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Le système fiscal français est-il progressif ou régressif ?

Venons-en à la question essentielle : si l’on prend en compte l’ensemble des prélèvements obligatoires, le système fiscal français est-il progressif ou régressif ? Le site www.revolution-fiscale.fr permet pour la première fois de répondre rigoureuse-ment à cette question. Et la réponse est sans appel : le système est légèrement progressif jusqu’au niveau des « classes moyennes », puis devient franchement régressif au sein des 5 % les plus riches – et surtout à l’intérieur des 1 % les plus riches (soit 0,5 million de personnes sur 50 millions).

Plus précisément, si l’on classe les Français en fonction de leur revenu individuel total avant impôt (travail et capital), on

1. Les allégements de cotisations sociales sur les bas salaires (près de 30 mil-liards d’euros) ont été imputés sur le second groupe, qui sans cela s’élèverait à 190 milliards.

obtient les résultats suivants1. Les 50 % des Français les plus modestes, gagnant entre 1 000 euros et 2 200 euros de revenu brut par mois, font actuellement face à des taux effectifs d’impo-sition s’étageant de 41 % à 48 %, avec une moyenne de 45 %.

Les 40 % suivants dans la pyramide des revenus, gagnant entre 2 300 euros et 5 100 euros par mois, sont tous taxés à des taux de l’ordre de 48 % à 50 %. À dire vrai, les taux effectifs sont quasi stables pour tous les revenus compris entre 1 700 euros à 6 900 euros, soit près de 80 % de la population, ce qui corres-pond à une très grande « classe moyenne ». Puis, à l’intérieur des 5 % des revenus les plus élevés (gagnant plus de 6 900 euros) et surtout des 1 % les plus riches (gagnant plus de 14 000 euros), les taux effectifs d’imposition se mettent très nettement à décliner et ne dépassent guère les 35 % pour les 0,1 % des Fran-çais les plus aisés (50 000 personnes sur 50 millions).

C’est la première fois, à notre connaissance, que la régres-sivité d’ensemble du système fiscal français est établie de façon aussi claire. Plusieurs rapports parlementaires et administratifs avaient montré ces dernières années que le taux effectif d’impo-sition au titre de l’impôt sur le revenu ne dépassait pas les 20 % pour les 1 % des Français les plus aisés et avait même tendance à diminuer au sein de ce groupe (ce que nous confirmons)2. Mais aucune étude n’avait pris en compte l’ensemble des prélèvements obligatoires. De fait, le principal intérêt de nos résultats est que nous pouvons étudier séparément le rôle joué par chaque type

1. Pour les couples mariés, le revenu individuel du capital est obtenu en divi-sant par deux le revenu du couple. Les résultats présentés ici concernent la popu-lation âgée de 18 à 65 ans travaillant au moins 80 % de l’horaire plein-temps, champ qui est le plus adapté pour mesurer l’inégalité de revenu permanent et la progressivité du prélèvement fiscal. Nous obtenons des résultats qualitativement similaires avec d’autres champs. Voir www.revolution-fiscale.fr, annexe au chapitre premier.

2. Voir Rapport d’information sur les niches fiscales, Assemblée nationale, 5 juin 2008, p. 42. Voir également INSEE, Revenus et patrimoines des ménages, édition 2010.

d’impôt et dresser ainsi un premier état des lieux de notre sys-tème fiscal et des réformes à envisager en priorité.

On constate tout d’abord que les impôts sur la consom-mation, et plus encore les cotisations sociales, sont fortement régressifs : les premiers prélèvent près de 15 % des revenus des

0 %

P0-10 P10-20 P20-30 P30-40 P40-50 P50-60 P60-70 P70-80 P80-90 P90-95 P95-96 P96-97 P97-98 P98-99 P99-99,9 P99,9-99,99 P99,99-99,999 P99,999-100

Percentiles de revenu individuel

Taux global d’imposition (tous prélèvements)

Classes populaires Les 50 % des revenus les plus bas (revenu brut mensuel individuel

Système actuel (moyenne générale: 47 %) Classes aisées

Lecture : le graphique montre le taux global d’imposition (incluant tous les prélè-vements) par groupes de revenus au sein de la population des 18-65 ans travaillant à au moins 80 % du plein-temps. P0-10 désigne les percentiles 0 à 10, c’est-à-dire les 10 % des personnes avec les revenus les plus faibles, P10-20 les 10 % suivants, etc., P99,999-100 désigne les 0,001 % les plus riches. Les taux d’imposition croissent légèrement avec le revenu jusqu’au 95e percentile puis baissent avec le revenu pour les 5 % les plus riches.

Note : Le taux moyen d’imposition des revenus primaires est ici de 47 % (et non de 45 %) car le graphique porte sur la population des 18-65 ans travaillant à au moins 80 % du plein-temps (et non sur la population adulte totale).

Source : Voir www.revolution-fiscale.fr, annexe au chapitre premier (où nous mon-trons aussi les chiffres pour la population adulte totale).

UNSYSTÈMEFISCALFAIBLEMENTPROGRESSIF

OUFRANCHEMENTRÉGRESSIF ?

UNSYSTÈMEFAIBLEMENT PROGRESSIF :

DÉCOMPOSITIONPARIMPÔTS

Lecture : le graphique montre le taux global d’imposition (incluant tous les prélè-vements comme dans le graphique précédent) et sa décomposition par groupes de revenus au sein de la population des 18-65 ans travaillant à au moins 80 % du plein-temps. Groupes de revenus : P0-10 désigne les percentiles 0 à 10, c’est-à-dire les 10 % des personnes avec les revenus les plus faibles, P10-20 les 10 % suivants, etc., P99,999-100 désigne les 0,001 % les plus riches.

Le graphique décompose les impôts en quatre grandes catégories : les cotisations sociales (et autres taxes sur les salaires), les impôts sur la consommation (TVA et autres impôts indirects), les impôts sur le capital (impôt sur les bénéfices des sociétés (IS), taxe foncière (TF), impôt sur la fortune (ISF) et droits de successions (DMTG)) et les impôts sur le revenu (CSG et IRPP).

Source : Voir www.revolution-fiscale.fr, annexe au chapitre premier (où nous mon-trons aussi les chiffres pour la population adulte totale).

0 %

P0-10 P10-20 P20-30 P30-40 P40-50 P50-60 P60-70 P70-80 P80-90 P90-95 P95-96 P96-97 P97-98 P98-99 P99-99,9 P99,9-99,99 P99,99-99,999 P99,999-100

Percentiles de revenu individuel Cotisations sociales et taxes sur les salaires

Impôts sur la consommation : TVA+autres Impôts sur le capital : IS+TF+ISF+DMTG Impôts sur le revenu : CSG+IRPP .

plus pauvres et à peine plus de 5 % de ceux des plus riches ; les secondes prélèvent 25 % des revenus les plus bas et moins de 5 % de ceux les plus élevés. En principe, les impôts sur le revenu et sur le capital devraient contrebalancer la régressivité de ces deux premières catégories de prélèvements.

Cela est vrai pour ce qui concerne les impôts sur le capital.

Nos résultats démontrent que ces impôts, et notamment l’impôt sur les sociétés, l’ISF et les droits de successions, jouent un rôle important – et trop souvent ignoré – pour assurer une certaine progressivité. Si ces impôts devaient être abaissés, comme l’envi-sage le gouvernement avec la possible suppression de l’ISF, le système fiscal français deviendrait encore plus régressif. Tel a été de fait l’impact du bouclier fiscal, que nous avons traité sur les graphiques comme une réduction d’impôt sur la fortune (ce qu’il est dans l’immense majorité des cas) et qui, d’après nos simula-tions – cohérentes avec toutes les données disponibles –, réduit d’environ un point le taux effectif d’imposition des plus riches (de 34 % à 33 %).

Certains s’étonneront peut-être que le bouclier fiscal, qui est censé plafonner l’imposition totale à 50 % des revenus, puisse réduire l’impôt de contribuables dont le taux d’imposition est déjà nettement inférieur à 50 %. L’explication est que le revenu pris en compte pour le bouclier est le revenu fiscal, qui est souvent très inférieur au revenu économique réel, notamment pour les hauts revenus du patrimoine. Nous reviendrons dans le chapitre 3 sur ce mécanisme pervers (qui a au moins le mérite de mieux faire com-prendre l’intérêt d’une imposition directe du patrimoine, et pas seulement des revenus du patrimoine) et, plus généralement, sur les perspectives d’évolution de nos impôts sur le capital, qui ont un impact globalement très progressif dans le système actuel.

Ce n’est pas le cas des impôts sur le revenu qui, au lieu d’aller dans le sens de la progressivité, contribuent au contraire à accroître la régressivité du système fiscal français dans les parties hautes de la distribution. Cette véritable faillite de notre système

d’impôt sur les revenus – qui ne parvient même pas à garantir sa mission primitive, à savoir que les pauvres paient un peu moins d’impôts que les riches, en proportion de leur revenu – est la consé-quence des multiples régimes dérogatoires et des niches fiscales qui se sont accumulés depuis trop longtemps. En particulier, les revenus du capital ont fini par échapper presque totalement au barème progressif de l’impôt sur le revenu. Au-delà de ses consé-quences négatives sur la répartition globale du prélèvement, la complexité et l’iniquité de notre système d’imposition directe des revenus posent de multiples problèmes en tant que telles, et exigent une refondation d’ensemble. Tel est donc l’axe prioritaire de la révolution fiscale qui doit, selon nous, être menée dans la France d’aujourd’hui. Nous l’exposerons dans le chapitre 2.

Au-delà de cette faillite de l’impôt sur le revenu, la seconde raison fondamentale expliquant la régressivité du système fiscal français est le poids excessif des cotisations sociales pesant sur le travail. Pour ce qui concerne les cotisations retraite et chômage, l’idée d’un prélèvement fondé principalement (voire exclusive-ment) sur le travail peut se justifier : après tout, les revenus du capital n’accumulent pas de droit à pension de retraite ou alloca-tion chômage. Encore faudrait-il que cette logique contributive s’applique véritablement : actuellement, les cotisations retraite des travailleurs à bas salaire servent en partie à subventionner les retraites des cadres, d’une part parce que rien n’est fait pour cor-riger les écarts d’espérance de vie, et d’autre part parce que ceux qui ont commencé à travailler tôt sont contraints de cotiser plus long-temps que les autres – iniquité que la récente réforme des retraites et le passage à soixante-deux ans viennent d’aggraver.

Quoi qu’il en soit, ce type de justification ne saurait s’appli-quer aux autres cotisations sociales : il n’y a aucune raison pour que seuls les revenus du travail contribuent au financement de l’assu-rance maladie et de la politique familiale, qui bénéficient à tous les résidents. La question se pose de savoir si l’assiette de ces coti-sations sociales doit être étendue aux revenus du capital, ce qui

pourrait permettre aussi de régler l’épineuse question des exoné-rations de cotisations sociales actuellement en vigueur sur les bas salaires, et qui explique la progressivité observée dans la partie basse de la distribution. Nous reviendrons dans le chapitre 3 sur le profil actuel des différents types de cotisations sociales et sur la façon dont on peut envisager leur refonte. Ce chantier devrait constituer selon nous la seconde priorité de réforme fiscale en France, immédiatement après la remise à plat de l’imposition directe des revenus, et en cohérence avec cette dernière.

Est-il grave que les riches