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Présentation du projet de recherche

Chapitre 1. Application à l’étude de l’encéphalopathie hépatique

1 L’encéphalopathie hépatique . Définition et classification

L’encéphalopathie hépatique (EH) correspond à un dysfonctionnement cérébral dû à une insuffisance hépatique ou un shunt porto-systémique (Ferenci et al., 2002). Elle se manifeste par un large spectre de dérèglements neurologiques ou psychiatriques non spécifiques allant de simples altérations sous-cliniques jusqu’au coma. Dans l’EH, il y a une relation de causalité entre l’insuffisance de la fonction hépatique et les troubles neuropsychiatriques.

Il existe différentes classifications complémentaires de l’EH. La première se base sur le facteur sous-jacent à la maladie. L’EH est dite de type A si elle est associée à une défaillance hépatique aigüe. Elle est dite de type B si elle est due à un shunt porto-systémique, qu’il soit naturel ou chirurgical (Transjugular Intrahepatic Portosystemic Shunt). Enfin une EH consécutive à une cirrhose est de type C. L’EH de type A est relativement différente de celles de type B ou C et devra avant tout être gérée médicalement comme une hépatite aigüe.

Le second type de classification est basé sur la gravité de la maladie (qui correspond à un continuum de symptômes). A son niveau le moins grave, l’EH altère uniquement certains tests psychomoteurs portés sur l’attention, la mémoire de travail ou les capacités visuospatiales. Au fur et à mesure que la maladie progresse, des troubles de la personnalité (apathie, irritabilité, désinhibition) peuvent être observés ainsi qu’une altération des fonctions motrices. Des dérèglements du cycle du sommeil sont également rapportés. Les patients vont progressivement développer une désorientation spatio-temporelle, agir de façon inappropriée et présenter un état de confusion (agitation, somnolence, stupeur). Les formes les plus graves conduiront à un coma. Afin de classifier le degré d’avancée de la maladie, ce continuum a été divisé en différents niveaux au sein d’un score dit de West-Haven. Cette échelle se divise en 5 niveaux allant de 0 (ou EH minimale) à 4 (coma). L’ensemble de cette échelle est présenté en Tableau 6.

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TTableau 6 : Echelle de classification de West-Haven (Blei and Córdoba, 2001)

1.2 Physiopathologie

La physiopathologie de la maladie est encore méconnue. Néanmoins, l’ammoniaque semble jouer un rôle central dans l’établissement de la maladie (Ciećko-Michalska et al., 2012; Elwir and Rahimi, 2017). Le schéma ci-dessous (Figure 11, (Jalan and Lee, 2009)) présente les déséquilibres globaux liés à l’EH. Chez un individu sain, l’ammoniaque produite par le microbiote intestinal est absorbée passivement au niveau du tractus digestif et se retrouve dans la circulation sanguine. Or, cette ammoniaque est toxique pour l’organisme. Chez un individu sain, elle est transformée en urée en 5 étapes via le cycle de l’urée qui a principalement lieu au niveau du foie. Que ce soit chez un individu cirrhotique (dont la fonction hépatique est fortement diminuée) ou chez un individu présentant un shunt porto-systémique (et chez qui le sang passe directement de la veine porte à la veine cave sans passer par le foie), cette transformation de l’ammoniaque en urée est diminuée et l’ammoniaque s’accumule dans l’organisme. Un mode secondaire d’élimination de l’ammoniaque est sa conjugaison à l’acide glutamique pour former de la glutamine. Parmi les rares types cellulaires à être capables de réaliser cette transformation se trouvent les astrocytes. Au sein du cerveau, l’ammoniaque en excès conduit à une forte production de glutamine dans les astrocytes. Or, contrairement à l’acide glutamique dont elle est issue, la glutamine présente un fort pouvoir osmotique. L’accumulation de glutamine entraine un stress osmotique et un gonflement des astrocytes, ce qui engendre un œdème cérébrale cytotoxique. Cet œdème cérébral serait la cause directe des symptômes observés dans l’EH.

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FFigure 11 : Physiopathologie de l’encéphalopathie hépatique (Jalan and Lee, 2009)

1.3 Diagnostic

Le diagnostic de l’EH passe par l’observation des symptômes présentés ci-dessus, associés à une insuffisance hépatique sévère ou un shunt porto-systémique, et ce en l’absence d’autres causes possibles de dysfonctionnement cérébral. L’établissement de ce diagnostic est donc compliqué car il s’agit d’un diagnostic d’exclusion chez une population de patients présentant souvent des troubles du statut mental pouvant être liés à d’autres étiologies (prise de médicaments, abus d’alcool, usage de drogue, autres maladies psychiatriques…). Le diagnostic différentiel inclut également les neuro-infections (méningites), les désordres électrolytiques, l’épilepsie non convulsivante ou les accidents vasculaires cérébraux.

Pour effectuer le diagnostic clinique après exclusion des autres cause possibles, les cliniciens se basent sur des tests psycho-cognitifs pour attribuer au patient un score de West-Haven (Tableau 6). Cependant, il s’agit (comme la majorité des tests psycho-cognitifs) d’outils subjectifs à forte variabilité inter-observateur, notamment pour les EH de bas grade. Par contre, pour les grades intermédiaires, l’observation d’une désorientation ou d’un astérixis sont des marqueurs plus fiables d’une EH manifeste (Vilstrup et al., 2014). Pour les patients présentant un état de conscience fortement altéré, le Glasgow Coma Score peut également être utilisé (Tableau 7).

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TTableau 7 : Echelle de classification selon le Glasgow Coma Score (GCS) (Teasdale and Jennett, 1976)

Il est important de noter que malgré son rôle important dans la physiopathologie de l’EH, une augmentation du taux sanguin d’ammoniaque n’apporte aucun élément diagnostique, classifiant ou pronostique pour l’EH chez les patients souffrant d’insuffisance hépatique chronique. A l’heure actuelle, il n’existe donc pas de test objectif permettant de diagnostiquer un patient souffrant d’EH.

1.4 Prévalence et impact

La prévalence de l’EH chez les patients cirrhotiques est difficile à évaluer, notamment pour les EH de bas grades du fait de la subtilité des symptômes. Parmi les trois types d’EH, le plus fréquent est le type C, ce qui est essentiellement dû à la forte prévalence de la cirrhose. Il s’agit d’un vrai problème de santé publique dans les pays développés. En France, 700 000 cas de cirrhose sont recensés parmi une population à risque de 12 million de personnes (INSERM, 2012). La proportion de patients cirrhotiques développant une EH est actuellement d’au moins 20 % (Romero-Gómez et al., 2015). Cependant, l’EH n’est pas forcément diagnostiquée chez tous les patients hospitalisées et la prévalence de l’EH semble fortement sous-évaluée. Une étude rétrospective menée en Allemagne sur 19 hôpitaux a montré qu’à peine 20 % des 14 000 patients hospitalisés pour cirrhose étaient diagnostiqués comme encéphalopathes. Cependant, une étude prospective de 3 mois consistant à établir un diagnostic d’EH chez tous les cirrhotiques hospitalisés dans ces mêmes hôpitaux a montré qu’une EH clinique pouvait être diagnostiquée chez 36 % des patients (dont plus de 40 % avec un

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score de West Haven égal ou supérieur à 2) (Labenz et al., 2017). Ce chiffre de 36 % semble mieux correspondre à la réalité.

En France, le coût des hospitalisations liées à l’encéphalopathie hépatique a été évalué aux alentours de 40 millions d’euros (Abergel et al., 2016). Cependant, il ne s’agit là que du coût d’hospitalisation et l’impact économique global lié aux coûts indirects (perte de revenus, baisse de la qualité de vie, …) serait bien plus important.

1.5 Traitements actuels

Différents traitements sont actuellement utilisés dans le cadre de l’EH. Les traitements de première intention visent à limiter la production et l’absorption d’ammoniaque au niveau intestinal. Le lactulose est généralement le traitement initial de l’EH. En plus d’être un laxatif osmotique, il entraine une acidification du contenu intestinal. Cette acidification conduit au piégeage, dans la lumière intestinale, de l’ammoniaque sous forme d’ion ammonium. Il aurait aussi un effet probiotique, favorisant la croissance de bactéries non ammoniogènes et inhiberait l’activité glutaminase de l’intestin. L’autre traitement utilisé en première intention est la Rifaximine. Il s’agit d’un antibiotique qui va limiter la croissance des bactéries intestinales aérobies, réduisant la production d’ammoniaque. Elle induit également une atrophie des villosités de l’intestin grêle conduisant à une baisse de l’absorption intestinale. Comme le lactulose, elle inhiberait aussi l’activité glutaminase de l’intestin.

D’autres traitements supports peuvent être utilisés comme l’administration intraveineuse de L-Ornitine-L-Aspatate qui augmente l’activité de glutamine synthétase au niveau du foie et des muscles striés squelettiques ou encore l’administration de benzoate ou de phenylacétate de sodium qui se conjuguent à la glycine ou à la glutamine, déplaçant ainsi les équilibres vers la consommation d’ammoniaque. Il existe aussi des traitements qui corrigent les problèmes de neurotransmission comme l’administration orale d’acides aminés branchés, l’administration d’agents dopaminergiques (L-Dopa, bromocriptine) ou le flumazenil. Ce dernier est un antagoniste des récepteurs aux benzodiazépines qui améliore transitoirement le statut mental des patients.

En dernier recours, la transplantation hépatique est la seule option en cas de non réponse aux différents autres traitements. Cependant, en raison des risques liés à la réalisation d’un greffe, elle n’est utilisée que si l’EH impacte sévèrement la qualité de vie du patient et que cette dernière ne peut pas être améliorée par l’administration d’un traitement médical maximal.

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