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La méthylation de l'ADN est la marque épigénétique la plus étudiée du génome des mammifères. Concrètement, cette méthylation se caractérise par l'ajout d'un groupement méthyle en position C-5 d'une cytosine, formant une 5-méthylcytosine (5mC). Elle survient généralement au niveau du dinucléotide CpG, bien qu'une faible proportion, de 0,02% à 25% suivant la lignée cellulaire (Lister et al, 2009), puisse être observée au niveau de séquence CHG et CHH (où H représente A ou T ou C).

Durant l'embryogenèse, la méthylation appropriée des gènes permettant leur régulation transcriptionnelle au niveau spatial et temporel est d'importance vitale (Zhang & Pradhan, 2014). La méthylation de l'ADN joue aussi un rôle crucial dans la maintenance de la pluripotence des cellules, l'inactivation du chromosome X, l'empreinte génomique, et favorise la stabilité du génome (Bird, 2002; Goll & Bestor, 2005; Denis et al, 2011). Dans le génome humain, certaines régions sont riches en séquence CpG, et sont définies comme îlot CpG lorsque la densité de CpG est plus importante qu'attendue sur un minimum de 200 pb. Sur les 29 000 îlots CpG prédits dans le génome humain (Bird, 2002), 30% se situent dans un TSS, (transcription start site) et 32% dans des régions transcrites. De 60% (Bird, 2002) à 70% (Saxonov et al, 2006) des gènes humains contiennent au moins un îlot CpG.

Généralement considérée comme une marque répressive, la méthylation de l'ADN affecte la transcription des gènes de trois manières différentes : en changeant l'affinité de liaison des FT aux promoteurs de gènes, en recrutant des facteurs reconnaissant l'ADN méthylé au niveau des promoteurs ou des corps de gènes, et/ou en altérant la structure de la chromatine et l'accessibilité de l'ADN aux FT (Zhang & Pradhan, 2014). En effet, la méthylation de l'ADN peut être reconnue par trois familles de protéines : MBD, UHRF et en doigt de zinc (Moore et al, 2013). La famille MBD est composée des membres MeCP2 et MBD1, 2, 3 et 4. Seules MeCP2, MBD1 et MBD2 peuvent lier directement l'ADN méthylé et contiennent un domaine de répression transcriptionnelle (TDR) permettant le recrutement de complexes répresseurs (Nan et al, 1998; Ng et al, 1999; Sarraf & Stancheva, 2004). MeCP2 est capable en outre de recruter DNMT1 au niveau de l'ADN hémi-méthylé pour effectuer une méthylation de maintenance (Kimura & Shiota, 2003). Les deux protéines de la famille UHRF, UHRF1 et 2, peuvent aussi lier l'ADN méthylé et DNMT1. Leur fonction première n'est pas de réprimer la transcription mais de maintenir la méthylation durant la réplication de l'ADN en recrutant la DNMT1 au niveau de l'ADN hémi-méthylé (Bostick et al, 2007; Sharif et al, 2007). Enfin, la famille des protéines en doigt de zinc liant l'ADN méthylé est composée de Kaiso, ZBTB4 et ZBTB38, qui peuvent réprimer la transcription en fonction de l'état de méthylation de l'ADN.

2.1.1 DNA méthyltransférases

Chez les mammifères, il existe trois DNMT catalysant le transfert d'un groupement méthyle d'un SAM (S-adénosylméthionine) à une cytosine, DNMT1, DNMT3a et DNMT3b ; et une DNMT régulatrice DNMT3L, sans activité catalytique. Ces DNMT permettent l'établissement de la méthylation des cytosines, mais aussi la maintenance de l'état méthylé au fil de la division cellulaire (Goll & Bestor, 2005). Ainsi, la DNMT1 est généralement considérée comme une DNMT de maintenance, s'associant à UHRF1 au niveau de la fourche de réplication de l'ADN durant la phase S afin de reproduire le schéma de méthylation sur le brin ADN néosynthétisé à partir de séquences CpG hémi-méthylées du brin matrice (Avvakumov et al, 2008; Sharif et al, 2007). DNMT3a et DNMT3b sont considérées comme des DNMT de novo. Ces deux enzymes sont hautement homologues mais possèdent des cibles et des expressions temporelles et spatiales distinctes (Watanabe et al, 2002). La DNMT1 recombinante purifiée possède 7 à 21 fois plus d'affinité pour l'ADN hémi-méthylé que non-méthylé, tandis que DNMT3a a 3 fois plus d'activité sur l'ADN non-méthylé qu'hémi-méthylé (Pradhan et al, 1999; Hermann et al, 2004; Zhang & Pradhan, 2014). Ces études nuancent donc la catégorisation des enzymes, puisque les trois catalysent la méthylation de maintenance et de novo. De plus, DNMT1 peut former des complexes avec DNMT3a et DNMT3b, suggérant un rôle dans la méthylation de maintenance pour ces deux dernières enzymes (Kim et al, 2002).

2.1.2 Mécanismes de déméthylation

De très nombreux processus physiologiques nécessitent une déméthylation de l'ADN, survenant par exemple au début du développement de l'embryon (Popp et al, 2010; Guibert et al, 2012), durant la différenciation cellulaire (Borgel et al, 2010; Calvanese et al, 2012), la reprogrammation cellulaire (Bhutani et al, 2010) ou lors de réponses cellulaires aux hormones, aux facteurs de croissance ou aux stimuli environnementaux (Dhiman et al, 2015; Yasuda et al, 2016; Scantamburlo et al, 2017).

Il existe deux sortes de déméthylation : passive et active. La première correspond à l'absence de méthylation de maintenance durant la division cellulaire. Il en résulte une dilution progressive de la marque épigénétique après plusieurs réplications successives de l'ADN (Auclair & Weber, 2012). Par exemple, ce mécanisme passif est en particulier responsable de la déméthylation du génome après la fécondation, DNMT1 étant exclue du noyau durant le développement préimplantatoire (Okamoto et al, 2016; Dean, 2016; Auclair & Weber, 2012). Le second mécanisme fait intervenir une déméthylation plus rapide de l'ADN et ne nécessite pas de division cellulaire (Figure 17). Il a été documenté par exemple au niveau du zygote (Auclair & Weber, 2012). Cependant, il n'y a pas d'enzymes connues dans les cellules de mammifère capables de cliver la liaison covalente carbone/carbone reliant le groupe méthyle à la cytosine (Moore et al, 2013). A la place, la déméthylation survient après une série de

réactions chimiques modifiant la 5mC en produit reconnu par le système BER (base excision repair), afin de remplacer la base par une nouvelle cytosine. Plusieurs mécanismes ont été proposés. Le premier mécanisme convertit par désamination le groupement amine en carbonyle grâce aux enzymes AID/APOBEC, produisant au final une thymine. Cette modification provoque un appariement incorrect G/T, reconnu par le système BER et réparé en cytosine (Moore et al, 2013). Un autre mécanisme nécessite l'action des enzymes Tet (ten-eleven translocation), Tet1, 2 et 3, qui catalysent l'hydroxylation du groupe méthyle en hydroxyméthyle (5hmC) (Tahiliani et al, 2009; Ito et al, 2010). Cette 5hmC est ensuite transformée en 5formylcytosine (5fC) puis en 5carboxycytosine (5caC) par oxydation, toujours grâce aux enzymes Tet (Ito et al, 2011), ou transformée en 5hydroxymethyluracile (5hmU) par désamination par AID/APOBEC (Guo et al, 2011). Finalement, les résidus modifiés sont pris en charge par le système BER et plus précisément par la thymine DNA glycosylase (TDG) pour être remplacés par une cytosine non modifiée (Cortellino et al, 2011; He et al, 2011). Un mécanisme alternatif a été décrit, conduisant à la formation de cytosine par décarboxylation directe de la 5caC (Ito et al, 2011; Xu et al, 2013b; Liutkevičiūtė et al, 2014).

Figure 17 : Voies de déméthylation de la méthylcytosine.

Un mécanisme potentiel de la déméthylation active est la désamination de la 5mC catalysée par AID/APOBEC (vert) et suivie de l'excision de la Thy par TDG et de la réparation par le système de réparation BER (bleu). La

5mC peut aussi être hydroxylée en 5hmC par les enzymes Tet (rouge). Finalement, la 5hmC peut être transformée en 5hmU par AID/APOBEC et prise en charge par le système de réparation BER, ou alors être

transformée par Tet en 5fC puis en 5caC, cette dernière pouvant être prise en charge par le système de réparation BER ou transformée en Cyt par décarbocylation. Cyt : Cytosine ; 5mC : 5méthylcytosine ; Thy :

NH2 O N N R 5fC O HO NH2 O N N R 5caC O NH2 N HO N R 5hmC O NH2 N N R Cyt O NH2 N N R 5mC O NH HO N R 5hmU O O NH N R Thy O O Tet Tet Tet AID/APOBEC TDG TDG TDG TDG Déméthylation passive Méthylation DNMT hyd roxyl ation hydroxylation hydroxylation Sys tème BE R Sys tème BE R Système BER Système BER Désamina tion Décarboxyl ation AID/APOBEC Désamina tion

Thymine ; 5hmC : 5hydroxymethylcytosine, 5hmU : 5hydroxyméthyluracile ; 5fC : 5formylcytosine ; 5caC : 5carboxylcytosine ; BER : Base excision repair ; TDG : Thymine DNA Glycosylase ; AID/APOBEC : activation-

induced cytidine deaminase/apolipo-protein B mRNA-editing enzyme complex ; DNMT : DNA Méthyltransférase

; Tet : ten-eleven translocation. (Auclair & Weber, 2012; Moore et al, 2013)

2.1.1 Inhibiteurs de DNMTs

Les cellules cancéreuses possèdent généralement un profil épigénétique différent des cellules normales, avec une diminution générale de la méthylation de l'ADN, par exemple sur les rétrotransposons, et une hyperméthylation spécifique et localisée d'îlots CpG de promoteurs de gènes, la plupart de ces gènes étant des suppresseurs de tumeurs (Pechalrieu et al, 2017). Le fait que la prolifération soit accrue dans les cellules cancéreuses et que l'expression des gènes soit différente en partie due à la méthylation de l'ADN suggère que les cellules cancéreuses seraient les plus impactées par un traitement par des inhibiteurs de DNMT (DNMTi) (Pechalrieu et al, 2017). Ces inhibiteurs peuvent être nucléosidiques ou non-nucléosidiques et cibler toutes les DNMT ou une enzyme spécifiquement.

Actuellement, deux DNMTi, le 5-azacytidine (5azaC) et le 5-aza-2'-deoxycytidine (5azadC), développés en 1964 à la base comme agent cancérostatique (Sorm et al, 1964), ont été approuvés par la FDA (food and drug administration) pour le traitement clinique de certaines hémopathies malignes comme les SMD (syndromes myélodysplasiques), les LAM (leucémie aigüe myéloïde) et les LMC (leucémies myéloïdes chroniques) (Derissen et al, 2013). Ces deux agents ont été caractérisés comme DNMTi dans les années 1980 (Schapira & Arrowsmith, 2016) et font partie des inhibiteurs analogues des nucléosides. Après leur tri-phosphorylation (Momparler, 2005), ils sont incorporés dans la séquence ADN (et ARN pour le 5azaC) lors de la phase S et piègent irréversiblement la DNMT (1, 3a ou 3b) sur l'ADN par liaison covalente, provoquant la dégradation de l'enzyme par le protéasome (Jüttermann et al, 1994; Ghoshal et al, 2005). La déméthylation de l'ADN est donc passive, au fur et à mesure des divisions cellulaires. En plus de la diminution du niveau global de méthylation et de la réexpression de gènes éteints, l'activité anti-tumorale des deux inhibiteurs proviendrait de la cytotoxicité produite par les dommages à l'ADN induits par la liaison covalente ADN-DNMT (Pechalrieu et al, 2017; Flotho et al, 2009).

Finalement, les deux composés 5azaC et 5azadC sont chimiquement instables du fait de leur désamination par l'enzyme cytidine désaminase (Rogstad et al, 2009), c'est pourquoi de nombreux composés sont à l'étude (Agrawal et al, 2018), comme la zébularine ou le SGI-110, qui sont plus stables. Concernant la zébularine, les études cliniques n'ont pas débuté car le composé est moins efficace que les autres analogues, et surtout parce que sa toxicité hépatique et rénale est trop importante à des doses efficaces in vivo, après des études sur des singes (Holleran et al, 2005; Johnson et al, 2006). Le

SGI-110 est quant à lui un candidat prometteur, actuellement testé en études cliniques de phase 3 pour le traitement de LAM, SMD et LMC, avec un profil de tolérance acceptable (Sannigrahi et al, 2017). Le taux de réponse complète serait de 30% dans une étude de phase 2, chez des patients atteints de LAM et en rechute ou réfractaire au traitement standard (Roboz et al, 2018).

En plus des DNMTi analogues des nucléosides, un intérêt considérable a été porté concernant le développement d'inhibiteurs non-nucléosidiques (Pechalrieu et al, 2017), qui se lieraient directement aux DNMT sans incorporation préalable dans l'ADN (Brueckner & Lyko, 2004; Song et al, 2012), et qui pourrait donc être moins cytotoxique que les inhibiteurs nucléosidiques (Song et al, 2012). Dans cette classe de molécules, sont retrouvés EGCG, hydralazine, mitoxanthrone, N- acétylprocaïnamide, psammapline A, procaïnamide et procaïne (Liang & Weisenberger, 2017). L'hydralazine et la procaïnamide sont par exemple utilisées cliniquement contre l'hypertension et l'arythmie, respectivement, et l'hydralazine est même testée en essai clinique pour le traitement de cancer du sein. De plus, certains flavonoïdes possèdent des propriétés d'inhibiteurs des DNMT, comme par exemple l'EGCG qui est un polyphénol naturel retrouvé dans le thé vert (Lee et al, 2005).

Finalement, cette classe d'inhibiteurs comprend aussi des composés dont le mécanisme d'action est indirect, c'est à dire qu'ils ne se lient pas directement aux DNMT, comme le MG98, qui est un oligonucléotide antisens inhibant l'expression de l'ARNm de DNMT1 (Davis et al, 2003). Il a été testé en étude clinique de phase 1 (Stewart et al, 2003).

En conclusion, la recherche de nouveaux inhibiteurs des DNMTs progresse dans les deux classes d'inhibiteurs. Cependant, Cheray et collaborateurs ont publié en 2014 que l'utilisation de composés inhibant toutes les DNMT, comme la décitabine, pouvait avoir un effet tumorigénique de par la déméthylation et donc la surexpression d'oncogènes cellulaires (Cheray et al, 2014). C'est pourquoi les auteurs proposent de développer de nouvelles générations de DNMTi, qui cibleraient spécifiquement une DNMT et non toutes, ou encore des composés qui altéreraient uniquement l'interaction entre une DNMT et un seul de ses partenaires protéiques. Cette spécificité favoriserait la déméthylation d'un petit groupe de gènes plutôt que le génome complet, et permettrait donc d'éviter la déméthylation non désirée d'oncogènes.

Les DNMTi approuvés pour le traitement du cancer ne sont utilisés que contre les leucémies. Pourtant, sur la base de résultats précliniques encourageants, les inhibiteurs de DNMT pourraient être efficaces aussi pour le traitement des tumeurs solides (Linnekamp et al, 2017), qui possèdent un profil de méthylation aberrant. Lors d'une étude clinique de phase 3, le traitement du cancer du col de l'utérus a même été plus efficace lorsque l'hydralazine était ajoutée au traitement combinant valproate, topotécan, et cisplatine (Coronel et al, 2011), avec un taux de réponse global de 24%, au lieu de 5% pour le traitement de base et une survie sans progression de 10 mois au lieu de 6.