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Première partie : contexte scientifique

2. Les schizophrénies

2.4. Schizophrénies précoces

Les descriptions de formes infantiles de schizophrénie apparaissent au tout début du XXème siècle. La démence précossisme de de Sanctis en dessine alors les premier contours. Progressivement, deux formes vont tendre à se distinguer selon que la maladie apparaît avant ou après la puberté. La schizophrénie à début précoce (early onset schizophrenia, EOS) est définie par un début des troubles avant l’âge de 16 ans. La schizophrénie à début très précoce se déclare avant l’âge de 12 ans (childhood onset schizophrenia, COS ou very-early onset schizophrenia VEOS).

Epidemiologie

La prévalence des formes précoces de schizophrénie est difficile à estimer en raison de la diversité des troubles psychiatriques de l’enfant qui a pu être regroupés sous ce terme par le passé, et des changements de définition selon l’âge de début des troubles. Sa rareté semble toutefois consensuelle : 0,1 à 1 % des troubles schizophréniques constitués se manifesteraient avant l’âge de 10 ans, et 4 % avant l’âge de 15 ans. 1 enfant sur 10 000 serait donc susceptible de développer une schizophrénie précoce. Les formes les plus précoces sont aussi les plus rares. Après 13 ans la fréquence du trouble tend à augmenter. Le sex-ratio est de l’ordre de 3:1 avant l’âge de 14 ans (Remschmidt et al., 1994). Les garçons sont donc surreprésentés dans cette tranche d’âge : ils constituent par exemple 60 % de la cohorte de sujets avec schizophrénie ayant débuté avant 12 ans du NIMH (Nicolson and Rapoport, 1999).

Les études de cohorte, et en particulier cette du National Institute of Mental Health (NIMH) débutée dans les années 1990 aux Etats-Unis, ont permis de souligner la sévérité du trouble et ses particularités neurodévelopementales. Les antécédents familiaux sont plus fréquents, les symptômes prémorbides plus sévères (Nicolson and Rapoport, 1999), les trajectoires développementales marquées par davantage d’anomalies en comparaison avec les sujets dont la maladie commence plus tardivement. Les anomalies de l’anatomie cérébrale sont aussi plus frappantes (Gogtay and Rapoport, 2008), et les anomalies cytogénétiques (Rapoport et al., 2005) et les CNV rares sont plus nombreux (Walsh et al., 2008). Le suivi longitudinal clinique, l’imagerie cérébrale, les évaluations neuropsychologiques et physiologiques ont en outre permis d’établir la preuve de la continuité de ces formes très précoces avec celles débutant à l’âge adulte (Rapoport et al., 2005).

Particularités cliniques

L’étude des trajectoires prémorbides, de la clinique et du pronostic des formes à début précoce, et plus encore très précoces (COS), suscite donc un intérêt particulier.

Dès 1971, Kolvin met en évidence chez 33 enfants présentant une schizophrénie ayant débutée avant 15 ans la fréquence élevée des troubles du comportement (87%), et des retards au franchissement des étapes développementales (49%) (Kolvin, 1971).

L’exploration des signes et symptômes prémorbides et prodromiques chez 23 enfants présentant une schizophrénie très précoce (critères DSM-III-R) a confirmé l’importance des

retards développementaux (sourire, marche, mots : 7 à 48% des cas), des troubles du discours (52%), du langage (43%), et de la coordination motrice (36%) (Alaghband-Rad et al., 1995). La passation d’un entretien structuré (K-SADS) a révélé un isolement, une altération des performances scolaires, des comportements particuliers, des affects inappropriés ou émoussés ou un manque d’initiative durant la période prémorbide, chez plus de la moitié des sujets évalués. Un discours vague ou pauvre, une pensée bizarre ou magique, des expériences sensorielles étranges ou une incurie étaient aussi présents chez le tiers d’entre eux, dans l’année précédant le premier épisode psychotique. Toujours dans la même cohorte, 36 % des enfants présentaient des signes autistiques, et parmi eux 3 (13%) réunissaient tous les critères nécessaires au diagnostic d’autisme infantile (Alaghband-Rad et al., 1995).

Bien que les phases prémorbides et prodromiques soient plus symptomatiques, l’entrée dans la maladie s’avère en revanche plus insidieuse que dans les formes débutant à l’âge adulte (Asarnow and Ben-Meir, 1988; Werry and McClellan, 1992).

Une fois installée, la maladie apparaît également plus sévère. Des scores psychopathologiques (PANSS, Positive and Negative Symptom Scale) plus élevés ont été rapportés (Frazier et al., 2007). Si les idées délirantes apparaissent moins fréquentes et complexes que chez l’adulte (Russell, 1994), les hallucinations semblent au contraire prépondérantes. Ainsi, dans la cohorte NIMH, 95% des patients rapportent des hallucinations auditives, 80% des hallucinations visuelles, 60% des hallucinations cénesthésiques et 30% des hallucinations olfactives (David et al., 2011). La symptomatologie négative est également particulièrement marquée, et tend à persister au delà de l’amendement des symptômes positifs (Bunk et al., 1999). Les comorbidités psychiatriques sont aussi plus fréquentes dans ces formes précoces : un Trouble déficit de l’attention avec hyperactivité peut ainsi être associé dans 84% des cas, de même qu’un trouble oppositionnel (43%), ou une dépression (30%) (Ross et al., 2006).

Aspects thérapeutiques et pronostiques

En termes thérapeutiques, la tolérance aux antipsychotiques est moins bonne dans cette population. Les enfants et adolescents traités développent plus volontiers les effets secondaires classiques de cette classe : symptômes extra-pyramidaux, sédation, élévation de la prolactine, prise de poids (Kumra and Charles Schulz, 2008). Les formes précoces de schizophrénie sont réputées plus résistantes aux traitements antipsychotiques. Quelques études tendent à montrer une efficacité supérieure des antipsychotiques de seconde génération, en particulier de la clozapine et de la risperidone (Asarnow, 1994).

Dans ce contexte, le pronostic apparaît plus défavorable, que ce soit en termes de rémission symptomatique ou d’insertion socio-professionnelle. Un taux de rémission de 3% est rapporté dans une cohorte suivie en moyenne pendant 5 ans, sachant que 90% des sujets recevaient un traitement adéquat. Moins du cinquième des sujets inclus a poursuivi sa scolarité ou conservé un emploi (Werry et al., 1991). Si certains auteurs rapportent un taux plus satisfaisant de rémission, de l’ordre de 27% après 16 ans de suivi, près du tiers des patients inclus souffrent toujours de symptômes psychotiques continus au long cours (Asarnow, 1994; Eggers, 2002).

Les formes précoces de schizophrénie, et particulièrement les formes émergeant avant la puberté, semblent donc constituer une entité clinique plus homogène, plus sévère (aussi bien avant qu’après le premier épisode psychotique) et de moins bon pronostic que les formes débutant plus classiquement à l’âge adulte. L’association avec des troubles du développement est fréquente. Le jeune âge des sujets atteints implique en outre que les modifications du développement cérébral constatées soient moins influencées par la maladie et les traitements. La continuité avec la forme adulte a par ailleurs été démontrée. Leur étude a donc grandement contribué à soutenir l’hypothèse neuro-développementale de la schizophrénie (Rapoport and Gogtay, 2011).