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1.2.1 Effet des agents déméthylants sur l'activité tumorale

Les deux agents déméthylants 5azadC et 5azaC sont déjà utilisés en clinique comme traitement innovant de certaines leucémies. Ils possèdent des effets anti-tumoraux dans des hémopathies, mais ne sont pas encore utilisés pour traiter des tumeurs solides. Pourtant, il existe de nombreuses preuves précliniques de leur efficacité anti-tumorale dans ces cancers, et en particulier dans les cancers HPV positifs.

Dans notre étude, le traitement des cellules Ca Ski avec le 5azadC entraîne un blocage du cycle cellulaire en phase G2/M et une mort cellulaire, probablement par apoptose puisque que la PARP est clivée après traitement. L'effet anti-tumoral du 5azadC sur les cellules Ca Ski est confirmé par d'autres études. En effet, Zhang et collaborateurs ont montré que le 5azadC à 0,5 µM provoque une inhibition de la prolifération cellulaire, un blocage du cycle cellulaire en phase S et G2/M et une induction de l'apoptose (augmentation du pourcentage de cellules PE et AAD positives) à partir du cinquième jour de traitement (Zhang et al, 2015a). D'après Stich et collaborateurs, le traitement (0,5 µM pendant 72 heures) réprime la prolifération et la formation de colonies (Stich et al, 2016). Dans notre étude, les cellules SiHa semblent moins sensibles au traitement que les cellules Ca Ski, car nous n'observons pas de blocage du cycle cellulaire, ni de clivage de la PARP, mais seulement une augmentation non significative du nombre de débris cellulaires (observés par cytométrie). Zhang et collaborateurs observent eux aussi que le traitement avec le 5azadC n'induit ni apoptose ni blocage du cycle dans les cellules SiHa, mais réduit la prolifération à partir du cinquième jour de traitement. De plus, le traitement des cellules SiHa inhibe la formation de colonies (Stich et al, 2016). En parallèle, le traitement d'autres modèles cellulaires contenant des copies d'HPV16 ou 18 et issus de tumeurs des VADS ou du col de l'utérus entraîne une inhibition de la prolifération et de la formation de colonies, ainsi qu'une induction de l'apoptose et un blocage du cycle cellulaire en phase S et G2/M (Stich et al., 2016; Zhang et al., 2015). Concernant l'analogue 5azaC, des études confirment que l'utilisation des DNMTi sur des modèles cellulaires aurait un effet anti-tumoral. En effet, sur des modèles cellulaires HPV positifs et issus de tumeurs des VADS (SCC47 et SCC90), le traitement (3 µM, 7 jours) avec du 5azaC provoque une diminution de la survie des cellules. Le 5azaC réduit aussi l'expression de MMP1 et MMP10 dans ces cellules, suggérant une inhibition du pouvoir invasif des cellules (Biktasova et al, 2017). Les deux DNMTi 5azadC et son analogue 5azaC présentent donc des effets anti-tumoraux dans les modèles cellulaires HPV positifs.

Il a aussi été montré que le 5azaC avait des effets anti-tumoraux in vivo. En effet, les souris porteuses de tumeurs UMSCC47 et SCC090 traitées avec le 5azadC (2 mg/kg) présentent une

croissance significativement réduite de la tumeur, confirmé par une diminution du volume tumoral et du pourcentage de cellules tumorales exprimant Ki-67. Lors d'une étude préclinique chez des patients atteints de cancers des VADS HPV positifs, l'administration de 5azaC seul induit une diminution de l'expression transcriptionnelle de E6 et de E7, une augmentation de l'activité des caspases et de l'expression de p53 après une semaine de traitement (observé sur biopsie de la tumeur avant et après traitement) (Biktasova et al, 2017). Ces résultats suggèrent donc que les deux agents déméthylants possèdent des effets anti-tumoraux sur les cellules tumorales infectées par HPV.

1.2.2 Mécanismes moléculaires de l'activité anti-tumorale du 5azadC

Dans les cancers induits par HPV, les effets anti-tumoraux des deux inhibiteurs de DNMT pourraient résulter d'au moins trois causes différentes (Stich et al, 2016).

D'abord, les inhibiteurs nucléosidiques sont cytotoxiques parce qu'ils s'incorporent dans l'ADN et piègent par liaison covalente les DNMT sur le génome cellulaire, provoquant des dommages à l'ADN. Parmi les trois DNMT pouvant être piégées, la DNMT1 pourrait être la principale cause de la cytotoxicité du 5azadC, selon Jüttermann et collaborateurs (Jüttermann et al, 1994). En effet, des cellules souches embryonnaires exprimant deux fois moins de DNMT1, mais maintenant un niveau de méthylation du génome équivalent à celui des cellules contrôles, sont plus résistantes aux effets cytotoxiques du 5azadC (Jüttermann et al, 1994). Palii et collaborateurs ont confirmé ces résultats en rapportant que le traitement des cellules tumorales déficientes en DNMT1 sont moins sensibles à la cytotoxicité du traitement. L'inhibition de la cytotoxicité proviendrait d'une mauvaise localisation des formes actives de CHK1, empêchant d'exercer leurs fonctions dans la réponse aux dommages à l'ADN (Palii et al, 2008). Ce DNMTi serait donc plus susceptible d'avoir un effet anti-tumoral avec des cellules possédant un taux important de DNMT qu'avec des cellules possédant un taux faible, en théorie plus résistantes. Puisque les oncoprotéines d'HPV provoquent une surexpression des DNMT, et particulièrement de la DNMT1, ce mécanisme d'action du 5azadC pourrait renforcer la cytotoxicité du traitement sur les tumeurs du col de l'utérus ou des VADS HPV positives. Mais même si la DNMT1 joue elle aussi un rôle important (Jüttermann et al, 1994), la cytotoxicité du 5azadC serait principalement due aux DNMT3a et DNMT3b selon Oka et collaborateurs (Oka et al, 2005). En fait, la DNMT1 est localisée au niveau de la fourche de réplication durant la phase S, pour maintenir le profil de méthylation pendant la réplication de l'ADN (Chuang et al, 1997; Leonhardt et al, 1992). Par conséquent, les liaisons covalentes ADN-DNMT1 (adduits) causées par le 5azadC pourraient principalement se former à la fourche de réplication, où les mécanismes de réparation de l'ADN sont très actifs. En plus, DNMT1 s'associe à PCNA, essentiel pour la réparation de l'ADN. Les DNMT3a et DNMT3b sont plutôt localisées au niveau de l'hétérochromatine péri-centrique, et donc formeraient

des adduits plus stables. Les adduits ADN-DNMT1 pourraient donc en théorie être plus facilement réparés que les adduits ADN-DNMT3a/b (Oka et al, 2005). Des études sont encore nécessaires pour comprendre les mécanismes induits par chaque DNMT, responsables de la cytotoxicité du 5azadC dans les cellules.

Un deuxième mécanisme impliqué dans l'inhibition de la prolifération des cellules traitées par le 5azadC est la déméthylation de gènes suppresseurs de tumeurs, ce qui induit leur réexpression. De nombreuses études ont identifié des gènes hyperméthylés de façon aberrante dans les cancers du col de l'utérus comparé au tissu sain (Müller et al, 2004; Feng et al, 2005; Sova et al, 2006; Ongenaert et al, 2008; Wang et al, 2008; Yao et al, 2013; Chen et al, 2014c; Lin et al, 2016). L'utilisation d'agents déméthylants pour traiter des lignées cellulaires dans le but d'identifier des gènes hyperméthylés est une approche utilisée dans plusieurs études (Sova et al, 2006; Ongenaert et al, 2008; Chen et al, 2014c).

En favorisant la réexpression de gènes hyperméthylés par utilisation de 5azadC et de trichostatine A (TSA), un HDACi, dans quatre lignées de cancers invasifs du col de l'utérus, une étude sur le génome complet a identifié 235 gènes surexprimés après traitement. Le statut de méthylation de 39 de ces gènes a été analysé, et 33 gènes sont méthylés dans au moins une des lignées cellulaires, 17 sont méthylés dans trois lignées sur quatre. Finalement, dans des échantillons cliniques de cancers invasifs, 9 gènes (DKK3, HPCAL4, MT1G, NMES1, RRAD, SFRP1, SPARC, TFPI2, TPPP) étaient plus souvent méthylés dans des échantillons de patients avec (22 échantillons) que sans cancers invasifs (Sova et al, 2006).

Dans une autre étude, toujours à l'aide d'un traitement de lignées cellulaires avec du 5azadC et de la TSA suivi d'analyses sur des échantillons cliniques, trois gènes ont été identifiés comme étant plus méthylés (SST, HTRA3 et NPTX1) dans les tumeurs du col (9 échantillons) que dans les tissus sains (5 échantillons) (Ongenaert et al, 2008).

Dans une troisième étude, des résultats obtenus dans le traitement des lignées avec la même combinaison (5azadC et TSA) ont été recoupés avec la comparaison des taux de méthylation des gènes entre tissus de cancers du col de l'utérus (38 échantillons) et tissus sains. Ce recoupement a permis d'identifier 61 gènes candidats, parmi lesquels 14 sont significativement plus méthylés dans les tissus cancéreux comparé au tissu sain, dont ADRA1D, AJAP1, COL6A2, EDN3, EPO, HS3ST2, MAGI2, POU4F3, PTGDR, SOX8, SOX17, ST6GAL2, SYT9, et ZNF614 (Chen et al, 2014c).

Il est intriguant de noter qu'il n'existe aucun marqueur potentiel en commun parmi ces trois études. La sélection de biomarqueurs hyperméthylés n'est donc pas reproductibles entre les études, alors que la démarche était similaire (sélection de gènes sur des lignées traitées par un DNMTi et HDACi, puis validation sur des échantillons cliniques). Le manque de reproductibilité interroge sur la pertinence des cribles et de leur méthode de sélection. Il pourrait aussi être due à des différences dans

les protocoles de traitement des cellules et les lignées cellulaires utilisés dans chaque étude, ainsi que le nombre d'échantillons utilisés dans chaque cohorte.

Par ailleurs, des lignées cellulaires ont été traitées par 5azadC pour identifier des miARN hyperméthylés dans les cancers du col de l'utérus. Les auteurs de l'étude ont ensuite sélectionné plusieurs miARN (miR-432, miR-1286, miR-641, miR-1290, miR-1287, miR-95 et let-7a) qui étaient surexprimés dans les trois lignées cellulaires après traitement, puis ont comparé leur taux de méthylation entre des tissus tumoraux et des tissus sains adjacents. De manière contradictoire, trois miARN (miR-1286, miR-641 et let-7a) avaient un taux de méthylation plus faible dans les tumeurs que dans les tissus sains adjacents, et le miR-95 avait un taux de méthylation plus élevé (Yao et al, 2013).

Les publications ci-dessus proposent des biomarqueurs dans les cancers du col de l'utérus. Le fait qu'ils soient hyperméthylés suggèrent qu'ils possèdent une activité défavorable au processus de carcinogenèse. Ainsi, la réexpression de ces gènes dans ces cancers grâce au 5azadC induirait potentiellement une inhibition de la croissance tumorale voire la mort des cellules cancéreuses.

Finalement, la surexpression de gènes suppresseurs de tumeurs induite par la déméthylation de leur promoteur s'accompagne aussi de la répression d'oncogènes, entre autres les oncoprotéines virales E6 et E7, ce qui renforce l'action cytotoxique du 5azadC. En effet, les cellules cancéreuses sont dépendantes des oncoprotéines virales pour leur survie. C'est pourquoi leur inhibition pourrait entraîner une diminution de la prolifération et l'apoptose des cellules. En lien avec cette répression, les protéines p53 et p21 sont surexprimées dans les deux modèles cellulaires traités avec le 5azadC, ce qui est cohérent avec l'observation de l'arrêt du cycle et l'induction de l'apoptose, au moins dans les cellules Ca Ski.

Dans nos expériences, nous avons montré qu'il existait une différence de sensibilité entre les cellules SiHa et Ca Ski, ce qui avait déjà été démontré dans d'autres études utilisant du 5azadC (Zhang et al, 2015a) ou d'autres traitements (Hougardy et al, 2005; Ding et al, 2007; Filippova et al, 2009). Par exemple, les cellules traitées avec un anticorps agoniste anti-Fas induit l'activation de la caspase 8, le clivage de Bid, l'activation de la caspase 9 et 3 et le clivage de la PARP et l'induction de l'apoptose dans les cellules Ca Ski, mais pas dans les cellules SiHa. D'après les auteurs, cette différence de sensibilité est probablement due à une faible expression de la caspase 8 et un niveau indétectable de Bid dans les cellules SiHa, ce qui réduit l'activation de la caspase 9 (Hougardy et al, 2005). Une autre hypothèse est que la différence de sensibilité des cellules proviendrait d'une différence de ratio entre le taux de E6 et de E6*I. En effet, d'après Filippova et collaborateurs, la protéine E6 accélère la dégradation de FADD et de la procaspase 8, alors qu'E6*I stabilise l'expression de la procaspase 8 (Filippova et al, 2007, 2009).

Une autre piste intéressante pour expliquer que les cellules Ca Ski soient plus sensibles au traitement par le 5azadC serait la réexpression de E2 dans ces cellules. En effet, il a été montré que les ARNm E2 étaient intacts dans ces cellules (Xue et al, 2012), mais que la protéine n'était pas présente, ou en tout cas pas capable d'activité transcriptionnelle (Xue et al, 2012; Morel et al, 2017). De plus, une majorité des 400 à 600 copies HPV16 intégrées dans le génome cellulaire est hyperméthylée afin de réguler le niveau d'oncoprotéines virales. Il est donc possible que le traitement au 5azadC favorise la déméthylation de toutes les copies, conduisant à une surexpression de E2 qui alors n'était pas produite de manière fonctionnelle. Les cellules SiHa ne possédant pas de POL entière de E2, le mécanisme de réexpression après traitement serait donc spécifique aux cellules Ca Ski, leur conférant une sensibilité plus grande au traitement. Afin de vérifier cette hypothèse, une mesure de l'activité luciférase sous la dépendance de E2 (comme réalisé Figure 1D de l'article de Morel et collaborateurs) dans les cellules Ca Ski pourrait être effectuée après leur traitement avec le 5azadC.

2 Rôle du miR-375 dans la régulation des oncogènes viraux