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schizophrénie et dans l’autisme

5.3. La cognition sociale dans l’autisme

Les difficultés de communication verbale et non verbale, associées aux difficultés d’interaction sociale, sont une des caractéristiques centrale des troubles du spectre de l’autisme. Jusqu’au début des années 1980, aucun modèle satisfaisant ne permettait de comprendre ces difficultés, en particulier chez les sujets sans déficience intellectuelle. C’est dans un article de S. Baron-Cohen, A. Leslie et U. Firth publié en 1985 que va être formulée et démontrée en premier l’hypothèse d’un défaut de Théorie de l’Esprit dans l’autisme (Baron-Cohen et al., 1985). L’année suivante, les travaux de Hobson vont suggérer que ces sujets présentent des difficultés de reconnaissance des émotions (Hobson, 1986). Dès lors, les troubles du spectre de l’autisme sont devenus un des principaux modèles d’étude de la cognition sociale.

5.3.1.

Perception des signaux sociaux

Les premiers travaux ont montré une altération du traitement des signaux sociaux dans l’autisme (Braverman et al., 1989; Hobson, 1986). Quelques années plus tard, deux études ont contrecarré cette hypothèse, chez des enfants avec autisme comparés à des sujets appariés sur l’âge verbal (Ozonoff et al., 1990). Les études ultérieures ont alors recherché des déficits de

reconnaissances de certaines des émotions de base plutôt qu’un déficit global. Des difficultés de reconnaissance de la surprise (Baron-cohen et al., 1993), de la peur (Ashwin et al., 2006; Humphreys et al., 2007), ou des émotions négatives (Wallace et al., 2008) ont été ainsi mises en évidence. Ces résultats n’ont pas tous été répliqués. Alors même que les résultats des groupes avec TSA peuvent suggérer une altération de la reconnaissance des émotions, les performances des sujets sont hétérogènes. Selon les tâches et les populations, 5 à 70 % des sujets avec TSA présenteraient des difficultés (Golan et al., 2006; Lerner et al., 2013; Rutherford et al., 2012). Une méta-analyse a récemment compilé les données de 48 études (plus de 930 participants) et a montré une altération de la reconnaissance des émotions dans l’autisme, avec une taille d’effet large (g = -0,80). Il n’a pas été retrouvé d’impact de l’âge, du QI et des tâches utilisées. L’analyse supplémentaire de données de 16 études a permis de montrer que cette altération concerne toutes les émotions basiques sauf la joie (Uljarevic and Hamilton, 2013).

Le développement des techniques d’eye-tracking a apporté un nouvel éclairage sur ces résultats. Il a été montré que les sujets avec autisme, enfants comme adultes, ont une préférence pour les informations non sociales (détails physiques de l’environnement) au détriment des zones portant l’information sociale (yeux et bouche) quand des scènes sociales leurs sont présentées (Jones et al., 2008; Klin et al., 2002; Speer et al., 2007). Le contact oculaire, et l’attention conjointe sont aussi altérés (Ristic et al., 2005). Plusieurs études ont montré chez des enfants avec TSA une moindre préférence pour les mouvements biologiques (par exemple représentés par des points en mouvements) que chez des sujets contrôles (pour revue, Boraston and Blakemore, 2007). L’altération de la reconnaissance des émotions faciales dans l’autisme pourrait être en partie liée à une exploration visuelle atypique des visages (Pelphrey et al., 2002).

Les études explorant la reconnaissance des émotions prosodiques élémentaires rapportent des compétences dans l’autisme comparables à celles des sujets sains (Baker et al., 2010; Paul et al., 2005). Des déficits ont en revanche été rapportés avec les épreuves plus complexes (Golan et al., 2007; Rutherford et al., 2002). Quelques études ont montré que la reconnaissance des émotions prosodiques négatives est plus altérée que celle des émotions positives (Vannetzel et al., 2011).

Une méthodologie originale a été employée dans une étude portant sur l’un des plus larges échantillons publiés : 99 adolescents avec TSA de QI varié, comparés à 57 contrôles appariés. La reconnaissance globale des émotions a été modélisée en utilisant une tâche de

reconnaissance des émotions faciales, et deux tâches de reconnaissance des émotions vocales (verbale et non-verbale). Les résultats ne plaident pas en faveur d’une altération fondamentale de la reconnaissance des émotions chez les sujets avec TSA, malgré des difficultés circonscrites pour la reconnaissance de la surprise. Ces performances étaient toutefois largement corrélées au QI (Jones et al., 2011). Une autre équipe a étudié dans un même groupe d’enfant avec TSA la reconnaissance des émotions faciales et vocales de façon uni- et mutli-modale, ainsi que des comorbidités neuro-développementales. En comparaison avec des sujets contrôles, les scores de reconnaissance des émotions avec les stimuli visuels et des émotions neutres étaient moindres, tandis que davantage de saccades oculaires étaient observées durant les épreuves visuelle chez les sujets avec TSA (Xavier et al., 2015).

5.3.2.

Mentalisation

C’est à partir d’un titre en forme de provocation que la littérature sur les capacités de mentalisation dans l’autisme a émergé en 1985 : Does the autistic child have a « theory of

mind » ?. Provocation car le titre de cet article de Baron Cohen, Leslie et Frith (Baron Cohen

19865) renvoie aux travaux de Premack et Woodruf démontrant l’existence de capacité d’attribution d’intentions chez les primates non-humains. Baron-Cohen et al. ont montré un déficit d’attribution d’état mentaux chez 20 enfants avec autisme sans déficience intellectuelle en utilisant une épreuve de ToM de 1er ordre (fausse croyance) devenue célèbre : le test de Sally et Ann. Tandis que des enfants au développement typique réussissent des épreuves de fausse croyance de 1er ordre à partir de 3-4 ans, et des épreuves de fausse croyance de 2ème ordre à partir de 6-7 ans, il a été montré de façon répétée que des enfants avec autisme, et des adultes, pouvaient présenter des difficultés à attribuer correctement des états mentaux épistémiques à autrui (Baron-Cohen et al., 1985; Happé, 1994; Yirmiya et al., 1998). Il existe cependant des données contradictoires, montrant que des sujets avec TSA de haut niveau pouvaient réussir des épreuve de 2ème ordre (Bowler, 1992; Happé, 1994; Scheeren et al., 2013). Baron-Cohen a alors fait l’hypothèse que certains sujets pouvaient acquérir une forme de ToM à un âge plus tardif. Depuis, beaucoup d’autres épreuves ont été développées pour explorer les différentes modalités de mentalisation dans l’autisme, aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte. La question de l’interdépendance des capacités de mentalisation et du quotient intellectuel a régulièrement été soulevée. La plupart de ces travaux portent donc sur des sujets avec autisme de haut niveau ou syndrome d’Asperger, afin de contrôler l’effet

propre d’une éventuelle déficience intellectuelle. Le Strange Story Task a été développé par Happé (Happé, 1994). Son utilisation a permis de montrer un défaut de compréhension de l’ironie, des blagues, des sarcasmes et des malentendus chez des sujets enfants et adultes avec autisme, y compris sans déficience intellectuelle, bien que les performances puissent être corrélées au QI (Kaland et al., 2007; Spek et al., 2010). Des altérations de la ToM ont aussi été montrées chez ces mêmes sujets en employant des épreuves limitant l’effet de l’usage d’un matériel verbal. C’est le cas du Reading the Mind in the Eye test, qui consiste à attribuer des états mentaux en visionnant des photos ne montrant que la région des yeux (Baron-Cohen et al., 2001a) et des Triangles Animés où des intentions peuvent être inférées à des figures géométriques en mouvements (Bal et al., 2013; Castelli et al., 2002).

Les études en IRM fonctionnelle ont mis en évidence des activations aberrantes dans les principales régions connues pour être impliquées dans les processus de mentalisation : cortex préfrontal médial, cortex cingulaire postérieur, amygdale et surtout jonction temporo-pariétale bilatérale (Assaf et al., 2013; Dufour et al., 2013; Lombardo et al., 2011; White et al., 2014). Le sillon temporal supérieur est apparu de façon robuste comme une région clef de la cognition sociale, aussi bien pour la perception des signaux sociaux (visuels et auditifs) que pour les processus plus complexe dont relève la ToM (Saitovitch et al., 2012). Le rôle respectif de ces structures reste toutefois sujet à débat. L’exploration du degré de synchronisation des activations et l’imagerie en tenseur de diffusion ont montré une altération de la connectivité de ces régions (Kana et al., 2014; Lombardo et al., 2011).

5.3.3.

Autres domaines

Les autres domaines de la cognition sociale ont été moins étudiés dans l’autisme. La capacité des enfants avec autisme à former des jugements moraux a été démontrée, par exemple sur le niveau de culpabilité selon les motivations d’une transgression (Grant et al., 2005) ou sur la distinction entre une transgression morale ou conventionnelle (Smetana et al., 2012). Il a toutefois été montré qu’il est plus difficile pour ces sujets d’accéder à des niveaux de jugement complexes, impliquant une application flexible des règles (Takeda et al., 2007), ou d’intégration de l’ensemble des informations conduisant à un blâme ou un pardon (quel que soit l’âge) (Rogé and Mullet, 2011). Il a par ailleurs été rapporté de façon constante une tendance des sujets avec autisme à favoriser un traitement de l’information explicite et basé sur des règles, plutôt qu’implicite et intuitif, pour porter un jugement (Brewer et al., 2015;

Kuzmanovic et al., 2014). Les performances des sujets avec TSA se sont également avérées atypiques sur les tâches de jugement social, sur des photographies (évaluation des traits de personnalité, de la confiance qui peut être accordée à une personnes) (Kennedy and Adolphs, 2012; Philip et al., 2010). Ces épreuves sont toutefois en partie soumises au traitement visuel atypique des visages décrit dans l’autisme. En ce qui concerne le biais attributionnel, il n’a pas été démontré de différence entre sujets contrôles et sujets avec autisme, ces deux groupes tendant à présenter un biais d’externalisation comparable (Craig et al., 2004; Didehbani et al., 2012).