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Les jeunes rencontrés durant cette recherche ont décrit leur identification en évoquant plusieurs rattachements à des communautés linguistiques, nationales ou autres qui sont pertinents et significatifs dans leur trajectoire. Au-delà des identifications individuelles qui ont été discutées plus tôt dans les descriptions des écoles et de leurs acteurs, certains points communs et divergents ressortent des entrevues. Pour les besoins de la discussion, les rattachements et les positionnements identitaires évoqués seront regroupés sur la base de trois critères : les identités linguistiques, les appartenances nationales ou territoriales et les autres appartenances significatives. Bien entendu, comme il en sera question plus loin, nous reconnaissons que ce

regroupement reste artificiel, puisque ces types de positionnements et de marqueurs identitaires se combinent, se superposent et s’influencent mutuellement, et ce, de manière unique pour chaque jeune.

Identités linguistiques

Les jeunes rencontrés ont été invités à expliciter leurs identités linguistiques ainsi que leur sentiment d’appartenance aux communautés linguistiques anglophone et francophone pertinentes pour leur contexte particulier.

L’attachement à la langue anglaise, exprimé par des termes comme être anglophone ou English, est, sans surprise, dominant chez la plupart des jeunes rencontrés. C’est la langue dans laquelle, pour la majorité, ils se sentent le plus compétents et qu’ils utilisent au quotidien, à l’école, à la maison, avec les amis, etc. L’anglais est la langue de leur localité, de leur communauté, mais c’est aussi l’une des deux langues officielles du pays, en plus d’être une langue internationale. Ils attribuent beaucoup de valeur à la langue anglaise et cet élément est ressorti fortement comme marqueur identitaire significatif.

L’attachement à la langue française en tant que marqueur identitaire est moins ressorti dans les discours et les représentations des jeunes. Lorsque c’est le cas, l’identité francophone est le plus souvent combinée à l’identité anglophone (être les deux ou être bilingue). Il faut dire que quelques jeunes ont vécu des expériences difficiles au cours de leurs interactions avec les membres de la communauté francophone ou, encore ils ont des représentations négatives à l’égard du français, ce qui contribue à leur rejet de cette langue en tant que catégorie identitaire. Pour ceux et celles qui ont vécu des expériences plus positives ou qui font un usage plus grand du français dans leur quotidien, notamment au sein de la famille, il semble plus facile de se dire francophone ou bilingue. Toutefois, le fait de parler français au quotidien ne garantit pas que les jeunes y accordent une valeur identitaire. C’est le cas, par exemple d’Ivy, en Gaspésie-Îles-de- la-Madeleine-Côte-Nord, qui parle français avec sa mère, mais qui refuse toute identification en lien avec le français.

L’identité bilingue peut s’exprimer de plusieurs façons chez les jeunes rencontrés. Certains mobilisent cette catégorie, mais d’autres se disent plutôt « être les deux » ou « être entre les deux », francophone et anglophone, ce qui n’est pas exactement la même chose que de se dire

« bilingue ». Pour ceux qui se disent « être les deux » par exemple, ils témoignent d’un attachement aux deux langues et aux deux communautés linguistiques, tout en préservant une certaine séparation entre les deux langues/groupes. Ceux qui se disent bilingues semblent avoir une représentation identitaire qui fait des deux langues ou des deux communautés un tout plus intégré.

Il faut noter qu’il est parfois difficile de distinguer avec certitude, dans les discours et les représentations, les moments où les jeunes réfèrent à la catégorie bilingue en tant que compétence et ceux où ils se réfèrent à leur positionnement identitaire. Ces deux aspects ne sont d’ailleurs pas complètement dissociables, puisque l’un nourrit l’autre. En effet, plusieurs jeunes hésitent à s’identifier comme appartenant au groupe des « bilingues » en raison de leurs compétences « bilingues » qu’ils jugent insuffisantes, particulièrement en français. Ainsi, les données suggèrent que les sentiments de compétence et d’insécurité linguistique jouent un grand rôle dans le processus d’identification des jeunes. Ces sentiments semblent plus déterminants que l’usage que font les jeunes de ces deux langues au quotidien. Ainsi, plus les jeunes se sentent compétents et estiment être capables de performer selon les standards attendus des locuteurs natifs, plus ils semblent prêts à se positionner comme bilingues.

Appartenances nationales ou territoriales

En ce qui a trait aux appartenances nationales ou territoriales, en particulier les identités québécoise et canadienne, plusieurs cas de figure ont émergé des entretiens réalisés auprès des jeunes.

D’abord, il faut mentionner que les identités locales ou régionales semblent significatives pour plusieurs jeunes issus des trois régions à l’étude, mais que cela semble encore plus significatif dans le cas de la région de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine-Côte-Nord. D’ailleurs, les jeunes de cette région expriment une forte identification aux Maritimes, ce qui dépasse les frontières provinciales. La prédominance de la culture de la pêche, l’éloignement des grands centres, les liens sociaux ainsi que le réseau familial qui s’étend dans la région expliquent notamment ce fort attachement à l’échelle locale, régionale et transprovinciale. Notons que les identités locales et régionales étaient également ressorties des études ayant porté sur les jeunes fréquentant les

écoles de langue anglaise de la région de Québec et de Montréal (Gérin-Lajoie, 2016; Magnan, 2008).

Ensuite, quelques jeunes, dans chacun des terrains, déclarent sentir appartenir à la société québécoise dans son ensemble. Pour eux, l’usage de la langue anglaise et le sentiment d’appartenance qu’ils expriment envers leur communauté linguistique de langue anglaise ne sont pas des obstacles à l’identification nationale en tant que Québécois et Québécoises. Ainsi, plusieurs s’identifient explicitement comme English-Québécois.

De plus, plusieurs disent sentir qu’ils sont à la fois Québécois et Canadiens. Pour ces jeunes, ces deux catégories ne sont pas mutuellement exclusives, mais plutôt complémentaires. Ils y trouvent des éléments significatifs auxquels ils s’identifient et qu’ils mobilisent en fonction des contextes, des interlocuteurs et des échelles de comparaison avec les Autres.

D’autres préfèrent se rattacher au Canada uniquement, sans exprimer de sentiment d’appartenance particulier pour le Québec. Quelques-uns refusent d’ailleurs explicitement de se positionner en tant que Québécois. Il faut mentionner que dans le cadre des trois terrains, l’identité canadienne est souvent perçue comme plus positive que l’identité québécoise, car elle est largement associée à une plus grande ouverture d’esprit face à la diversité ethnoculturelle et linguistique, à une plus grande inclusion sociale et à une identité plus globale. L’identité québécoise étant par ailleurs fortement associée à la langue française, plusieurs n’arrivent pas à s’y reconnaître ou à s’y associer.

Enfin, de ces entrevues, il ressort un besoin, chez quelques jeunes, de dépasser la dualité Québec/Canada et de se distancer des débats politiques relatifs aux revendications nationalistes de la province. Pour ceux-là, la catégorie identitaire de type « bilingue » ou de type « citoyen du monde » devient une alternative plus attrayante. La catégorie « citoyen du monde » semble permettre aux jeunes qui s’en revendiquent de se positionner sur une échelle plus globale, internationale et inclusive.

Autres appartenances significatives

Bien que peu explorés dans le cadre de cette recherche, quelques jeunes ont mentionné d’autres positionnements identitaires ou sentiments d’appartenance qui n’étaient pas directement liés aux langues ou au territoire. C’est le cas, par exemple, des jeunes de la Gaspésie-Îles-de-la-

Madeleine-Côte-Nord qui sont très attachés à la pêche, principale activité économique de leur localité et de la région. Au-delà d’un métier, ces jeunes et les adultes qui les entourent décrivent le monde de la pêche comme une culture à part entière, qui se heurte notamment à la culture scolaire. Puis, il faut mentionner l’identité sexuelle qui, bien qu’évoquée de manière marginale dans le corpus, rappelle que les jeunes se rattachent à des communautés et à des identités variées et multiples qu’il ne faut pas réduire à la langue ou au territoire. Ces aspects devraient être approfondis dans d’autres recherches.

Conclusion

Cette section révèle la complexité et la multiplicité des positionnements identitaires des jeunes interrogés qui sentent qu’ils font partie de plusieurs communautés linguistiques et nationales – certains attachements étant plus significatifs que d’autres selon les cas. Il s’avère que les jeunes utilisent une superposition des marqueurs identitaires et des positionnements en fonction des contextes et des interlocuteurs en présence. Les étiquettes identitaires dans lesquelles ils puisent pour se définir semblent être les suivantes : anglophones, canadiens, bilingues, québécois, etc. Or, rappelons que l’expérience positive ou négative qu’ils se font des langues, souvent liée aux interactions quotidiennes vécues, a un impact sur leur identification ou leur non-identification aux communautés linguistiques et nationales. De même, les stéréotypes positifs ou négatifs véhiculés à propos des communautés linguistiques et nationales semblent également jouer sur leur sentiment d’attachement envers ces communautés. Rappelons toutefois un résultat saillant de l’analyse des données : les jeunes s’identifient fortement et positivement à la langue anglaise, ce qui ne s’avère pas toujours le cas en ce qui concerne la langue française.

Pour certains jeunes, les identités transnationales (citoyen du monde), territoriales et locales sont parfois plus importantes que les identifications linguistiques. Cette tendance avait été soulignée dans une recherche ayant porté sur les jeunes fréquentant des écoles de langue anglaise dans la région de Québec (Magnan, 2008). L’identification au territoire local semble, pour certains jeunes, plus marquante et significative. Est-ce un moyen ou une stratégie identitaire leur permettant de dépasser ou de s’éloigner de la dichotomie anglophones/ francophones ou Canada/Québec telle que vécue et rapportée par leurs parents ?