• Aucun résultat trouvé

Le sentiment de mise à l'abri, commun aux hébergés du CHRS

3. LE CHEZ SOI D’ABORD ET LE CHRS FORBIN, DES IMPACTS DIVERGENTS

3.1 Du chez soi à la mise à l’abri, des ressentis différents

3.1.2. Le sentiment de mise à l'abri, commun aux hébergés du CHRS

Les témoignages suivants ont été retranscrits d'après les entretiens réalisés. Des commentaires contextuels permettront de comprendre le parcours résidentiel de chacun. Les premiers extraits de témoignages que nous allons citer ci-dessous montrent que le ressenti est celui de la mise à l'abri et non celui d'un domicile vécu comme un foyer.

« Dans ce cadre, il n’y a « pas de chez soi ». En revanche, il est possible de se construire un « coin à soi » Bachelard, 1957 »144 .

Nous verrons que les témoignages sont communs aux personnes hébergés en CHRS. Le CHRS Forbin est perçu unanimement comme une mise à l'abri temporaire, par les hébergées, aucun ne le considérant comme un lieu personnel durable.

Témoignage 1, CHRS : Homme d'origine marseillaise, au service d'insertion du CHRS depuis 3 ans, ayant vécu auparavant dans la rue, dans des hôtels meublés, et ayant effectué des séjours en hôpital.

"J'apprécie le fait d'avoir une chambre individuelle, fermée et la sensation de sécurité, mais on n’est pas chez soi même si je paye un loyer (30€/mois) dès qu'on a un accompagnement."

Témoignage 2, CHRS : Homme d'origine marseillaise, au service d'insertion du CHRS depuis 18 mois.

143 Zeneidi-Henry, Djemila. Les SDF et la ville : Géographie du savoir-survivre. Op. Cit.

144Grand David « Être chez soi en hébergement ? Les paradoxes de l’hébergement pour les personnes sans domicile », VST - Vie sociale et

"Non, je ne suis pas chez moi ici et je suis toujours là... J'ai déjà fait trois renouvellements de 6 mois au CHRS. Si je ne trouve pas de logement d'ici la fin du troisième séjour, je risque de me trouver dans la rue."

Témoignage 4, CHRS : Homme d'origine marseillaise, au service d'insertion du CHRS depuis 11 mois. C'est la première structure fréquentée.

"J'apprécie d'avoir ma chambre individuelle et la télé personnelle, mais j'ai du mal avec les horaires obligatoires, la surveillance des entrées et sorties et l'interdiction d’avoir des invités."

Même si des moments d'intimité sont possibles et appréciés (chambre individuelle, télévision personnelle), le poids des contraintes liées au règlement, la présence constante de l'encadrement ainsi que le statut temporaire, bien que renouvelable, de leur présence, sont mal supportés et empêchent le ressenti d'être chez eux.

«Habiter sa propre demeure, c’est aussi « avoir le choix ». Le choix de rentrer ou de sortir, de s’isoler ou

d’être en collectivité, de se laisser aller à ses humeurs ou non (sans devoir répondre aux normes de la société extérieure) »145. Le choix n'est pas ou peu présent au CHRS, remplacé par les contraintes.

"On est dirigé, surveillé. Si on n'obéit pas aux règles c'est la radiation !" (Témoignage 1, CHRS)

"Les sorties sont restreintes, on doit rester de 13h30 à 15h30. On est obligé, si on sort, de laisser la carte de sa chambre à l'accueil. On mange de 6h45 à 7h30. Des interdictions, il y en a comme partout. On n’a pas le droit de fumer dans les chambres, amener quelqu'un dans sa chambre. Des fois, excusez-moi l'expression, je compare ici à la prison des Baumettes. Je suis dans ma chambre 24 heures sur 24, je descends manger, je vais dans la cour fumer ma cigarette, je remonte. En prison cela serait exactement pareil." (Témoignage 2, CHRS). Cette comparaison à la prison est plus liée au manque de motivation à

aller en extérieur, de motivation à sortir de la structure, pendant parfois plusieurs jours, qu’aux conditions de logement. Cependant le choix des Baumettes comme exemple est très significatif du ressenti de la situation actuelle.

"Je vis mal les repas à heure fixe, imposée. C’est pas gai de manger à 6 heures du soir en plein été…"

(Témoignage 4, CHRS).

Pour se sentir chez soi, il est nécessaire de s'approprier les lieux. Dans les espaces privatifs, les hébergés du CHRS peuvent s'approprier l'espace par plusieurs gestes élémentaires : le nettoyage, le rangement, l’aménagement et la décoration. Mais le système du CHRS est complexe, car si les hébergés ont la possibilité de s’approprier les lieux, ils sont aussi soumis par ailleurs à des contraintes qui limitent cette appropriation. Un des hébergés ne pensait même pas avoir le droit de mettre des posters aux murs. Les appropriations des chambres se sont unanimement limitées à l'ameublement : installer une télé dans la chambre principalement, télévision qu'ils ont achetée ou récupérée. Même si c'est une forme de marquage, il est extrêmement limité et a une fonction plus d'ordre pratique, le besoin de se distraire et de s'occuper, dans la chambre, que de l'investissement. Cependant, tous les hébergés, dans la formulation descriptive de la chambre, insistent sur le possessif : "Mais j'ai ma TV, elle est à moi." (Témoignage 1, CHRS).

Le fait de ne pas pouvoir cuisiner, le manque de pratique des taches ordinaires liées au logement autonome diminue aussi la capacité à s’investir dans le lieu et à l’identifier comme un chez soi. De ne pas pouvoir partager avec d'autres la sphère de l'intime, la chambre, participe aussi au manque d'appropriation du logement, car comment vivre cette limitation imposée de son univers ? "Je ne peux pas recevoir mon

fils ici, je n'ai pas le droit ici, même dans les espaces collectifs c’est interdit... Alors on se voit dans la rue"

(Témoignage 2, CHRS).

Pour trouver un logement après le CHRS, nos usagers ne peuvent le faire qu’au travers du système mis en place, être suivis par une éducatrice/assistante sociale, ce qui pèse sur certains de ces

hommes. "Je n'arrive pas à trouver de logement pour partir d'ici, mes demandes n'ont pas abouti. C'est plus facile de rentrer au CHRS que d'en sortir." (Témoignage 2, CHRS).

L’un d’entre eux a même qualifié le CHRS comme étant un lieu où « il n'est pas suivi mais assisté ». Pour lui, un chez-soi est un lieu où il serait autonome et où il déciderait.

En CHRS, il y a une ambigüité dans la notion même du lieu privatif (chambre), car on est dans un logement collectif où les membres du personnel ont droit de regard, de surveillance et d'entrée. Pour ces derniers, il n’est pas simple de concilier le respect de l’intimité des hébergés et les missions à exercer.

Le ressenti global des hébergés en CHRS est tout de même à tempérer, comme le montre le témoignage suivant :

Témoignage 3, CHRS : Homme d'origine népalaise, au service d'insertion du CHRS depuis un mois, ayant vécu en structure d'urgence et à la rue depuis 6 ans. "Là, ça va mieux depuis que je suis ici car j'avais de

mauvaises fréquentations avant, de l'alcoolisme. J'étais fatigué dehors la nuit et le jour, j'étais perdu avec mes soucis, les problèmes de l'alcool. Je me sens chez moi car chez soi, c’est l’endroit où l’on dort et l’on mange. Le plus urgent c’est de survivre. Il faut un toit et un lit pour dormir. C'est bien contrôlé ici, c'est bien. Je ne me sentirais pas à me faire à manger, à m'occuper de moi."

Cet homme n’est pas autonome, souffre d’une maladie mentale et d’addiction à l’alcool et n’a que peu de repères. Il souhaite une prise en charge, par exemple pour la préparation des repas. Sa perception du chez soi en est directement impactée. Elle est minimaliste, résumée à un toit et un couvert. Par ailleurs, les limites restrictives du règlement sont bien supportées car elles le protègent aussi des mauvaises fréquentations et du risque de retomber dans l'alcoolisme. Pour ce témoin parmi les moins autonomes, l'environnement très présent et aidant est une nécessité, bien acceptée. Les critères permettant de se sentir chez soi sont probablement moindres ou différents en cas d'autonomie réduite.

Pour tous, la fréquentation des espaces communs se limite au minimum nécessaire : la salle de restauration pour les repas, la cour pour fumer. Les salles communes de loisir, propre au service d'insertion, ne sont fréquentées par aucune des personnes interrogées. Ainsi, les espaces communs ne sont pas appropriés par les hébergés. Les contraintes liées à la cohabitation limitent également le processus d’appropriation. Tous évitent en dehors des repas, les contacts, avec les autres hébergés. De plus, tous ont limité à leurs chambres la description de l'espace de vie, alors que les espaces ouverts de la structure sont plus étendus. Les mécanismes d'évitement de la violence, du vol, de l'agression orale ou physique limitent l'univers de vie quotidienne à un isolement, car la cohabitation en hébergement se différencie de formes ordinaires de cohabitation, car elle est subie.

D’après nos observations, ainsi que l'analyse des entretiens, le CHRS n’est pas un lieu permettant à ses usagers de laisser libre cours à leur imagination. En effet, la première image de ce lieu est son architecture monumentale, de dimensions telles qu’il peut y accueillir plus de 300 personnes. Puis, rapidement les caméras, la surveillance et les vigiles font leur apparition. Les règles contraignantes, l'absence de choix du lieu d'hébergement, les fréquentations de voisinage subies dans la structure, ne permettent pas non plus un investissement complet. Le CHRS ne prend pas la forme d’habitat au sens entendu par Bachelard. Il ne fait à priori pas appel à l’imagination des usagers. Cependant, l’absence d’imagination supposée n’induit pas l’absence d’appropriation. Les chambres ne sont donc pas seulement une étape d’une seule nuit mais de plusieurs mois. Cependant, cela reste du transitoire et du partiel, dans l’attente d’intégrer un logement.

Documents relatifs