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1.2 De l’hébergement d’urgence aux logements accompagnés, la complexité des dispositifs

1.2.3. Une prise en charge en palier engorgée ?

La distinction même dans les services d’hébergement, de l’urgence et de l’insertion appelle à une continuité entre ces deux « niveaux » de l’hébergement. Le premier, inconditionnel, sans critère d’accès, est une réponse immédiate à la crise et ne permet pas une réinsertion du fait de sa brièveté et de l'absence d'accompagnement. Le second, sélectif, permet un accueil et un accompagnement sur une durée plus étendue. La passerelle entre l’hébergement d’urgence et celui d’insertion, même s’ils semblent en continuité, n’est pas évidente, nous le verrons par la suite. L’hébergement de stabilisation, accueillant les personnes non encore éligibles à l’hébergement d’insertion peut être une étape intermédiaire pour les grands marginaux. Le logement accompagné est la dernière étape précédant le retour en logement autonome.

Ainsi un chaînage théorique se fait dans l’ordre énoncé : l’hébergement d’urgence, de stabilisation puis d’insertion, puis le logement accompagné pour arriver enfin au logement autonome. Ce parcours, qualifié « de parcours en escalier » fait l’objet de nombreux débats. Il s’agit de franchir successivement les « paliers » afin d’accéder à la dernière marche : le logement personnel, signe d’une insertion réussie. Le retour à un logement est donc à la fois un processus lié à l’habitat mais aussi à l’insertion sociale.

L’accompagnement n’est donc pas dissociable de ces « paliers ». Quasiment absent en hébergement d’urgence, il s’intensifie lors de l’insertion ainsi que dans certains logements accompagnés, avant de disparaître avec l’accès au logement autonome. L'accompagnement a pour but d’aider à la fois sur le volet du logement, mais aussi sur la réinsertion sociétale et professionnelle. « Les hébergés doivent prouver

leur capacité et leur autonomie croissante pour passer à la marche suivante.»55Ainsi d’après la Fondation Abbé Pierre, le retour au logement autonome est conditionné à l’amélioration des relations sociales.

« Ce parcours, qui a longtemps servi de repère fondateur de l’action sociale en France, reste ancré dans les pratiques des acteurs comme dans l’esprit des pouvoirs publics.»56 Cependant il fait l’objet de nombreuses critiques, notamment du fait de la trop grande diversité des structures le composant ainsi que de l’engorgement existant d’une marche à une autre, bloquant le parcours résidentiel des sans domicile.

55Fondation Abbé Pierre, Op. Cit. p. 38. 56Ibid.

fig. 9 : L’escalier de l’insertion

Source : Relancer le modèle du « logement d’abord » en France, Congrès FNRAS, Janvier 2017

Source : Julien Damon, « Les SDF en France : difficultés de définition et de prise en charge», Journal du droit des jeunes 2003, N° 223, p. 30-35.

« Les lieux de la survie se trouvent aussi dans le maillage dense et complexe de l’assistance dans lequel les individus circulent selon les aléas de la carrière.»57

La complexité de ce parcours est dénoncée pour plusieurs raisons. L’une d’elle est la multiplication des dispositifs à franchir avant la réintégration d’un logement autonome.

Julien Damon compare les étapes de réinsertions d’un sans domicile au jeu de l’oie.

La case de départ (à la rue) est séparée par 10 cases de l’arrivée (logement définitif).

Même si chacune des « cases » n’est pas un passage obligé, leur existence suffit à « éloigner » le retour en logement définitif.

« Dans le jeu de l'oie qui s'est constitué, on voit plus souvent les personnes passer d'une réponse à une autre réponse, d'une case à une autre, sans que ces passages soient inscrits dans une trajectoire mécanique qui mène à la stabilité. Par ailleurs, toutes les cases n'étant pas équivalentes, en termes de services proposés, certaines prestations sont plus appréciées. »

Malgré un principe de passage ascendant d’un dispositif à un autre, la linéarité des trajectoires individuelles n’est pas pour autant assurée : « L'édifice du système assure effectivement des prises en

charge efficaces. Cependant certaines personnes en viennent à abandonner ce jeu de l'oie. »

La diversité des structures et des offres existantes a un intérêt indéniable. Cependant elle contribue à multiplier les statuts intérimaires et rallonge l’accès de certains sans domicile à des solutions de logement autonome et pérenne. L’engorgement des structures contribue à rallonger ce temps, bloquant certains paliers.

Le passage du premier palier (urgence) au deuxième (insertion) est unanimement dénoncé comme bloqué. Toutes les recherches semblent s’accorder sur l’actuelle césure entre ces deux hébergements, qui contribue à « classer les sans-abri entre le secteur fermé de l’insertion et le secteur ouvert de l’urgence

sociale.»58. Cécile Brousse va jusqu’à parler de l’enferment des sans domicile dans les services de l’urgence, résultant de la politique nationale.

Bien que le plan de lutte contre la pauvreté, adopté en janvier 2013, ait permis une augmentation de la capacité d'accueil en hébergement, doublée entre 2004 et 2013, de nombreux acteurs associatifs ou politiques dénoncent la hausse des dispositifs d’hébergement les plus précaires, ceux d’urgence.

57 Pichon Pascale, Op. Cit., p. 121.

58 Association Sortir de la Rue, Les Sans Abri, Op. Cit., p. 2.

Sources : Denis Clerc,

« Hébergement d'urgence : sortir du cercle vicieux » Alternatives Economiques 2014

fig. 10 : Effet de ciblage : le jeu de l’oie, sur le volet logement

Evolution de la capacité d’accueil des dispositifs d’hébergement

fig. 10 : L’escalier ou le jeu de l’oie

Source : Relancer le modèle du « logement d’abord » en France, Congrès FNRAS, Janvier 2017

La fondation Abbé Pierre, dans son 22éme rapport du mal logement en France, dénonce quant à elle, une hausse de +172% de séjours à l’hôtel et de +71% en hébergement d’urgence.

L'hébergement d'urgence en hôtel a pris une place très importante et ne s’accompagne pas d’un accompagnement social permettant de sortir de l'urgence. Ce mode d’hébergement tend, à priori, à se prolonger dans le temps. Bien qu’inadapté aux enfants, les hébergés sont le plus souvent des familles et les enfants représentent à eux seul 50% des hébergés à l’hôtel, d’après la fondation Abbé Pierre. D’après eux, près de 60% des personnes hébergées le sont depuis plus de 6 mois. Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales dénonçait déjà, en 2010, la solution hôtelière comme étant « la solution la plus insatisfaisante qui soit, avec des séjours qui s'allongent dans des conditions particulièrement difficiles : exigüité des locaux, impossibilité de faire des repas, conditions de scolarisation très difficiles pour les enfants». Une nuitée en hôtel coûtant moins cher qu’une nuitée en centre d’hébergement

d’urgence, la logique hôtelière paraît être une solution financièrement intéressante mais pour autant, elle écarte les hébergés du processus de réinsertion : «les familles placées à l’hôtel se retrouvent isolées, sans

accompagnement social, et galèrent dans les démarches. » 59

Les centres d’hébergement d’urgence sont eux aussi l’objet de vives critiques. Pour Patrick Bruneteaux,

«les CHU compliquent plus qu’ils ne résolvent la question sociale des personnes à la rue » et « ne participent aucunement aux logiques d’insertion dont ils prétendaient être la première pierre »60.

Les CHRS, principale structure à proposer des places d’hébergement d’insertion, n’ont que très peu augmenté leurs capacités (et leurs nombres) en 5 ans. D’après la Fondation Abbé Pierre la hausse de leurs capacités est de seulement +7% en cinq ans (de 2010 à 2015).

Le traitement de l’urgence apparaît donc comme une préoccupation première de la politique actuelle sur l’hébergement, prenant le pas sur celui de l’insertion. L’hébergement d’urgence à vocation brève, tend à durer, dans des conditions précaires et avec peu ou pas d’accompagnement social.

L’hébergement d’insertion reste quand à lui en marge, avec une évolution assez faible. Laura Charrier, qui suit les politiques publiques en faveur de l'hébergement à la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS), parle de « mise à l'abri

court-termite »61.

L’engorgement et l’inadaptation des structures sont aussi problématiques entre l’hébergement d’insertion et le logement accompagné.

Pour les sans domicile n’ayant pas de besoins spécifiques, les résidences sociales semblent adaptées et leur nombre est en augmentation. Les foyers-logements, de par leurs spécificités sur les publics accueillis semblent restrictifs. Cependant, les logements accompagnés ne semblent pas nombreux à proposer un accueil adapté aux public des sans domicile souhaitent ou ayant besoin d’un accompagnement important. Les maisons relais, notamment les pensions de famille, semblent être une offre en logement accompagné adaptée au parcours de sans domicile ayant connu l’érrance et ayant besoin d’un accompagnement

59Piquemal Marie, « Des hébergements d’urgence, l’Etat remplit les hôtels ». Libération, Octobre 2015.

60Patrick Bruneteaux, « Les politiques de l'urgence à l'épreuve d'une ethnobiographie d'un SDF », Revue française de science politique, 2007, Vol. 57, p. 47-67.

61Clerc Denis, Op. Cit.

présent au quotidien. La nature de l’accueil permet à la personne de recouvrer de l’autonomie et de l’intimité (notamment grâce à un apartement individuel), tout en ayant accés à des espaces collectifs. Estimée à 16 euros par jour par la Fondtion Abbé Pierre, elle est moins coûteuse que les places en CHRS (43 euros/jour), que celles en urgence ( 24 euros) ainsi que celles en hôtel ( 17 euros).

Malgré son bas coût, ce dispositif est très peu présent en France. Le nombre de places est passé de 8 000 en 2011 à 15 000 en 2015. Malgré cette hausse, les subventions concernant ce type de logement ont diminué de près d’un tiers depuis 2014. Or, toujours d’après la Fondation Abbé Pierre, un nombre important de personnes souhaiterait intégrer, à leur sortie d’un hébergement en CHRS, une pension de Famille. Cependant, leur capacité n’est pas suffisante : « À Paris, le SIAO ne répond qu’à 7 % des

demandes d’intégration en Pension de famille » 62

D’aprés une étude menée par l’Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO) sur les logements accompagnés en France en 2013, le taux de rotation en logement accompagné serait de 18% en moyenne. 36% des résidents présents en 2013 dans un logement accompagné habitaient depuis moins d’un an dans leur logement. Les durées de 2 ans à 4 ans dans le logement représentaient seulement 25% des personnes. Enfin 39% des personnes y résidaient depuis plus de 5 ans.

Ainsi le logement accompagné est divisé entre une durée d’occupation courte, ou le logement montre son rôle transitoire et une durée plus longue, contribuant à un engorgement dans le logement adapté.

Enfin, la dernière marche, menant au logement autonome, semble elle aussi bloquée. D’après la Fondation Abbé Pierre, la liste des demandes de logement HLM ne cesse d’augmenter, avec une hausse de 23 000 demandes entre 2015 et 2016. Durant l’année 2015, 50 000 ménages auraient vu leurs demandes aboutir et 70% des demandes (soit 1 834 897 ménages) n’ont pas obtenu de réponse. Ainsi, les loyers élevés dans le parc privé et le décalage entre l’offre et la demande dans le parc social génèrent un engorgement dans l’accès au logement autonome pour les sans domicile.

Conclusion : les limites du parcours d'insertion en escalier

Les structures proposant un accueil aux sans domicile sont nombreuses, permettant notamment de répondre à la diversité constituée par ces derniers. Ces structures se sont diversifiées notamment grâce à une politique de l’hébergement qui a fortement évolué durant ces cinquante dernières années.

De l’hébergement d’urgence à celui d’insertion, puis au logement accompagné, les sans domicile sont accompagnés dans une réinsertion qualifiée de « prise en charge en paliers ». Chacune de ces structures propose des modalités d’accueil et d’accompagnement qui lui sont propres. Cette prise en charge, efficace dans certains cas, souffre actuellement d’un phénomène d’engorgement entre chaque marche.

« C’est ainsi que tous les segments du parc immobilier jusqu’aux structures d’hébergement s’engorgent, rejetant dans la rue ou dans les interstices du marché immobilier les plus pauvres et fragiles. »63

La Fondation Abbé Pierre va jusqu’à dénoncer l’échec du modèle du parcours résidentiel « en escalier». Quelle autre alternative existe-t-il ?

62 Fondation Abbé Pierre, Op. Cit. 63 Jaillet-Roman Marie-Christine. Op. Cit.

Source : UNAFO, Le logement accompagné en chiffres, édition 2016

Durée d’occupation des résidents présents au 31/12/2013 en logement accompagné en France

fig. 13 : L’occupation des logements accompagnés, des durées très courtes ou très longues

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