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Les disparités de richesse deviennent moins fortes aux frontières

CHAPITRE 1. LA REMISE EN QUESTION DES FONCTIONS TRADITIONNELLES DES

4. Les disparités de richesse deviennent moins fortes aux frontières

Les discontinuités tendent à s’estomper également en termes de disparités de richesse entre les pays. Plusieurs économistes ont montré cette évolution : Xavier Sala-i- Martin sur la période 1950-199031 ; Joan Maria Esteban pour les années 198032. Ce dernier a montré que le différentiel de revenu a décrû entre les pays mais non entre les régions d’un même pays.

29 REYNAUD, C., OLLIVIER-TRIGALO, M. – Tendance du transport européen et besoins en

infrastructures. – Paris : OCDE / CEMT, 1995. – 320p.

30 Conférence européenne des ministres du transport. – Transport infrastructure and systems for a new

Europe. – Report of round table n°95, Paris, 18-19 mars 1993.

31 SALA-I-MARTIN, Xavier. – « Regional Cohesion: Evidence and Theories of Regional Growth and

Convergence ». European Economic Review; 1996, 40(6), p.1325-1352

32 ESTEBAN, Joan Maria. – « La Desigualdad interregional en Europe y en Espana: descripcion y

analisis ». In Crecimento y Convergencia Regional en Espana y en Europa. Vol. II, Instituto de Analisi Economico, Barcelona, 1994.

Cependant, si ces études démontrent une convergence certaine des pays entre eux, elles n’apportent pas de résultat sur la situation des régions frontalières limitrophes (deux pays voisins peuvent converger, tandis que leurs régions frontalières divergent).

Le groupe de travail « intégration spatiale » du Programme d’étude pour

l’aménagement du territoire européen a apporté des compléments intéressants sur ce

point, en produisant plusieurs documents cartographiques et statistiques sur les différences de richesse entre régions33. L’originalité de l’étude par rapport à celles qui précèdent est d’avoir abordé la question sous l’angle de la géographie et de l’analyse spatiale, en se concentrant sur les discontinuités entre régions contiguës.

Les cartes 6 et 7 (p.57-58) présentent l’évolution des discontinuités de richesse entre 1980 et 1996. Sur les deux cartes les discontinuités principales apparaissent essentiellement aux frontières étatiques d’une part, et autour des régions métropolitaines d’autre part. Cependant, les écarts de richesse entre régions contiguës ont fortement évolué de 1981 à 1996. Certes, aux deux dates certaines régions demeurent plus riches que les régions qui les entourent, qu’elles soient métropolitaines comme l’Île de France, le Grand Londres ou le Land de Hesse (Francfort-sur-le-Main), ou bien frontalières comme aux frontières Suède-Finlande ou Allemagne-Belgique. Mais de nombreuses discontinuités apparaissent en 1996 entre régions d’un même pays comme au sein du Royaume-Uni ou de l’Italie ; certaines discontinuités émergent aux frontières nationales, notamment à la frontière franco-belge, à la frontière Ulster-Irlande et à la frontière Danemark-Allemagne ; d’autres s’atténuent, comme à la frontière franco-espagnole.

33 GRASLAND, Claude, PEYRONY, Jean, PUMAIN, Denise (ed.). – Programme d’étude pour

l’aménagement du territoire européen. – Paris : UMS RIATE/DATAR, 2003. – 159p. – traducteurs : Sébastien Bridier, Grégory Hamez, Anne-Lise Humain. – http://www.ums-riate.com/euro3/spesp.php Les annexes n’existent qu’en anglais : http://www.nordregio.se/spespn/welcome.htm

Grasland, PEATE 2003

Grasland, PEATE 2003

Pour distinguer l’évolution des discontinuités intra-nationales et inter-nationales, et ainsi percevoir l’évolution du rôle des frontières comme discontinuité de richesse, une analyse statistique a été effectuée par les auteurs de l’étude sur tous les couples de régions contiguës. Le tableau suivant présente les résultats non pondérés. Il en ressort qu’entre les deux dates il y a eu une légère réduction des disparités de richesse entre régions voisines à l’échelle européenne (-1,5%), qui est la combinaison d’une forte décroissance des disparités aux frontières (-13%) et d’une augmentation des disparités entre régions d’un même pays (+1,3%). Des résultats similaires sont obtenus en pondérant l’indice de dissymétrie par la longueur des limites entre régions, et par la population des régions. En d’autres termes, les frontières nationales perdent peu à peu leur caractère de discontinuité de richesse dans le même temps que se creusent les écarts de richesse entre régions contiguës d’un même pays.

Grasland, groupe de travail 1.4 « intégration spatiale », SPESP34

Tableau 1. Frontières intra-européennes et discontinuités de richesse entre 1981 et 1996 Quels sont les processus qui permettent d’expliquer cette atténuation des discontinuités de richesse entre régions frontalières ?

En premier lieu, la période considérée, 1981-1996, a été marquée par la mise en place du marché unique le 1er janvier 1993. La suppression des droits de douane et la libre circulation des hommes, des marchandises, des services et des capitaux ont pu avoir des effets spécifiques sur les régions frontalières, et cela dès avant 1993 si l’on tient compte de la capacité d’anticipation des acteurs économiques.

En second lieu, on peut y voir un effet de la politique régionale européenne. En effet, la redistribution menée avec les fonds structurels par l’Objectif 1 (aide aux régions en retard de développement) et par l’Objectif 2 (aide à la reconversion industrielle) est de nature à aider les régions frontalières les plus défavorisées à rattraper leur retard35. Ce

34 L’indice de dissymétrie est calculé de la façon suivante :

Soit Xi = PIB/hab de la région i

Yi = PIB/hab de la région j

DSij = différence relative de PIB/hab entre les régions i et j

DSij = 2 x Xi - Xj / (Xi + Xj)

35 À cet égard, l’objectif de cohésion économique et sociale fait partie intégrante du Traité de Maastricht

(cf. titre XIV du traité, articles 130 A, B et suivants). Les fonds structurels et le fonds de cohésion ont pour Indice de dissymétrie 1980 Indice de dissymétrie 1996 Évolution 1981-96 International 0,208 0,181 -13% Intra-national 0,165 0,167 1,3% Total 0,172 0,170 -1,5%

facteur peut être évoqué pour les régions frontalières de l’Espagne et du Portugal, où l’aide européenne a permis la réalisation de nombreuses infrastructures, à la fois pour les transports et les services publics. Et des investissements massifs dans les infrastructures peuvent entraîner la croissance des régions concernées36.

D’autres facteurs doivent entrer en jeu : des facteurs globaux comme les effets d’agglomération au sein de chaque pays ou les dynamiques de métropolisation dans l’Union européenne, et des facteurs particuliers liés à la situation des différentes régions frontalières. Le résultat reste que les frontières perdent progressivement leur caractère de discontinuité de richesse.

Cependant, cette évolution ne semble pas inéluctable : elle dépend avant tout de la position des différentes régions les unes par rapport aux autres. Ainsi, si certaines régions périphériques comme l’Irlande ont connu un fort développement depuis trois décennies, d’autres zones périphériques stagnent. Pour apporter un élément d’explication, Christian Vandermotten évoque la capacité des régions à mobiliser les « capitaux sociaux globaux » : « Cette notion représente bien plus que les seuls niveaux des infrastructures régionales ; elle traduit plutôt l’état du capital humain, social et patrimonial local, ainsi que les modalités d’insertion des régions dans l’économie-monde »37. Les facteurs les plus déterminants pour expliquer le succès ou l’échec des régions semblent indépendants de la situation frontalière, qu’il s’agisse des dynamiques de métropolisation ou de re- métropolisation, du déclin des régions de vieille industrie lourde, ou des bonnes performances des régions centrales périmétropolitaines qui accueillent des industries de haute technologie.