?]

Et Eliade d’ajouter qu’en l’absence de ce point fixe constitué par l’espace sacré, le « Monde » disparaît, et qu’il n’y a plus que « des fragments d’un univers brisé, masse amorphe d’une infinité de “lieux” plus ou moins neutres où l’homme se meut […]97 ». Voilà pourquoi dans la disparition de l’innocence de Gilda, c’est son monde qui s’écroule, sa vie qui s’effondre. Lorsque toute une vie s’effondre soudainement, en un seul jour, c’est que le temps de toute cette vie passe tout à coup, qu’il se dérobe, et qu’au contraire la mort prend l’avantage dès ce moment-là. Le temps change de direction, il passe d’une orientation que l’on pourrait qualifier de progressive – où la vie se déroule – à une orientation régressive – où la vie s’éteint puisque le temps vital arrive à sa fin.

Quant à ce binôme qui allie la sacralité et la mort, il est déjà sur un même plan dans la version hugolienne au même moment crucial de l’histoire :

Que vais-je devenir après ce coup fatal, […] Il faut bien un autel auprès d’un échafaud. L’autel est renversé !98

Derrière cette image de l’autel, se cèle en réalité le condensé de tout l’univers personnel et intime contenu dans la maison. En effet, l’autel, en tant que microcosme et catalyseur du sacré, reproduit en miniature le temple99. Or, le temple fait partie des symboles de l’intimité100, au même titre que la maison. Dans ce renversement de l’autel, c’est l’intimité de Rigoletto qui est touchée, bouleversée, et l’intimité tout court au sens propre si l’on tient compte de la portée physique du geste sexuel dont Gilda est victime, qu’elle soit consentante ou non. La profondeur du corps, comme de l’esprit, est ce qui est immédiatement intime101. Soit qu’il s’agisse d’une passion physique soit que cet amour ne gouverne que les sentiments de Gilda, elle est quoi qu’il en soit profondément touchée. De plus, le temple étant à la fois sépulcre et catacombe, ou encore

96 Rigoletto, I, 9.

97 M. ELIADE, Le sacré, p. 27.

98 V. HUGO, Le Roi s’amuse, III, 4, p. 151.

99 J. CHEVALIER, A. GHEERBRANT, « Altare », in Dizionario, p. 44. 100 G. DURAND, Les structures, p. 276.

reliquaire tombal, il renferme donc, tout comme l’autel en lequel il se concentre, une connotation mortifère. Pensons que les sacrifices se consomment auprès d’un autel ou dans un temple, comme par exemple au dernier acte de Nabucco où, sous le péristyle du temple, un terrain expiatoire a été préparé pour le rite sacrificiel des hébreux (IV, 3). En observant ce qui se passe justement près des autels ou des temples chez Verdi, il en ressort que les événements sont de l’ordre du tragique. C’est ainsi que dans Ernani, la couche nuptiale constitue clairement un autel accueillant la mort :

Per noi d’amore il talamo Di morte fu l’altar.102

[Pour nous la couche nuptiale de l’amour Fut l’autel de la mort.]

Même dans Alzira, qui se termine pourtant de façon heureuse sur un mariage, juste avant de se rendre à l’autel, un coup de poignard et le décès de Gusmano sont nécessaires, ce qui permet à Alzira d’épouser celui qu’elle aime. Dans Luisa Miller, le couple Rodolfo-Luisa est persécuté par une histoire de mariages arrangés et combinés qui sépare les deux amants et qui devrait en théorie se conclure devant l’autel, alors que l’issue de l’histoire se résume simplement en la mort des deux fiancés : Rodolfo, suicidaire et assassin, fait boire à Luisa un poison, bernant par ce geste son père et le « temple », c’est à dire l’église, qui était apprêté et illuminé pour son mariage avec une autre. Enfin, Aida nous offre un exemple présenté différemment dont le contenu symbolique revient malgré tout à la même concentration d’images : la dernière scène, séparée horizontalement établit en haut le temple de Vulcain, et en bas, un souterrain. Aida et Radamès, enfermés dans ce dernier, s’apprêtent à mourir, emmurés vivants :

La fatal pietra sovra me si chiuse… Ecco la tomba mia.103

[La pierre fatale se referma sur moi… Voilà ma tombe.]

Les éléments sont bien là. En haut le temple, et en bas la tombe, qui pourrait même faire office d’autel puisque les deux s’y jurent un amour éternel et immortel, en se mariant en quelque sorte à l’éternité :

A noi si schiude il cielo e l’alme erranti

102 Ernani, IV, 7. 103 Aida, IV, 2.

Volano al raggio dell’eterno dì.104

[Le ciel s’ouvre à nous et nos âmes errantes Volent jusqu’au rayon du jour éternel.]

En cherchant en dehors du corpus verdien, il est encore possible de trouver illustration à cette association. Étymologiquement, notre mot « cimetière » veut dire chambre nuptiale, dérivant, comme l’italien cimitero du latin coemetèrium et du grec koimêtêrion qui signifie « dortoir », attestant le lien avec le sommeil. Le lieu sacré est un lieu de mort, a fortiori dans Le Roi s’amuse, notre source littéraire où le lit de François de Valois, constitue « le tombeau de la vertu des femmes105 ».

Enfin, pour revenir à la musique, dans l’opéra de Haendel, Il pastor fido, tiré de la tragi- comédie pastorale homonyme de Giovanni Battista Guarini, l’autel, le sacrifice, la mort et l’amour se mêlent au moment de la révélation des sentiments des deux amants qui désirent être sacrifiés à l’autel pour se sauver l’un l’autre :

MIRTILLO

Sciogliete quelle mani, ah ! lacci indegni ! Me traete agli altari

Vittima d’Amarilli ! AMARILLI

Pensi dunque, oh Mirtillo, Di dar colla tua morte

Vita a colei ch’in te sol vive, oh caro ? MIRTILLO

Tarda pietà,

Ma pur beata sorte ! A me tocca il morire, È mia la morte. AMARILLI

A me sola, a me stessa ; deh, vivi, oh Dio ! Sù, sù, ministri, e che si tarda ?

All’ara conducetemi pronti.

E tu, Mirtillo, di questa, che crudele Ti fu sol nel sembiante, ma nel core Pietosissima amante,

Un dolce addio pegno di fede accetta.

104 Ibid.

MIRTILLO

Fermati, ingiusti ! A me il morir s’aspetta. [MIRTILLO

Libérez ces mains, ah liens indignes ! Portez-moi à l’autel

Victime d’Amarilli ! AMARILLI

Penses-tu donc, oh Mirtillo, De donner par ta mort

La vie à celle qui ne vit qu’en toi, oh mon aimé ? MIRTILLO

Pitié tardive,

Mais néanmoins heureux destin C’est à moi de mourir,

La mort m’appartient. AMARILLI

À moi seule, à moi même ; de grâce vis, oh mon Dieu ! Alors, alors ministres, qu’attendez-vous ?

À l’autel conduisez-moi promptement. Et toi Mirtillo, de celle qui cruelle

Ne te fut qu’en apparence mais dans son cœur Dévotissime amante,

Accepte un doux adieu, gage de foi. MIRTILLO

De grâce, injustes !

C’est à moi que revient la mort !]

Outre la mort, près de l’autel ou du temple, ont toujours lieu une révélation, une découverte intime ou jusque-là gardée secrète, parfois même une agnition, événements qui ne vont pas sans rappeler l’ouverture d’un coffre, noyau de l’intimité profonde qui appartient d’ailleurs au même groupe de symboles de l’intimité et du secret106. Dans la recommandation de Rigoletto à Giovanna de ne jamais laisser la porte ouverte (I, 10), la présence de la fermeture à clef, nous l’avons précisé, renforce le mystère de cette « demeure superlative107 », la maison-refuge par excellence. Songeons également à la scène de Don Carlos où le roi brise le coffret de la reine. C’est alors le secret le plus inavouable qu’il extirpe par la force du plus profond du monde intérieur de son épouse.

106 G. DURAND, Les structures, p. 278. 107 Ibid.

Le lieu saint, temple ou autel, est dans ce sens un refuge, dans la vie comme dans la mort, c’est un « réceptacle géographique108 ». D’ailleurs, nous dit Durand, le « templum, avant d’être symboliquement découpé dans le ciel augural, est le rectangle, l’enceinte magique que la charrue trace et creuse au sol109 ». Le rapport du temple à la terre et à sa dimension intime est donc attesté non seulement par des raisons symboliques, mais également matérielles et techniques. Le temple est bel et bien directement lié au repos110 et à l’intimité, notamment par le biais de la terre vu qu’il devient un « sépulcre-berceau111 ». Il est quoi qu’il en soit aisé de glisser, au niveau symbolique, de l’intimité au repos ultime, de nombreux rites d’ensevelissement étant structurés sur cette association112 : « La vie n’est rien d’autre que le détachement des entrailles de la terre, la mort se réduit à un retour chez soi… Le désir si fréquent d’être enterré dans le sol de la patrie n’est qu’une forme profane de l’autochthonisme mystique, du besoin de rentrer dans sa propre maison113. » Aussi la mort, l’intimité, la demeure sont-elles placées sur un même plan. Du repos à la mort, il n’est alors qu’une mince nuance.

Or, Rigoletto, outre ce vaste univers intime, présente de nombreuses images concentrées sur le thème de la mort. Tout comme la vie peut avoir, au niveau symbolique, une origine aussi bien tellurique qu’aquatique114, la mort peut également prendre forme dans l’eau. La transition entre un repos sous la terre et un repos au fond des eaux s’explique en effet par l’idée assez courante que « le règne de la mort, le pays d’outre-tombe, est situé soit au-delà, soit au fond de la mer115 », celle-ci appartenant à la vaste catégorie des eaux. Un élément pourrait tenir lieu de « symbole- charnière » à ce sujet : le sac où Gilda est déposée est un « linceul » chez Hugo, et, de la même façon, lenzuolo chez Verdi. Communément associé à l’ensevelissement dont le sens premier, au niveau étymologique, définit la sépulture ou l’enfouissement sous terre, son usage est facilement repérable dans de nombreuses religions : du cocon que chaque Égyptien se préparait116 comme garantie de repos et d’intimité à la sécurité suggérée par l’enfermement du mort dans le rituel chrétien, il existe « une [vaste] claustrophilie profonde à la racine de toute volonté de conserver le

Documents relatifs