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Un sens culturel, pouvant évoluer en revendication politique et idéologique

CHAPITRE 2. LA FRONTIÈRE FRANCO-BELGE, GENÈSE D’UNE DISCONTINUITÉ

4. Un sens culturel, pouvant évoluer en revendication politique et idéologique

Le mot « Flandre » est également fréquemment utilisé dans le sens d’un espace possédant une unité culturelle, de part et d’autre de la frontière franco-belge et même de la frontière belgo-néerlandaise. Parmi les multiples sens du mot culture tels que les a développés Paul Claval, il s’agit à la fois d’idées relatives à un héritage commun et à l’appartenance à une même communauté57.

Cette unité repose sur des considérations :

- d’ordre historique : des racines communes réuniraient les différents Flamands ; - d’ordre linguistique : le patois flamand est le même entre certaines communes frontalières françaises et les communes voisines de la province belge de la Flandre Occidentale, les toponymes sont des deux côtés d’origine « flamande », et de nombreux patronymes se retrouvent ;

- d’ordre socioculturel, que ce soit ludique (jeux traditionnels comme le tir à l’arc, la « boule flamande », les combats de coq), culinaire, concernant une même tradition architecturale ou autre.

C’est une des grandes caractéristiques de notre espace d’étude : de Lille à La Panne, en passant par Ypres, Hazebrouck, Dunkerque, le mot « Flandres » est partout revendiqué, avec par exemple le Journal des Flandres que l’on trouve à Dunkerque,

l’imprimerie des Flandres à Wormhout, la Vlaamse Herberge à Ypres, etc. Cela donne

lieu à des glissements sémantiques. Ainsi, le marketing territorial portant sur la ville de Lille qualifie cette dernière de « capitale des Flandres », en référence à l’histoire58.

57 CLAVAL, Paul. – La géographie culturelle. – Paris : Nathan, 1995. – 384p.

Ces quelques précisions terminologiques permettent déjà d’apprécier les limites inhérentes à l’idée d’une unité des Flandres, françaises et belges, ainsi que les risques de confusion liés à l’emploi de cette expression. Ainsi, quand un Belge habitant la région de Belgique Flandres se dit Flamand, il peut aussi bien faire référence au cadre juridique, institutionnel et politique dans lequel il se situe, qu’à une région culturelle et linguistique qui dépasse les limites territoriales de la région belge ; nous entendons par ce dernier cas une aspiration régionaliste à ce que la Flandre au sens culturel soit unie politiquement. Quand un Français se dit Flamand, il peut vouloir dire qu’il a une culture flamande, ou également dans des cas extrêmes nourrir des espoirs régionalistes unitaires. Le risque demeure grand que Français et Belges ne mettent pas la même chose sous le terme « Flamand ».

Ce risque s’accroît quand il s’agit de regards extérieurs portés sur les Flandres, en n’y voyant que points communs et continuité. Ainsi, en juillet 2001 est paru dans le journal Le Monde un article intitulé : « Les retrouvailles des cousins de Flandre si longtemps séparés », à propos de la coopération transfrontalière entre la région belge des Flandres et le Nord-Pas-de-Calais59. Le journaliste argumentait qu’il y avait côté français

un retour vers les racines flamandes, que ces racines sont les mêmes dans la région belge des Flandres, et que cela favorisait une nouvelle façon de vivre ensemble dans le contexte de l’ouverture des frontières. La fragilité de ce raisonnement est manifestement liée à des raccourcis terminologiques : si de chaque côté de la frontière les communautés se revendiquent être flamandes, cela recouvre une perspective nationaliste et institutionnelle forte côté belge, face à une perspective socio-culturelle et folklorique côté français. Ce point questionne également la pertinence de faire référence au passé dans les perspectives de collaboration, plutôt qu’au présent et à l’avenir.

B ] Le Westhoek

Le terme de Westhoek présente la même caractéristique que Flandre de pouvoir à la fois séparer et réunir, séparer dans la mesure où l’usage qui en est fait n’est pas le même suivant le côté de la frontière où l’on se trouve, réunir car il fait référence à certains traits communs qui transcendent la frontière.

Ce terme signifie littéralement « le coin de l’ouest », à savoir la partie la plus occidentale de la Flandre. L’origine de ce terme remonte au Comté de Flandre, d’après Émile Coornaert60 : il s’agit de l’ancien West-Quartier, partie la plus occidentale de la Flandre, adossée à la Mer du Nord et à l’Artois francophone, qui se compose des

59 DUFOUR, Jean-Paul. – Les retrouvailles des cousins de Flandre si longtemps séparés. Le Monde, 24

juillet 2001

60 COORNAERT, Emile. – La Flandre française de langue flamande. – Paris : Les Editions ouvrières, 1970.

châtellenies de Bailleul, Bourbourg, Cassel, Bergues, Ypres, Fürnes et Warneton (cf. carte 13 p.84). Les quatre premières d’entre elles deviendront françaises, les trois dernières belges, et dans toutes le toponyme Westhoek demeure usité.

Cependant, en dépit de cette origine commune, Français et Belges ont progressivement défini chacun un Westhoek qui s’arrête à la frontière. Le Westhoek belge est une des quatre zones touristiques de la province de Flandre occidentale, qui sont présentées sur la carte 14 (p.85). C’est une zone à dominante rurale et de faible densité de population par rapport au reste de la région flamande ; à cela s’ajoutent ses atouts paysagers (notamment l’Yser et les Monts de Flandre), qui en font une zone reconnue d’intérêt touristique dans le plan de structure flamand.

Si le toponyme Westhoek se rencontre communément aussi du côté français de la frontière, il n’a pas donné lieu à un zonage spécifique similaire à celui que l’on trouve côté belge. Cela s’explique probablement par la proximité de l’agglomération lilloise d’une part, et de l’agglomération dunkerquoise d’autre part : le Westhoek français ne peut se concevoir indépendamment de ces deux centres qui le polarisent. La configuration n’est pas la même dans le Westhoek belge, situé à distance des grands centres urbains, et « adossé » à la frontière française et au littoral.

En revanche, si l’usage du terme Westhoek diffère entre côtés français et belge de la frontière, il a été récemment repris comme emblème fédérateur pour des projets et actions transfrontalières à la faveur du programme Interreg. Ainsi, il existe un journal d’informations économiques nommé Westhoek Contact, édité par les quatre Chambres de commerce et d’industrie de la zone (celle de Dunkerque, d’Armentières-Hazebrouck, de Fürnes et d’Ypres) ; un site commun franco-belge a été mis en place, dénommé Westhoek

franco-belge (www.wfb.net) ; des itinéraires sont proposés pour le tourisme dans cet

Westquartier : châtellenies de Bailleul, Bourbourg, Cassel, Bergues, Ypres, Fürnes et Warneton

Extrait de la carte des Pays-Bas Catholiques par Guillaume de Lisle ; d’après www.davidrumsey.com

Source : http://www.westtoer.be/start.asp Carte 14. Le Westhoek, une zone touristique de la province de Flandre occidentale

Conclusion sur la terminologie

Les termes Flandre et Westhoek peuvent tout autant séparer que réunir. Leur origine est antérieure à la création de la frontière, mais ils ont évolué dans deux cadres nationaux bien distincts d’où il a résulté deux conceptions nationales pour chaque terme. Et c’est paradoxalement maintenant que le sens de ces termes a dévié qu’ils sont évoqués comme principes unificateurs pour la coopération transfrontalière. À cet égard, il est intéressant de remarquer quel nom a été choisi pour fédérer les 4 CCI françaises et belges : les Flandres du Westhoek, ajoutant au flou du premier terme l’imprécision du second. Si l’utilisation de cette expression peut se comprendre au regard du marketing territorial, et des référents communs nécessaires pour aider les populations à se reconnaître dans des espaces qui dépassent les frontières, on peut se demander quel sera son avenir. Le risque est grand qu’elle se cantonne au domaine de l’incantation institutionnelle, ni connue ni reconnue des populations concernées, lesquelles continueront de se considérer avant tout comme Belges ou comme Françaises.

L’impact que nous venons de voir de la frontière franco-belge sur le sens des mots, reflète l’importance des effets de cette frontière sur l’organisation de l’espace et des populations.

II ] La frontière dans l’espace : émergence d’une organisation spécifique

Depuis les trois siècles de son existence, la frontière franco-belge a induit une organisation spécifique de l’espace. Nous rappellerons d’abord les grandes étapes de sa fixation, avant de montrer l’ampleur de ses effets en termes de flux et en termes d’organisation de l’espace.

A ] La fixation de la frontière

Avant que la frontière ne soit fixe et ne déploie pleinement son effet de disjoncteur spatial, il s’agissait d’une frontière de guerre dont le tracé a fluctué pendant plus d’un demi-siècle. Au rythme de l’avancée et du recul des troupes françaises sur celles des Pays- Bas méridionaux, la frontière connut un mouvement de flux et de reflux, consigné dans les différents traités de paix conclus de 1659 à 1713. Les cartes 15, 16 et 17 (p.87) qui suivent illustrent cette mobilité originelle de la frontière, entre le Traité des Pyrénées (1659), le Traité des Nimègue (1678) et le Traité d’Utrecht (1713).

Source : Lentacker, 1973

Carte 15. La frontière du Traité des Pyrénées (1659)

Source : Lentacker, 1973

Carte 16. La frontière du Traité des Nimègue (1678)

Source : Lentacker, 1973

La carte 17 (p.87), datée de 1713, donne approximativement l’état de la frontière tel qu’il est aujourd’hui à quelques exceptions près : Neuve-Eglise et Westoutre sont revenues aux Autrichiens au siècle suivant, tandis que la commune de Steenvorde s’est agrandie au détriment de Watou. Cet échange d’enclaves et ces rectifications répondent au besoin ressenti au cours du XVIII° siècle d’avoir une démarcation précise et linéaire. La frontière « pêle-mêlée » devint ainsi une ligne précise, et la frontière de guerre fit place au cours des siècles suivants à la frontière de paix61. Souvenir de cette histoire guerrière, des fortifications se retrouvent de chaque côté. En effet, la stratégie de Vauban avait consisté à bâtir un double rideau défensif de places fortes, dénommé le pré carré. Et comme le souligne Jean Gottmann, le système défensif mis en place était si efficace qu’il était encore utilisé, avec seulement de légères modifications, deux siècles après la mort de Vauban (1707)62.

Selon Daniel Nordman, le processus de fixation de cette frontière fut particulier63. Contrairement à la frontière des Pyrénées, où la fixation a suivi un modèle topographique et linéaire, et contrairement au cas de l’Alsace où la limite n’est pas spatiale en raison de l’entassement des titres et des droits – « sur les mêmes villes, sur les mêmes seigneuries pèsent des droits différents » – la frontière du nord constitue un modèle intermédiaire, la variété « la plus complexe et la plus fluide parce qu’elle allie les prétentions juridiques inextricables et les évidentes solutions géographiques ».

Association Vauban, http://www.vauban.asso.fr/fortifications.htm

Photo 5. La citadelle de Lille, édifiée par Vauban

61LENTACKER, Firmin. - La frontière franco-belge. Etude géographique des effets d’une frontière

nationale sur la vie des relations. - 656p. Th : Géogr. : Paris IV : 1973

62 GOTTMANN, Jean. – Vauban and modern geography. Geographical Review, 34 (1), 1944, p.121-128 63 NORDMAN, Daniel. – Frontières de France : de l’espace au territoire : XVIe – XIXe siècle. – Paris :

Imposée sur un espace jusqu’alors continu, la frontière va jouer un rôle-clef pour façonner l’espace. Les liaisons infrastructurelles ont été systématiquement organisées parallèlement à elle. La route traditionnelle reliant Lille à Dunkerque passait par le Pont Rouge, Warneton, Ypres, Poperinge et Bergues. Cette route fut abandonnée au profit d’une voie passant par Armentières, Bailleul et Cassel.

Le sort du canal de Dunkerque à Fürnes est également directement lié à la présence de la frontière. Il fut construit en 1640, quand Dunkerque était encore sous domination anglo-batave – donc dans un espace sans frontière. Son fonctionnement fut très perturbé pendant les guerres franco-anglaises de la deuxième moitié du XVIIe siècle, et il fut fermé en 1713, suite à la mise en place de la frontière. Il fallut les guerres napoléoniennes et le rattachement des Pays-Bas à la France pour qu’il soit réutilisé, et connaisse des améliorations importantes en 1804 et en 1808. Il fut recalibré à 300 tonnes au cours du XIXe siècle, mais depuis reste une voie fluviale d’intérêt très secondaire.

La mise en place de la frontière eut aussi de fortes répercussions sur le mouvement des hommes.

B ] Plus la frontière était forte, plus les flux étaient importants

Dès leur annexion à la France, les provinces des Flandres et du Hainaut français eurent un régime commercial tout à fait privilégié, comme le rappelle Firmin Lentacker (Lentacker 1973). Leur statut de « province réputée étrangère » garantissait une grande souplesse à la fois pour développer des liens commerciaux avec l’intérieur de la France, et pour maintenir les liens d’affaires avec les Pays-Bas.

La suppression de la Ferme Générale sous la Révolution et son remplacement par l’administration des douanes ne changèrent rien aux privilèges douaniers. Ces derniers furent par ailleurs maintenus au cours des différents régimes politiques qui se succédèrent tout au long du XIXe siècle, à l’exception près du Second Empire, plus favorable au libre- échange.

Les droits de douane élevés à l’entrée sur le territoire français eurent un effet calamiteux sur l’économie de la Belgique, et un effet très favorable à l’économie du département du Nord. Dans de nombreux secteurs, l’industrie belge fut brimée dans son développement par l’impossibilité d’écouler librement ses produits sur le marché français. Il s’ensuivit une organisation de l’espace tout à fait originale où de nombreuses usines se développèrent côté français à proximité de la frontière, en profitant de capitaux et de procédés de production à la fois français et belges, et d’une main-d’œuvre en grande partie belge. Cette dernière était composée à la fois de navetteurs et d’immigrants. La situation de ces usines sur le territoire français garantissait enfin l’accès libre au marché français. Notons également qu’à la fin du XIXe siècle, certains industriels roubaisiens et tourquennois investirent dans des usines textiles côté belge, notamment à Mouscron, pour

profiter ici encore du différentiel entre les deux pays : fiscalité avantageuse, taux de change favorable et main-d’œuvre docile. En conséquence, l’industrie textile se répand des deux côtés de la frontière.

L’industrie n’était pas seule concernée, les tarifs douaniers influaient également sur le type de production agricole. Raoul Blanchard notait en 1906 que la présence du blé était plus importante du côté français de la ligne, et le seigle plus important du côté belge :

« C’est le premier miracle dû à la présence d’une frontière. Protégé par les tarifs de 1892, le froment se tient à un prix moins bas en Belgique » (Blanchard 1906, p.359)

Les flux de main-d’œuvre belge à travers la frontière ont eu des répercussions sur l’organisation de l’espace, notamment quand il s’agissait d’une immigration définitive. En effet, ces flux ont suscité une forte croissance urbaine ; par exemple, la ville frontalière d’Halluin compta jusqu’à 77% de population belge durant les années 1850-187064.

Il s’agissait en fait essentiellement des migrations définitives jusqu’à la fin du XIXe siècle, pour ensuite prendre la forme de migrations pendulaires65. D’après Pierre- Jean Thumerelle, il y eut trois vagues successives d’immigration au XIXe siècle, séparées par des reflux : une première en 1846-1847, une deuxième en 1862-1863 et la dernière entre 1870 et 1880. Ces trois vagues permettent de comprendre comment a évolué la part de la population belge dans le département du Nord, comme le montre la figure 2 (p.91). Cette figure montre également que la population belge a décrû après 1890, en raison des progrès dans l’acquisition de la nationalité française, et de l’atténuation de l’immigration belge définitive.

Cependant, après 1890 les flux de population belge restèrent tout aussi forts mais en prenant la forme de mouvements pendulaires et non plus d’immigration. Ainsi, à la veille de la Première guerre Mondiale ce sont 40 000 frontaliers belges qui venaient chaque jour travailler en France selon P.-J. Thumerelle. L’ampleur de ces mouvements permet d’expliquer le développement urbain spécifique à proximité de la frontière : croissance des villes belges frontalières, à proximité des usines du côté français. Les villes doublons de la Vallée de la Lys – Comines Belgique et Comines France, Wervik et Wervicq Sud, Menin et Halluin – témoignent de cette dynamique. La croissance passée de Mouscron s’explique directement par l’installation de travailleurs belges, qui traversaient quotidiennement la frontière pour se rendre dans les usines proches de Roubaix et Tourcoing.

64 HASTINGS, M. – Contrebande et contre-société communiste : éléments d’une culture ouvrière. Espace,

populations, sociétés, 1984-1, p.83-91

65 THUMERELLE, Pierre-Jean. – La population belge dans le Nord-Pas-de-Calais. Hommes et Terres du

0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 1851 1861 1872 1881 1891 1901 1911 1921 1931 1946 1962 -20000 -10000 0 10000 20000 30000 40000 50000 1921 1922 1923 1924 1925 1926 1927 1928 1929 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 1937 1938 1939 1940 Entrées en France Sorties de France

Source : Annuaire statistique de la France, 1966

Les données proviennent des recensements, et la population prise en compte n’est pas toujours la même sur la période allant de 1851 à 1962. De 1851 à 1871, il s’agit de la population résidant en France au moment du recensement ; de 1881 à 1962, il s’agit de la population présente en France au moment du recensement

Figure 2. Part de la population belge dans le département du Nord, 1851-1962

Source : Direction de la statistique générale. Mouvements migratoires entre la France et l’étranger. Études démographiques, 4, 1943

Ces chiffres ne font connaître que les étrangers qui, à leur arrivée ou à leur sortie, ont déclaré à la frontière leur qualité de travailleurs.

Figure 3. Les travailleurs belges entrés en France et sortis de France, de 1921 à 1940 % la population belge dans le département du Nord

Durant l’Entre-Deux-Guerres, le flux de travailleurs belges se maintient à un rythme soutenu, dans une fourchette de 25 000 à 50 000 par an. La figure 3 (p.91) en donne un aperçu, mais les chiffres donnés sont sous-estimés par rapport à l’ampleur du phénomène : ils se basent sur les déclarations aux frontières.

Enfin, les travailleurs belges comptabilisés sur cette figure ne se limitent pas aux travailleurs frontaliers, il peut également s’agir de travailleurs saisonniers. Rappelons que selon l’INSEE, le travailleur frontalier est une personne qui traverse quotidiennement une frontière pour aller travailler dans un pays limitrophe (ou au moins une fois par semaine) ; le travailleur saisonnier ne se déplace quant à lui pas obligatoirement dans un pays limitrophe, mais y reste pour une période supérieure à une semaine. Firmin Lentacker a décrit les différentes formes de ce travail saisonnier et son rythme au cours de l’année : le binage des betteraves en avril-mai, l’arrachage du lin en juillet-août et enfin l’arrachage des betteraves, le travail dans les sucreries et la cueillette du houblon en septembre- octobre (Lentacker 1973).

Cet exode périodique de Flamands pauvres venant en France chercher du travail était une composante incontournable de la frontière, et marqua l’imaginaire des contemporains. Plusieurs romans de Maxence van der Meersch écrits dans l’Entre-Deux- Guerres retracent l’ambiance particulière de ces flux de travail, notamment L’Empreinte

du dieu, roman pour lequel il obtint le Prix Goncourt66 :

« Dolf, le père, travaillait en France, partait le lundi à vélo pour la frontière, avec une trentaine d’hommes. On gagnait plus en France qu’ici. Et le change avantage encore les Belges.

Dolf logeait en garni, là-bas, avec trois camarades, chacun apportait son manger pour la semaine. Et il rentrait le samedi soir, pour se reposer en travaillant la terre. Beaucoup d’ouvriers belges viennent ainsi en France, quittes à payer un homme chez eux pour tenir leur champ en état. » (p.27)

À l’occasion de cet exode des stéréotypes tenaces se sont développés, selon lesquels le Flamand serait dur à la tâche, robuste et servile.

Ce type d’idée reçue se rencontre non seulement dans les romans de Maxence van der Meersch ou de Marguerite Yourcenar, mais aussi dans la thèse de Blanchard :

Blanchard décrit le caractère du Flamand de Flandre intérieure ainsi : « caractère fermé, à la