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Research Article

5 Seconde étude

A la suite de ces premiers résultats obtenus à partir de LCR, une seconde cohorte a été montée afin de vérifier la spécificité de la signature observée vis-à-vis d’une signature de cirrhotique. Etant donné les considérations éthiques chez les cirrhotiques, des prélèvements de plasma ont été utilisés. Lors de la première étude, seuls les 66 métabolites présents dans le LCR et dans le plasma ont été suivis. Cette seconde étude, qui se place dans la continuité directe de la précédente, reprend la cohorte étudiée ci-dessus mais cette fois de manière plus complète. L’ensemble des signaux identifiés en métabolomique est pris en considération et plusieurs analyses « -omiques » sont combinées : métabolomique, lipidomique et glycomique. Le but est donc de continuer à approfondir la compréhension de l’EH, et également de chercher à combiner les résultats de ces différents types d’analyses.

5.1 Principaux résultats

Le premier élément que nous avons voulu suivre est le recouvrement des couvertures métaboliques entre le plasma et le LCR. La première étude a permis d’identifier 122 métabolites dans le LCR. Au niveau du plasma, 342 métabolites ont pu être identifiés. Cette différence de couverture tient à deux éléments. Le premier est instrumental. En effet, les deux études n’ont pas étés menées sur le même instrument (Exactive pour le LCR et Fusion pour le plasma). L’Orbitrap Fusion, plus récent, est probablement plus sensible que l’Exactive. Cependant, cet élément n’est pas la principale

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raison pour expliquer cette différence dans le nombre de métabolites identifiés. En effet, l’utilisation de l’Exactive sur des échantillons plasmatiques lors d’autres études a permis de détecter plusieurs centaines de métabolites ((Boudah et al., 2014). La source principale de la différence observée est donc la concentration intrinsèque des différentes matrices. Le plasma est en effet naturellement beaucoup plus concentré en métabolites que le LCR, ce qui permet d’y identifier un nombre plus important de métabolites. Il est aussi intéressant de noter que parmi les 122 métabolites initialement identifiés dans le LCR, 100 (82 %) sont également détectés dans le plasma.

L’analyse métabolomique du plasma a donc permis d’identifier 342 métabolites dont 157 qui sont statistiquement différents entre les encéphalopathes et les témoins. Parmi eux, 63 sont spécifiques de l’EH. Les analyses multivariées basées sur ces 342 métabolites identifiés permettent de mettre en évidence une bonne séparation entre les volontaires sains et les patients (Figure 12). La séparation entre patients uniquement cirrhotiques et encéphalopathes est plus limitée. La population d’encéphalopathes apparait beaucoup plus hétérogène ce qui vient limiter la séparation entre ces deux groupes. Cependant il est intéressant d’observer que les encéphalopathes les plus graves (seulement deux patients de score de West Haven 3 ou 4) sont eux bien distincts de la population de cirrhotiques. Cela met en évidence une des limites de cette cohorte de validation. Du fait du faible nombre de patients présentant les stades les plus avancés, il semble difficile de pouvoir mettre en évidence une séparation entre les groupes. Cela peut être dû à la continuité clinique qui existe entre cirrhotiques et encéphalopathes de bas grade et au manque de critères objectivement quantifiables permettant de classifier les patients.

Figure 12 : Analyse multivariée (PLS-DA) de la seconde cohorte

Analyse sur les 342 métabolites détectés lors de l’analyse métabolomique combinant les quatre modes d’analyse LC-HRMS.

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Parmi les métabolites les plus impactés, on retrouve les composés acétylés observés dans la première étude, qui sont également fortement augmentés dans le plasma (Figure 13). D’autres composés liés au métabolisme énergétique comme les adénosine-phosphate (AMP, ADP, ATP), sont également fortement impactés. Ils sont fortement diminués au niveau plasmatique, à la fois chez les cirrhotiques et chez les encéphalopathes (Figure 13). Les acylcarnitines à longues chaines apparaissent spécifiquement diminuées chez les encéphalopathes (Figure 13). Tous ces résultats viennent corroborer l’hypothèse d’une dérégulation du métabolisme énergétique émise lors de la première étude.

FFigure 13 : Distributions des certains métabolites entre les trois populations. Les patients de score West-Haven 3 et 4 sont représentés en rouge.

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L’analyse lipidomique montre une diminution drastique des populations de lipides chez les encéphalopathes (Tableau 8). Cette diminution est également observable chez les cirrhotiques. Cependant, pour certaines familles de lipides comme les phosphatidylcholines ou les sphingomyélines, cette diminution est significativement plus marquée chez les encéphalopathes.

TTableau 8 : Statistiques des différentes familles de lipides détectées en lipidomique

De façon intéressante, on observe en métabolomique des modifications de concentrations de précurseurs lipidiques comme l’éthanolamine phosphate, le glycerol-3-phosphate, la glycérophosphorylcholine, la sphingosine-1-phosphate ou la sphinganine, toutes ces espèces étant moins concentrées chez les encéphalopathes. Cette diminution des précurseurs lipidiques peut être reliée à une diminution globale des lipides observés en lipidomique. Parmi les familles de lipides significativement modifiées chez les encéphalopathes par rapport aux cirrhotiques, se trouvent notamment les (lyso)-glycérophosphocholines ou les sphingomyélines dont les précurseurs sont spécifiquement diminués. La voie de biosynthèse des sphingolipides est présentée en Figure 14. Cette diminution globale des concentrations d’espèces lipidiques peut être reliée à une transition du métabolisme énergétique d’une source d’énergie basée sur la consommation de sucres et lié au cycle de Krebs vers une source d’énergie lipidique via la β-oxydation.

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FFigure 14 : Altération de la voie de biosynthèse des sphingolipides.

Lien entre la diminution des précurseurs lipidiques observés en métabolomiques (cadre noir) et les sphyngolipides analysées en lipidomique (cadre orange). Les éléments sur fond gris ne sont pas détectés, sur fond blanc

ne sont pas significativement modifiés entre cirrhotiques et encéphalopathes, sur fond bleu sont diminués chez les encéphalopathes par rapport aux cirrhotiques.

Concernant le métabolisme des sucres, l’analyse métabolomique montre par exemple une augmentation des concentrations de composés de la famille des acétylhexosamines. De son côté, l’analyse glycomique montre une augmentation de la proportion de glycanes sous forme bissectines, c'est-à-dire qui contiennent un acetylglucosamine supplémentaire (Figure 15). Ces deux éléments concordants montrent la complémentarité des toutes ces analyses « -omiques », qui permettent une description plus précise des phénotypes métaboliques des patients. L’interprétation biologique des variations de concentrations observées reste cependant pour l’instant limitée car il n’y a pas eu d’analyse protéomique effectuée et que l’on sait que les principales protéines glycosylées sont normalement produites au niveau du foie. Du fait de la cirrhose, il est probable que toute la machinerie de synthèse de ces protéines soit impactée. Même si nous avons travaillé sur des ratios entre forme bissectines et non bissectines, il est difficile de séparer la part liée aux modifications globales de la production protéique de celle plus spécifique de la glycosylation de ces protéines.

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FFigure 15 : Augmentation de la proportion de N-glycanes sous forme bissectine en lien avec une augmentation de la concentration en acetylhexosamine libre

5.2 Conclusion de l’étude

De manière générale, cette étude du phénotype plasmatique des patients souffrant d’encéphalopathie hépatique vient confirmer les dérèglements métaboliques observés dans la première étude. Le métabolisme énergétique apparait fortement impacté par l’encéphalopathie hépatique et cet impact est visible au niveau plasmatique, en plus du LCR. L’utilisation conjointe des analyses métabolomique, lipidomique et glycomique permet d’obtenir une description plus précise des dérèglements métaboliques. Cependant, dès les premières analyses, nous avons constaté que la conception de la cohorte n’allait pas permettre de mettre en évidence de séparation claire entre patients cirrhotiques et encéphalopathes. En effet, cette cohorte présente une relativement faible puissance statistique, de par le nombre de patients, ce qui limite la mise en évidence d’une séparation complète entre les groupes de patients lors des analyses multivariées. Ce manque de distinction entre les groupes est également lié au faible grade des patients encéphalopathes (10 patients avec un score de West Haven 2, 1 score 3 et 1 score 4). Or, il apparait sur la quasi-totalité des analyses que les patients de hauts scores (West-Haven 3-4) sont ceux qui apparaissent les plus impactés par les changements observés. L’absence de séparation claire ne remet donc pas à elle seule en cause l’intérêt des analyses sur le plasma et il serait prometteur de pouvoir compléter cette étude en incluant davantage de patients présentant une encéphalopathie hépatique avancée/grave afin de faire ressortir ces différences sous-jacentes. Cela permettra probablement d’identifier, avec une précision encore accrue, les dérèglements liés à l’EH.

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Face aux difficultés liées à la conception de la cohorte et à l’interprétation clinique qu’il était possible d’en faire, nous avons étudié la complémentarité qui peut exister entre différentes approches que sont la métabolomique, la lipidomique et la glycomique. Nous avons pu montrer que les résultats apportés par ces différentes approches sont bien cohérents et qu’il est possible de les combiner pour augmenter la couverture métabolique et la compréhension des dérèglements liés à une maladie. Il s’agit d’une des premières études de cohorte médicale qui combine dans son interprétation des éléments de métabolomique, de lipidomique et de glycomique.

6 Analyses des difficultés rencontrées lors de l’analyse de cohortes