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Deuxième partie : travail expérimental

1. Plan expérimental

1.1. Hypothèses et objectifs

L’étude des formes précoces de schizophrénie, fréquemment associées aux troubles du spectre de l’autisme (TSA), a suggéré un possible continuum développemental entre ces troubles. Des arguments cliniques et épidémiologiques, et issus des études en génétique moléculaire ou en imagerie cérébrale, sont progressivement venus étayer cette hypothèse. Dans ce cadre, l’étude de la cognition sociale a fait l’objet d’un intérêt particulier, des altérations étant rapportées dans les deux troubles. Les quelques travaux, publiés au début de notre travail, ayant comparé directement sujets avec schizophrénie et sujets avec autisme à l’âge adulte sur des épreuve de cognition sociale donnaient des résultats toutefois contrastés, révélant autant de points communs que de différences. Les relations entre altération de la cognition sociale et charge neuro-développementale ont par ailleurs été peu explorées.

Notre hypothèse est que les altérations de la cognition sociale s’inscrivent dans un continuum développemental allant de l’autisme à la schizophrénie : plus la vulnérabilité neuro- développementale est élevée, plus les altérations de la cognition sociale sont importantes. Ainsi, les sujets avec schizophrénie dont les prodromes sont apparus précocement présenteraient un profil cognitif et clinique intermédiaire entre celui de sujets avec autisme et celui de sujets avec schizophrénie a début plus tardif.

Dans ce cadre théorique, l’étude de la cognition sociale et de la trajectoire développementale pourrait alors revêtir un double intérêt clinique et en recherche :

- permettre de mieux distinguer ces deux troubles à l’âge adulte et ainsi proposer des prises en charges thérapeutiques innovantes et plus spécifiques, telles que des stratégies de remédiation de la cognition sociale

- avancer dans la compréhension des processus physiopathologiques en jeu dans la schizophrénie, en définissant un sous-groupe de patient plus homogène, finement phénotypé, permettant ultérieurement l’étude des corrélats en génétique moléculaire et en imagerie cérébrale

Dans les trois études de ce travail, nous proposons donc (i) de comparer les compétence en cognition sociale de jeunes adultes avec schizophrénie ou avec TSA et de contrôles sains ; (ii) et d’explorer les relations entre les profils d’altération de la cognition sociale et certains aspects des profils cliniques en lien avec le neurodéveloppement.

Ces travaux s’inscrivent dans le cadre du protocole AUSZ : continuum autisme –

schizophrénie, recherche de marqueurs phénotypiques cliniques, cognitifs, biologiques et en imagerie. L’objectif principal de ce protocole est d’identifier parmi des variables cliniques,

cognitives, biologiques ou en imagerie des marqueurs permettant de différencier contrôles, sujets avec TSA et sujets avec schizophrénie avec ou sans prodromes précoces.

L’investigateur coordonnateur principal de cette étude multicentrique est le Pr Marie-Odile Krebs et le co-investigateur est le Dr Isabelle Amado (Service Hospitalo-Universitaire, Centre Hospitalier Sainte-Anne, Paris – Centre Psychiatrie et Neurosciences, INSERM UMR894). Le promoteur est le Centre Hospitalier Sainte-Anne. Ce projet bénéficie d’un financement de la Fondation de France (Engt n°15142) et du programme ERA-Net NEURON (ANR-2010- NEUR-002-01).

Le recrutement a débuté en avril 2012. Les sujets avec schizophrénie ou avec TSA ont été recrutés parmi les patients hospitalisés, suivis en ambulatoire ou ayant récemment consulté dans le Service Hospitalo-Universitaire Secteur 75G14 du Centre Hospitalier Sainte Anne. Les sujets témoins sains ont été recrutés parmi le personnel non-médical du CHSA, dans leur entourage amical et surtout par annonce sur le site internet du RISC (Relais d’Information sur les Sciences de la Cognition, CNRS 3332). L’ensemble des évaluations cliniques et cognitives s’est déroulé au Centre d’Evaluation et de Recherche Clinique du SHU (CHSA, Paris).

L’objectif de notre quatrième étude en préparation (présentée en annexe) est de valider chez de jeunes adultes avec schizophrénie et avec TSA un questionnaire de dépistage des troubles du développement, permettant un repérage rétrospectif des signes et symptômes d’autisme, calqué sur l’ADI et utilisable en recherche et en pratique clinique. En effet, l’auto- questionnaire Quotient d’Autisme (AQ), largement utilisé dans la littérature et utilisé dans nos études mesure les traits autistiques actuels, sans prendre en compte les signes autistiques durant la trajectoire précoce.

Les principaux outils d’évaluation utilisés dans ce travail sont présentés ci-après : - deux épreuves de cognition sociale : le MASC et les Triangles Animés ;

- les signes neurologiques mineurs, marqueurs de vulnérabilité neuro-développementale.

1.2. Epreuves de cognition sociale : le MASC et

les Triangles Animés

Pour ce travail de thèse, deux épreuves complémentaires de cognition sociale, validées dans l’autisme et dans la schizophrénie, ont été choisies. La première, le MASC, est une épreuve se rapprochant de conditions écologiques et explorant différentes facettes des capacités de mentalisation et de traitement des signaux sociaux. La seconde, les Triangles Animés, explore plus spécifiquement les capacités d’attribution d’intention à partir d’un matériel non verbal limitant l’intervention de fonctions cognitives complexes.

1.2.1.

Le MASC : Movie for the Assessment of Social

Cognition

L’équipe d’Isabel Dziobek a introduit en 2006 le MASC test (Movie for the Assessment of Social Cognition) utilisant des scènes spécifiquement conçues dans le but d’étudier la cognition sociale dans l’autisme et la psychose (Dziobek et al., 2006; Montag et al., 2011).

Le MASC (Movie for the Assessment of Social Cognition) est un film de 15 minutes mettant en scène quatre jeunes adultes qui se retrouvent pour une soirée. Lors de sa passation, il est demandé au participant d’attribuer des états mentaux aux personnages.

Deux garçons et deux filles se retrouvent pour cuisiner, dîner et participer à un jeu de société. Les principaux thèmes abordés sont les relations amicales et amoureuses. Chaque personnage présente des traits de personnalité stables et développe une relation particulière avec les autres au cours de la soirée. La réalisation du script s’est attachée à mettre en scène les concepts classiques de fausses croyances de premier et de second ordre, de faux pas, de métaphore et d’ironie au travers du discours mais aussi des mimiques, de la gestuelle, de la prosodie. Les

stimuli distracteurs ont été évités (musique, autres personnages). Le film est divisé en 42 sections. A l’issue de chaque scène, le participant est interrogé sur les états mentaux des personnages : « Que ressent X ? », « Que pense Y ? », « Quelle est l’intention de Z ? ». Ces états mentaux peuvent être épistémiques, affectifs ou volitionnels ; à valence positive, négative ou neutre Les scènes sont plus ou moins complexes. Certaines ont un contenu verbal, qui peut être compris littéralement ou non, et d’autres ont un contenu seulement non verbal.

Le test se présente sous la forme d’un diaporama. Un évaluateur assure la passation et note les réponses du participant. Les premières diapositives présentent l’épreuve, introduisent les 4 personnages, et informent le participant qu’il va lui être demandé de réfléchir à ce que pensent ou ressentent ces personnages. Chaque scène est ensuite visionnée, et immédiatement après une ou deux question sont posées (45 questions au total). Le participant doit choisir sa réponse parmi les 4 proposées : une réponse est correcte (ToM), une réponse illustre un défaut de mentalisation (défaut de ToM), une autre illustre l’absence d’attribution d’état mental (pas de ToM), et enfin une autre illustre un excès de mentalisation (excès de ToM). Six questions supplémentaires réparties dans l’épreuve portent sur des aspects contextuels et permettent de s’assurer de la qualité de l’attention du participant et de sa compréhension du script. La passation de cette épreuve dure environ 40 minutes.

La variable principale dégagée par le MASC test est le nombre de réponses correctes, qui témoigne des performances globales du sujet en terme d’attribution d’émotions, d’intentions et de pensées. Le score maximal possible est de 45. Les profils d’erreurs peuvent être évalués à travers le nombre d’erreurs de type excès de mentalisation, défaut de mentalisation, ou absence de ToM. Chacune des 45 questions se rapportant à la détermination d’un état mental affectif, volitionnel ou épistémique, la capacité d’inférence du sujet dans chacune de ces modalités peuvent donc être déterminée. Plus globalement, 19 questions concernent l’attribution d’un état mental « affectif » et 23 un état mental « cognitif », permettant donc de définir selon le nombre de bonnes réponses dans chaque catégorie un score de ToM affective et un score de ToM cognitive. Enfin, un score de perception et un score de raisonnement peuvent être calculés, en fonction des réponses correctes aux questions portant sur des scènes contenant un matériel non-verbal ou un matériel verbal.

Figure 7 : Un exemple de question du MASC test (Dziobek et al., 2006)

La version originale du MASC est en allemand. L’équipe qui a créé cet outil a également réalisé d’emblée une version en anglais (Dziobek et al., 2006). La version française a été développée avec l’accord d’Isabel Dziobek par l’équipe du CHU Sainte Justine (Montréal), sous la direction de Patricia Garel (Gabrielle Chartier, Linda Booij, Catherine Herba) en partenariat avec l’équipe du Centre d’Evaluation et de Recherche Clinique du SHU de l’Hôpital Sainte Anne (Paris), sous la direction d’Isabelle Amado et de Marie-Odile Krebs (Charlotte Danset-Alexandre, Zelda Prost, Gilles Martinez). Une première traduction a été faite par l’équipe québécoise, revue par l’équipe française qui a confronté cette version à une traduction à partir de l’épreuve en allemand (Dorothea Ullwer) et qui a réalisé la back

translation. Le doublage de la vidéo originale a été réalisé par des acteurs québécois sans

accent.

Dans l’étude princeps (Dziobek et al., 2006), le MASC discrimine très bien les sujets souffrant d’un syndrome d’Asperger des sujets contrôles de QI comparable (19 patients vs 20 contrôles) et est plus discriminant que les tâches de référence : Strange Story Task (Happé, 1994), Reading the Mind in the Eyes (Baron-Cohen et al., 2001a), Basic Emotion Recognition (Ekman and Friesen, 1971). La consistance interne du MASC test est satisfaisante avec un coefficient alpha de Cronbach de 0,84.

Contexte : Michaël (en chemise) parle à Anna ; Ben (en pull) semble s’ennuyer. Anna demande alors à Mickaël : « Mais dis moi, es tu déjà allé en Suède » (sujet précédemment abordé entre elle et Ben avant l’arrivée de Mickaël) et se tourne vers Ben.