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CHAPITRE 2. LA FRONTIÈRE FRANCO-BELGE, GENÈSE D’UNE DISCONTINUITÉ

2. Un sens géographique

Les limites du Comté de Flandre ayant fluctué, il n’est pas possible d’établir une stricte correspondance entre Flandres aux sens historique et géographique52. La Flandre au sens géographique occupe les marges méridionales de la Plaine du Nord, laquelle s’étend jusqu’à l’Oural. La Flandre constitue ainsi un « bas-pays » par rapport aux plateaux artésiens, hennuyers et brabançons. Bordée par la Mer du Nord sur laquelle elle a gagné certains polders, elle s’étend de la bordure des collines de l’Artois jusqu’à l’Escaut.

On distingue en France comme en Belgique la Flandre maritime de la Flandre

intérieure. Il s’agit dans les deux pays d’appellations vernaculaires, qui n’ont pas ou peu

été reprises dans les dénominations officielles. Cependant, cette distinction semble importante pour décrire la façon dont les personnes se définissent elles-mêmes, suivant qu’elles habitent dans la plaine maritime ou plus à l’intérieur des terres.

Déjà en 1906, Raoul Blanchard soulignait l’importance de distinguer les deux termes, tant ils désignent des faits géographiques et des genres de vie différents, à la fois en France et en Belgique53 :

« Le relief de l’intérieur n’est guère plus puissant que celui de la plaine ; mais ce qui saute aux yeux c’est que la plaine n’a pas d’arbres, et que l’intérieur en foisonne ; l’une est donc le pays découvert (Bloote, Blooteland), l’autre la région boisée (Houtland). (…)

Ce sont là de vrais noms géographiques. Les habitants rendent la distinction plus nette encore par les épithètes, les sobriquets qu’ils se renvoient d’une région à l’autre. L’homme de la Plaine, enrichi par la fertilité du sol, aisé et cossu, se moque du paysan de l’intérieur que le travail courbe sur un sol ingrat (…). Le Houtlander riposte en se moquant des gros défauts du Blootenaar, son amour d’une bonne table, sa morgue, son peu de sociabilité. » (Blanchard 1906, p.120)

Aujourd’hui encore il est fréquent d’entendre les populations de ces secteurs se définir comme étant originaires de la Flandre intérieure ou de la Flandre maritime, mais la distinction ne repose plus sur le critère de l’aisance paysanne présenté par Blanchard. En effet, les revenus agricoles sont élevés dans chacune de ces zones. La différence tient plutôt dans les paysages. Côté belge, la mention de Flandre maritime recouvre celle de plaine poldérienne : une zone large de 10 à 15 km en deçà du trait côtier, où l’altitude est en majeure partie comprise entre le niveau de marée basse et celui de marée haute, et où le drainage est constant par les wateringues (fossés)54. La Flandre intérieure comprend plusieurs territoires comme le Houtland, le Meetjesland et le pays de Waes. Son altitude

52La Plaine Flamande : Mélanges géographiques offerts à Raoul Blanchard. - Grenoble : Institut de

géographie alpine, 1932. - p. 337-351

53 BLANCHARD, Raoul. – La Flandre, étude géographique de la plaine flamande en France, Belgique et

Hollande. – Dunkerque : Société dunkerquoise pour l’avancement des lettres, des sciences et des arts, 1906. – 530p.

54 Commission pour l'Avifaune Belge. – Avifaune de Belgique : Liste des espèces d'oiseaux observés en

est plus relevée (40 mètres en moyenne), et culmine aux Monts de Flandre (plus de 150 mètres).

Mais la différence entre Flandres maritime et intérieure se retrouve aussi dans le type d’exploitation agricole et de culture. En Flandre maritime, les exploitations sont étendues (60 ha en moyenne, selon le RGA). On y trouve de grandes cultures céréalières, mais aussi des cultures industrielles comme le lin, la betterave, des cultures légumières et de la chicorée. La taille des exploitations est plus restreinte en Flandre intérieure (47 ha). Il s’agit ici davantage d’une polyculture intensive, avec une part importante d’élevage de porcs et de volailles.

Jean-Luc Franchomme

Au premier plan, un fossé (wateringue) assure le drainage de l’eau. Photo 3. Paysage de Flandre maritime

Jean-Luc Franchomme

Photo 4. Paysage de Flandre intérieure : Le Mont Cassel vu du village d’Ochtezeele En dépit de la popularité de ces expressions et de leur pertinence pour décrire le territoire physique, elles sont très peu reprises dans les dénominations officielles. En France, on ne les trouve que pour désigner les « petites régions agricoles » telles que les définit l’INSEE55. Elles figurent également ponctuellement dans certains documents

régionaux, notamment ceux de la DIREN. La carte 11 (p.79) qui suit, réalisée à l’occasion de la mise en place du « Schéma des services collectifs des espaces naturels et ruraux » de la région Nord-Pas-de-Calais, identifie bien une plaine maritime face à une Flandre intérieure. Mais ces dénominations ne sont pas assumées par la DIREN ; en effet, la carte d’origine comporte un cartouche précisant :

« Limites des territoires utilisés pour réaliser l’inventaire :

Rappel : ces territoires sont très approximatifs et ne correspondent pas à des entités administratives, paysagères, culturelles ou autres.

Leurs limites ont été choisies pour constituer une grille de lecture de la région adaptée au type d’inventaire à réaliser. »

Nous y avons surimposé en grisé la délimitation des Flandres intérieure et maritime dans leur sens vernaculaire ; il ressort que les zones ne recouvrent pas exactement celles de la DIREN.

55 La petite région agricole Flandre intérieure, n°59025, regroupe 65 communes. La petite région agricole

Flandre maritime n°59325 regroupe 37 communes, et la petite région agricole Flandre maritime n°62325

Carte 11. La Flandre intérieure et la plaine maritime en France

En Belgique, la distinction entre Flandre maritime et Flandre intérieure n’est également pas institutionnalisée ; il ne s’agit que de « régions agro-géographiques ou paysagères ». Ainsi, le Schéma de structure d’aménagement de la Flandre ne la prend pas du tout en compte56.

Enfin, il n’existe pas non plus de carte topographique globale présentant ces secteurs géographiques comme faisant un tout par-delà la frontière ; en France les différents documents cartographiques d’aménagement existant depuis les OREAM (organismes régionaux d'études et d'aménagement des aires métropolitaines) et les PAR (programme d’action régionale) des années 1970 ont renforcé l’habitude de penser la frontière nationale comme une limite de ces régions naturelles. Il s’avère que Français et Belges ont chacun une conception nationale de la Flandre maritime et de la Flandre intérieure. La signification géographique est influencée par le système institutionnel.

56 Afdeling Ruimtelijke Planning. – Ruimtelijk Structuurplan Vlaanderen : Situering, synthese van de