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À quoi servent les impôts ?

Avant de présenter les résultats obtenus, élucidons quelques points encore. Tout d’abord, à quoi servent concrètement les impôts ? Sur les 49 % de revenu national prélevés actuellement en France par la puissance publique, environ 23 points sont reversés sous forme de revenus de transferts et 26 points sont uti-lisés pour financer des dépenses publiques autres que des trans-ferts. En pratique, les revenus de transferts sont pour plus des trois quarts (19 points) des revenus de remplacement (pensions de retraite, allocations chômage) et, pour le quart restant (4 points), ce que l’on peut appeler des revenus de transferts purs (presta-tions familiales, minima sociaux, alloca(presta-tions logement). Les dépenses publiques autres que les transferts sont pour plus des trois quarts (21 points) des dépenses d’éducation et de santé et, pour le quart restant (5 points), les autres biens et services fournis

par les administrations publiques (routes, police, justice, défense, etc.). Ces dépenses publiques peuvent être considérées comme des transferts en nature. Par exemple, en l’absence d’un service public d’éducation et de santé, nous devrions acheter pour nous-mêmes et pour nos enfants des services d’éducation et de santé produits par le secteur privé.

Résumons : à partir d’un revenu moyen avant impôts de 2 800 euros par adulte et par mois, nous faisons le choix de payer 1 300 euros par mois d’impôts (49 %), qui pour partie nous sont reversés sous la forme de 600 euros par mois de transferts (23 %) et pour partie financent des services publics à hauteur de 700 euros par mois (26 %). Le « revenu disponible des ménages », terme que l’on utilise parfois pour désigner la part du revenu national dont les ménages disposent en argent sonnant et trébuchant, est donc égal à 2 100 euros par adulte et par mois (74 %). Mais, si l’on ajoute les 700 euros de transferts en nature représentés par les services publics, on retombe par définition sur 2 800 euros (100 % du revenu national initial) : rien ne se perd.

Les contribuables en ont-ils pour leur argent ? Vaste débat. En comptabilité nationale, la valeur des services publics est évaluée à leur coût de production (c’est-à-dire pour une large part au niveau des salaires des enseignants, infirmières, etc., pro-duisant ces services publics) et la valeur des transferts au mon-tant des transferts, si bien que par construction les contribuables en ont exactement pour leur argent : ni plus, ni moins. C’est une bonne base de départ, mais cela ne règle pas la question.

Contentons-nous de signaler ici que les services privés d’éduca-tion et de santé coûtent souvent beaucoup plus cher que les ser-vices publics correspondants, sans que la qualité soit clairement supérieure, bien au contraire : l’exemple type est le système privé de santé américain. Le cas de l’enseignement supérieur est plus complexe : le coût plus élevé payé aux États-Unis par les parents et étudiants semble en partie compensé par une qualité moyenne plus élevée que ce qu’obtiennent les parents et étudiants français

en échange de leurs impôts (ce qui est bien le moins, puisque les premiers paient plus de trois fois plus que les seconds), avec il est vrai de sérieux problèmes d’égalité d’accès.

Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas d’évaluer ici l’efficacité de la dépense publique ou de déterminer quel pourrait être le sys-tème idéal de santé et d’éducation. Notre objectif, dans le cadre de ce livre, est plus modeste. Pour l’essentiel, nous prenons comme

Du revenu national au revenu disponible (par adulte et par mois en 2010)

Source : INSEE, Comptabilité nationale. Voir www.revolution-fiscale.fr, annexe au chapitre premier.

donnés la structure des transferts et des dépenses publiques actuellement en vigueur en France et le niveau global des pré-lèvements obligatoires nécessaire pour les financer. Nous par-tons du principe que le niveau élevé de protection sociale et de services publics correspond à des choix durables de la société française (et dans une large mesure des sociétés européennes) et qu’aucun gouvernement dans un avenir prévisible n’est suscep-tible de modifier ces choix de façon importante. Quelles que soient les postures des uns et des autres sur le poids supposé excessif des dépenses et des prélèvements, la vérité est que les Français sont très attachés à leur modèle social, et que personne ne détient de recette miracle permettant de réduire les dépenses publiques sans douleur.

Compte tenu du vieillissement, qui grève les budgets de retraite et de santé, et de la nécessité d’investir davantage dans l’enseignement supérieur – qui devrait à nos yeux constituer la seule véritable priorité budgétaire des années à venir –, stabiliser les dépenses publiques en pourcentage du revenu national relève déjà d’une gageure et exige une grande rigueur dans la gestion des deniers publics. Lors de l’élection présidentielle de 2007, le candidat de droite annonçait pour son quinquennat une baisse de 5 points du taux de prélèvements obligatoires, voire de 10 points, suivant l’humeur du jour. Avec la crise financière, de telles perspectives semblent avoir totalement disparu de l’agenda politique, et tout le monde semble maintenant se demander quand et comment les impôts devront être augmentés.

Notre point de vue sur la question est différent. Nous considérons que la priorité n’est ni de réduire ni d’augmenter le poids général des prélèvements obligatoires en France, mais de les remettre à plat. Quelle que soit la qualité des services publics et de la protection sociale, un taux global d’imposition de 49 % ou 45 % nous semble objectivement très élevé et ne nous paraît tenable qu’à deux conditions. D’une part, il est nécessaire que des efforts permanents soient faits pour améliorer cette qualité de services

et de protections et pour les adapter aux besoins individuels et collectifs. D’autre part et surtout, tout doit être fait pour que les citoyens comprennent le système fiscal et le considèrent comme équitable et transparent – ce qui, de toute évidence, n’est pas le cas actuellement. Cette exigence démocratique de transparence fiscale est essentielle quel que soit le niveau des impôts. Mais, quand les prélèvements prennent une telle ampleur, il s’agit d’une exigence vitale. Notre conviction est que, si l’on ne récon-cilie pas les citoyens avec l’impôt, on se prépare à plus ou moins brève échéance à des révoltes fiscales de grande ampleur et à des remises en cause graves de l’État social auquel nous sommes tous attachés.