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Les ARN non codants (ARNnc) sont issus de la transcription mais ne sont pas traduits en protéine. En plus des ARNt et des ARNr, il existe d'autres ARN non codants comme les ARNlnc (long non-codant), les miARN (microARN) et les piARN (piwi-interacting ARN), qui régulent l'expression des gènes (Zhang & Pradhan, 2014).

Les ARNlnc sont des transcrits de plus de deux cents paires de bases. Il en existe plus de 27 919 dans le génome humain, dont 19 175 potentiellement fonctionnels (Hon et al, 2017). Bien que leurs rôles ne soient pas complètement élucidés, ils permettraient le recrutement d'enzymes catalysant les marques épigénétiques sur des séquences spécifiques du génome pour modifier l'expression des gènes. En effet, il a été montré que les ARNlnc pouvaient s'associer à l'ADN pour former des structures en triplex, et recruter par exemple un complexe de méthylation contenant DNMT3b (Schmitz et al, 2010).

Les miARN et les siARN sont connus pour inhiber l'expression des gènes en s'hybridant aux ARNm. Les miARN sont transcrits à partir du génome alors que les siARN sont des outils synthétiques d'acides nucléiques double brins mimant les miARN. D'une séquence d'environ vingt-deux nucléotides, le premier miARN a été découvert en 1993 chez Caenorhabditis elegans (Lee et al, 1993). En 2014, plus de 2500 gènes codant des miARN ont été identifiés dans le génome humain (Kozomara & Griffiths- Jones, 2014).

Après transcription du gène codant le miARN par l'ARN Pol II, le pri-pré-miARN, pouvant contenir plusieurs pré-miARN, est pris en charge par Drosha, une ARNase, libérant des pré-miARN (Han et al, 2004). Ce dernier est exporté du noyau vers le cytoplasme par l'exportine 5 (Yi et al, 2003), puis pris en charge par Dicer pour donner un ARN mature, qui est apprêté sur le RISC (RNA-induced silencing complex) (Connerty et al, 2015). Le miARN sert alors de guide au complexe pour inhiber l'expression des ARNm cibles, soit en empêchant leur traduction, soit en clivant les ARN grâce à la protéine argonaute du complexe (Zhang & Pradhan, 2014).

3 HPV et régulation épigénétique

3.1 Méthylation de l'ADN

Parmi les cent cinquante partenaires protéiques de E6 et E7, sont retrouvées des protéines impliquées dans l'établissement des marques épigénétiques comme la modification post- traductionnelle des histones et la méthylation de l'ADN. Mais E6 et E7 dérégulent aussi l'expression de certaines de ces protéines.

3.1.1 Oncoprotéines et ADN méthyltransférases

Des altérations dans le schéma de méthylation de l'ADN, comme par exemple une hypométhylation globale de l'ADN et une hyperméthylation spécifique des gènes suppresseurs de tumeur, surviennent durant la carcinogenèse viro-induite (Lu et al, 2012; Durzynska et al, 2017). En effet, selon Durzynska et collaborateurs, tous les virus cancérigènes codent des oncoprotéines qui dérégulent la machinerie de méthylation de l'ADN et altère l'expression des gènes viraux et cellulaires (Durzynska et al, 2017). Par exemple, les oncoprotéines des virus HPV, EBV, HBV et AdV stimulent l'activité de DNMT1 (Figure 18), et induisent l'expression de DNMT3a et DNMT3b (sauf AdV) (El-Araby et al, 2016; Durzynska et al, 2017).

L'oncoprotéine E6 des HPV16 accroît l'expression de DNMT1 en inhibant p53 (Au Yeung et al, 2010; Liu et al, 2016a). Dans les modèles cellulaires Ca Ski et SiHa qui possèdent des copies HPV16 intégrées au génome cellulaire, une inhibition de E6 entraîne une augmentation de l'expression de p53, et une diminution de l'expression de DNMT1. Lors d'expériences d'interférence à l'ARN, l'inhibition de p53 accroît l'expression de DNMT1 par activation de son promoteur, sauf lorsque le site de fixation de p53 est muté. Finalement, la surexpression de E6 dans les cellules SiHa augmente l'activité du promoteur de DNMT1, sauf lorsque le site de fixation de p53 est muté (Au Yeung et al, 2010). Puisque la surexpression de DNMT1 en présence de E6 est liée à l'inhibition de p53, Jiménez- Wences et collaborateurs suggèrent que E6 empêche la formation du dimère SP1-p53, libérant le facteur de transcription SP1, qui peut alors stimuler l'activité des promoteurs de gènes, comme par exemple celui de DNMT1 (Figure 18) (Lin et al, 2010; Jiménez-Wences et al, 2014; Sen et al, 2018).

En plus de E6, la présence de E7 accroît l'expression de DNMT1, ainsi que son activité (Burgers et al, 2007; Laurson et al, 2010; Leonard et al, 2012). En effet, la transfection de plasmides codant E7 dans des cellules épithéliales immortelles NIKS (normal immortal keratinocytes, issues de prépuce humain) augmente l'expression de la protéine DNMT1, détectée par western blotting, ainsi que son activité (Laurson et al, 2010). Selon Jiménez-Wences et collaborateurs, l'expression de E7 provoque une dégradation de pRb, libérant les facteurs de transcriptions E2F qui possèdent eux aussi des séquences de liaison dans le promoteur de DNMT1. Il en résulte une augmentation de l'activité du promoteur de DNMT1, donc une surexpression des transcrits et de la protéine (Figure 18) (Jiménez- Wences et al, 2014; Sen et al, 2018). Par ailleurs, E7 interagit avec DNMT1 par son domaine CR3 (Burgers et al, 2007). Cette interaction changerait la conformation de DNMT1, exposant son domaine catalytique, ce qui augmenterait sa liaison à l'ADN (Jiménez-Wences et al, 2014). Après libération de E7 du complexe, DNMT1 formerait un complexe stable avec l'ADN, induisant un profil de méthylation aberrant.

Figure 18 : Mécanisme de régulation de l'activité de DNMT1 par les oncoprotéines virales.

Dans un premier temps, E6 interagit avec et facilite la dégradation de p53 (1). Le complexe répresseur SP1/p53 n'est donc plus présent dans la cellule, SP1 se fixe à ses sites de liaison ADN et active le promoteur de DNMT1

(2). En parallèle, E7 interagit avec et facilite la dégradation de pRb (3), ce qui libère E2F. Ce dernier active lui aussi le promoteur de DNMT1 (4). L'activité du promoteur de DNMT1 étant augmentée par la fixation de SP1 et

E2F, la protéine DNMT1 est surexprimée dans la cellule (5) comme montré par western blotting dans des cellules épithéliales immortelles NIKS surexprimant les oncoprotéines (HPV) par rapport à des cellules sans

surexpression (CTRL, pour contrôle). Enfin, E7 se lie directement à la DNMT1 (6), ce qui provoque son changement de conformation. Le complexe DNMT1/E7 peut donc se fixer à l'ADN (7) et le relargage de E7 permet à la DNMT1 de catalyser la méthylation des cytosines en méthylcytosines (8) ce qui peut provoquer une

inhibition de l'expression de gènes cibles.

L'effet des oncoprotéines d'HPV sur DNMT3a et DNMT3b est plus controversé, car plusieurs études présentent des résultats différents. Selon Laurson et collaborateurs, après transfection du génome d'HPV16 dans des cellules NIKS, une augmentation marginale de l'expression de DNMT3a a été constatée par western blotting (Laurson et al, 2010). Par ailleurs, DNMT3b n'est pas observée par western blotting car en dessous du niveau de détection. Au contraire, Leonard et collaborateurs n'ont pas observé de changement dans l'expression de DNMT3a par immunohistochimie sur des cultures organotypiques de cellules infectées par HPV16 (Leonard et al, 2012). A l'inverse HPV18 augmente l'expression de DNMT3b, comme observé par immunohistochimie sur des cultures organotypiques (Leonard et al, 2012). En parallèle de ces travaux, Li et collaborateurs ont observé que l'extinction de E6 ou de E7 par transfection de shARN (miARN codé à partir d'un plasmide) dans les cellules SiHa inhibe l'expression transcriptionnelle et traductionnelle de DNMT3a et DNMT3b (Li et al, 2015a). Le rôle des oncoprotéines sur DNMT3a et DNMT3b n'est donc pas clair et semble dépendre du type d'HPV, du modèle ou des techniques expérimentales utilisés.

En conclusion, l'augmentation de l'expression et de l'activité des DNMT, principalement de DNMT1, causerait un schéma de méthylation aberrant au niveau du génome cellulaire. Ce phénomène

DNMT1 Gènes cibles DNMT1 DNMT1 4 6 1 Gènes cibles DNMT1 7 3 5 DNMT1 DNMT1 DNMT1 DNMT1 2 8 DNMT1 CTRL HPV NIKS + -

pourrait alors favoriser la transformation cellulaire en inhibant l'expression de gènes suppresseurs de tumeurs.

3.1.2 Conséquences de l'expression de E6 et de E7 sur la méthylation de l'ADN

L'expression des oncoprotéines virales dans les cellules infectées modifie le profil de méthylation de l'ADN cellulaire, avec par exemple des hyperméthylations au niveau de promoteurs de gènes inhibant leur expression. Ces hyperméthylations sont principalement étudiées au cours de la carcinogenèse induite par HPV et concernent des gènes impliqués dans la régulation du cycle cellulaire, comme FHIT et CCNA1, l'apoptose avec DAPK1 et RASSF1, la réparation de l'ADN avec MGMT, la différenciation cellulaire et la prolifération, comme APC, RARB, PTEN, et POU2F3, l'adhérence cellulaire, avec CADM1 et CDH1 (Fang et al, 2014).

Par exemple, CCNA1 code la cycline A1, une protéine essentielle pour l'entrée en métaphase de la méiose I chez l'homme. Considéré comme un gène suppresseur de tumeur, la fréquence de méthylation du gène augmente en fonction de la sévérité des lésions du col de l'utérus, passant de 0% dans les tissus normaux et LSIL, à 36,6% dans les HSIL, 60% dans les cancers micro-invasifs et jusqu'à 93,3% dans les cancers invasifs (Kitkumthorn et al, 2006). La méthylation du promoteur semble directement dépendante de l'expression de E7, puisque un complexe composé d'au moins E7 et DNMT1 est retrouvé au niveau du promoteur de CCNA1 (Chalertpet et al, 2015).