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Les marchés dans la ville apparaissent d’abord comme des marchés de denrées agricoles. On

les appelle alors « marchés de vivres ». C’est là que les producteurs, tant de l’agglomération

urbaine que des contrées environnantes, viennent écouler leurs produits. C’est ainsi qu’à

Yaoundé, plus les marchés sont récents, plus ils sont consacrés au commerce des vivres. Plus

ils sont périphériques, plus la vente et l’achat des denrées alimentaires y est l’activité

dominante. Ils évoluent également dans le temps et dans l’espace (figure 6).

Figure 6 : Les marchés dans Yaoundé à la fin des années 1980 Source : Bopda et Awono., 2003

Toutefois, créés pour servir de lieux d’échange et de commerce, les marchés sont aussi le

cadre de multiples autres activités tant « formelles » que « informelles »

2

. Lieux d’activités à

la fois denses et composites, les marchés posent de multiples problèmes à la gestion

municipale et à l’aménagement urbain, et les conflits d’intérêts y apparaissent naturellement

comme dans tout espace de négociation.

Les problèmes, les tensions et les conflits de priorité soulevés dans les marchés de Yaoundé

ne sont en gros que le prolongement de ceux que l’agriculture urbaine et périurbaine posent

aux gestionnaires de la ville. Pour l’agriculture en particulier, il y a une difficulté réelle à

l’intégrer dans les schémas fonciers et immobiliers de contrôle de la croissance spatiale

urbaine.

2.5. Les pratiques agricoles à Yaoundé et à la périphérie

Les pratiques agricoles à Yaoundé sont-elles des pratiques rurales importées en ville? Au

regard de ce qui a été dit précédemment dans l’historique de l’agriculture urbaine à Yaoundé,

nous constatons que celle-ci existe depuis suffisamment longtemps que pour pouvoir parler de

pratiques urbaines et de pratiques rurales, qui ont chacune leurs caractéristiques propres. Ces

pratiques dépendent de plusieurs facteurs : le milieu naturel (le relief en particulier),

l’utilisation des terrains (l’aspect foncier), l’appartenance des producteurs à un groupe social,

et le savoir-faire endogène des exploitants. Les méthodes de production sont déterminées par

ces différents facteurs qui vont être développés ci-après.

Le relief de Yaoundé est caractérisé par des collines ou des plateaux aux versants convexes et

de multiples vallées à fonds plats mal drainées en direction du sud par la principale rivière, le

Mfoundi et ses affluents. Ces profondes vallées sont guidées par un réseau complexe de failles

et de collines qui compartimentent la ville en autant d’entités topographiques, ce qui fait de

Yaoundé une ville collinaire où construire à certains endroits devient difficile. De ce fait,

Yaoundé est appelée ville aux “sept collines”, puisque le site urbain s’est développé sur un

ensemble de collines entrecoupées de vallées plus ou moins élargies en cuvettes

marécageuses, les bas-fonds (Euphrasie, 1998 : 27 ; Temple, 2002 : 9-11).

Les terres rouges moyennement désaturées sur roches acides sont l’une des caractéristiques de

la zone. Celles des plateaux ont une texture sablo-argileuse (Mvondo, 2002). Par ailleurs, le

sous-sol est en général ferrallitique. Du nord au sud, et de l’est à l’ouest, le sol de Yaoundé est

de nature rouge latéritique. Il est insaturé à un pH acide qui, en général, est inférieur à cinq. Si

la topographie de Yaoundé lui confère des bas-fonds destinés à la production maraîchère, le

plateau, la pente, et la plaine orientent les mouvements de l’eau dans le sol.

2.5.1. L’utilisation des terres dans trois espaces

2.5.1.1. Dans l’auréole urbaine

Les terrains actuellement occupés par les producteurs vivriers et maraîchers dans l’auréole

urbaine de Yaoundé peuvent se diviser en deux catégories : les réserves administratives et les

propriétés privées individuelles ou collectives.

2 On entend généralement par activités «informelles » celles que l’administration, forte de son pouvoir de violence légitime, ne reconnaît pas. Dans le jargon camerounais, ces activitéss sont classées généralement dans la débrouillardise.

Les réserves administratives

Les réserves administratives sont des terrains réservés à des constructions d’utilité publique –

camps SIC (Société immobilière du Cameroun), hôpitaux, écoles, administrations, etc. – et

aux voies publiques. Si entre 1960 et 1980, rien n’a été déterminé quant au pourcentage de

surface à réserver, depuis 1980, 50 % de la surface des nouveaux quartiers sont retenus pour

la voirie (Bopda et Awono, 2003). Dans les anciens quartiers (excepté le quartier

administratif), la plupart de ces terrains sont déjà bâtis, mais dans les zones d’extension

récente ce n’est pas le cas. Il existe plusieurs grandes zones regroupant ces réserves. Avec une

extension de près de 24 km sur son grand axe nord-sud et une largeur de 16 km environ sur

son petit axe ouest-est, urbain au centre et rural en périphérie, l'agglomération de Yaoundé

s'étend sur un département de plus de 300 km². Pour l'avoir voulue taillée sur mesure,

l'administration n'a cessé d'en repousser les limites et périmètres de décennie en décennie.

Mais en réalité, c’est un peu la même structure qui marque l’organisation spatiale avec des

auréoles concentriques toujours plus nombreuses et plus étendues (figure 7).

Figure 7 : Evolution de l’espace urbanisé à Yaoundé entre 1980 et 2001

Source : Bopda et Awono., 2003.

A partir de cette figure 8, on constate que l’espace urbanisé à presque quadruplé en 20 ans,

passant de 38 km² (3807 ha) en 1980 à 159 km² (15919 ha) en 2001.

De quartiers en quartiers, l’AUP se retrouve dans tous les espaces. Elle témoigne tout autant

de l’attachement qu’elle suscite auprès de populations sortant fraîchement des villages

environnants ou lointains que de la relative « captivité » dans la pauvreté ou la misère dont

souffre une bonne partie des ménages. Yaoundé offre un paysage fortement humanisé et tout

autant « tourmenté ». En son sein, l'organisation matérielle de la vie de près d'un million et

demi d'habitants est devenue la source de difficultés urbanistiques que municipalités et

gouvernements successifs affrontent avec plus ou moins de succès depuis près d'un siècle.

Localement, les périmètres officiels de cette ville-capitale n’ont jamais cessé de croître (figure

8).

Figure 8 : Les périmètres successifs de Yaoundé Source : Bopda et Awono., 2003

Pour mieux organiser, gérer ou exploiter la ville, plusieurs plans et schémas d'urbanisme ont

été élaborés depuis la période coloniale : le Plan d’urbanisme et de développement (PUD) de

1963, le Schéma directeur d’aménagement urbain (SDAU) de 1981, etc. Mais en marge

d'équipements divers réalisés avec succès, les stratégies de contournement populaire ou de

détournement élitiste n'ont pas toujours favorisé la mise en application correcte des

programmes d'aménagement. Pour lutter contre l'habitat précaire ou l'occupation non

réglementaire des sols, la recette la plus appliquée a été de "déguerpir" les personnes mal

installées pour les réinstaller dans les espaces périphériques. Dès lors, de pareilles opérations

se heurtent, d'une part à l'incapacité d’indemniser au préalable les populations touchées, et

d'autre part à la difficulté d'acquérir et de viabiliser au minimum les nouvelles zones d'accueil

ou de recasement.

L'agglomération yaoundéenne est marquée par une opposition accentuée entre un centre-ville

concentrant l'essentiel des emplois et des périphéries dortoirs toujours plus éloignées d'année

en année. Cette structure spatiale a abouti à une organisation journalière biphasée de la

circulation urbaine. Le matin, pendant les jours ouvrables, c'est par milliers que les

populations partent de leurs quartiers et villages excentrés pour le centre de la ville. Les flux

sont de plus en plus importants au fur et à mesure qu'on se rapproche du centre commercial et

du centre administratif situés au coeur de la ville. En début d'après-midi et le soir, c'est

l'inverse. L'encombrement des véhicules est maximum dans la ville d'où partent les

yaoundéens vers leurs quartiers ou leurs villages de résidence. En l'absence d'un réseau de

transport collectif adéquat, les coûts de déplacements s'accroissent très fortement. En outre, la

circulation des véhicules est très difficile à cause de l'insuffisance ou du mauvais état des

routes, souvent elles-mêmes envahies par les petits métiers de rue attirés par l'abondance de

potentiels clients.

Ces pratiques agricoles dans l’auréole urbaine de Yaoundé ressemblent à celles observées par

Christine Schilter (1987) à Lomé au Togo où elle démontre que les modes d’utilisation des

terrains dans cette ville varient suivant les dimensions des surfaces exploitées.

2.5.1.2. Dans la zone périurbaine de premier degré

Au nord de la ville, de grandes zones sont réservées, les unes (de plus de 200 ha) au Camp Sic

(Messa-si) et les autres (Nkolondom) aux cultures maraîchères intensives de condiments

(tomates et céleri). Certaines zones sont des carrières de dépôt et d’entrepôt de pierres où

viennent se ravitailler des habitants de la capitale en matériaux de construction (graviers,

cailloux). En général, les gens qui cultivent des terres dans la zone PU de premier degré les

occupent avec l’accord tacite des autorités, à l’exception des autochtones qui sont de vieilles

familles de Yaoundé.

2.5.1.3. Dans l’hinterland rural

Dans l’hinterland rural (ZPU2, Obala/Sa’a), le droit d’exploitation de la terre est ouvert à

tous, mais ce droit est plus un attribut sacré de la personne qu’un droit réel. Les terres

appartiennent aux familles selon le mode d’héritage malgré le fait que dans la législation

foncière (Loi No 01/74 du 06 Juilllet 1974), la terre des zones rurales est un bien divin mis à

la disposition de tous les humains et, surtout, appartenant prioritairement à l’Etat. Il en résulte

qu’elle appartient au premier occupant, c’est-à-dire à celui qui, par un moyen ou par un autre,

s’en empare.

2.5.2. Les méthodes de production dans les trois espaces

Les méthodes de production ne diffèrent pas beaucoup d’un espace à l’autre et c’est la raison

pour laquelle nous n’avons plus repris la typologie spatiale précédente.

2.5.2.1. Outillage et infrastructure

L’outillage de base du maraîcher (tableau 1) est composé d’une houe, d’une binette,

d’arrosoirs, d’un seau, d’un sac et, très souvent, d’une machette (ou coupe-coupe), quel que

soit le revenu du producteur. Au début de son installation en ville, il emprunte ces outils, mais

s’efforce petit à petit d’acquérir les siens propres. Quant aux râteau, pelle et plantoir,

l’acquisition en est aléatoire et ce petit matériel est plus important chez les fleuristes. La

motopompe est un outil fort apprécié – bien qu’un maraîcher sur 50 peut en posséder une ;

puisqu’elle est fort coûteuse. Entre 2004 et 2006, le prix d’une motopompe importée d’Europe

variait entre 100.000 et 200.000 FCFA tandis que celle vendue par les Chinois oscillait entre

70.000 et 120.000 FCFA.

Quelques maraîchers ont un pulvérisateur pour les traitements des maladies. Tous les

appareils sont manuels et coûtent entre 40.000 et 65.000 FCFA. Les producteurs empruntent

facilement les appareils pulvérisateurs de leurs voisins et le CIPRE (Centre international de

promotion de la récupération, ONG camerounaise basée à Yaoundé) dispose de pulvérisateurs

disponibles en location pour les maraîchers. Le CIPRE loue l’appareil à 200 FCFA la journée

de travail. Ce système local d’aide aux producteurs par voie de location des appareils n’est

pas bien perçu par les paysans urbains et ceux-ci pensent que « les dons perçus par les ONG

de développement ne leur sont pas directement attribués ». C’est ainsi qu’à défaut d’en

acheter un, certains producteurs le remplacent par l’arrosoir dont le prix varie entre 3.000 et

7.000 FCFA.

Outre cet outillage, chaque maraîcher a un petit puits ou un bassin de retenue d’eau. Rares

sont les parcelles qui n’en ont pas. La plupart de ces puits et bassins sont le plus souvent peu

profonds et emménagés à l’aide de vieux pneus ou de fûts coupés. Certains maraîchers mieux

organisés ou ayant eu le soutien technique des cadres du programme PSA (Programme de

sécurité alimentaire de la FAO), ont construit des bâtards d’eaux (bassins d’accumulations

des eaux afin de les communiquer à tous les autres producteurs), ce qui évite de devoir creuser

d’autres puits dans les parcelles. La dimension du jardin influe sur le nombre de puits et de

bassins ; en général, pour une parcelle de 2000 m

2

, un puits et un bassin suffisent. Lorsque les

parcelles sont plus petites et non délimités, un puits et un bassin sont communs à plusieurs

jardins.

L’outillage des producteurs vivriers se trouvant vers Sa’a, Obala à la périphérie de la ville, est

beaucoup plus restreint que celui des maraîchers. Une houe et un coupe-coupe suffisent.

Parfois, s’ajoute un panier à dos fabriqué en matériaux locaux (lianes), dans lequel on

transporte les quelques boutures de manioc, semences d’arachides ou de maïs et les noix de

palme. Leur matériel est moins important puisqu’ils cultivent pendant la saison des pluies, ce

qui leur évite de devoir arroser. Cependant, s’ils cultivent des légumes-feuilles et des

légumes-fruits pendant les premiers mois de la saison sèche, ils le feront dans un bas-fond ou

au bord de la rivière, profitant de la décrue de cette rivière.

Tableau 1 : Outillage et infrastructure utilisés par les producteurs en Zone urbaine et

périurbaine de Yaoundé.

Matériel utilisé Fourchette de prix (FCFA)

Outils Houe (+ manche) Binette Râteau Pelle Pioche Plantoir Sécateur Cisaille Machette Seau Arrosoir Brouette 300-800 150-300 700-2.000 500-2.000 1.000 250 800-2.000 1.000-1.500 1.000-1.500 300-1.000 3.000-7.000 12.000-15.000 Installation fixe Puits personnel Puits communautaire Bassin communautaire Puits pneu/fût 4.000-10.000 2.000-6.000 30.000-50.000 1.000-1.500 Machines

Motopompe d’occasion d’Europe Motopompe de marque chinoise Pulvérisateur Tuyaux 100.000-200.000 70.000-120.000 40.000-65.000 5.000-15.000

2.5.2.2. La fumure

En maraîchage urbain, l’utilisation de la fumure est quasi généralisée auprès des producteurs

yaoundéens, puisque le système de culture est intensif et demande un apport obligatoire et

régulier d’engrais.

Dans l’auréole urbaine et en ZPU, les maraîchers ont recours à deux types de fumure : les

engrais organiques et les engrais minéraux.

Les engrais organiques se trouvent sous plusieurs formes :

- Le lisier de porc, provenant des porcheries environnantes et des unités d’élevage individuel

des paysans. Cette fumure est fort demandée par les producteurs, mais n’est pas assez

disponible pour tous puisque l’intégration agriculture/élevage n’est pas encore bien

développée dans le milieu. En effet, le cadre institutionnel local ne favorise pas l’élevage de

porc dans la ville. Aussi, avec la peste porcine africaine, les éleveurs qui se trouvaient en

périphérie de la ville (vers Nkolondom, Nkomndamba, Mvog-dzigui et Nkolmendouga) et

fournissaient de la fumure organique de ce type, ont vu leurs cheptels diminués. Aujourd’hui,

il ne reste pour la plupart que des bâtis vides qui font penser à une ancienne structure

d’élevage de porc. Pour pallier ce vide, l’Institut de recherche agricole pour le développement

(IRAD), dans son unité de développement de la production porcicole située à la périphérie de

Yaoundé (Nkolbissong), met à la disposition de quelques producteurs de cette zone des sacs

de fumier pour leur agriculture. Les éleveurs de porcs qui ne pratiquent pas l’agriculture sont

très sollicités pour cette fumure et il est intéressant de voir plusieurs producteurs se regrouper

pour louer un véhicule afin d’aller chercher ce fumier chez ces producteurs-là. Un sac de 100

kg de fumier de porc coûterait entre 1.500-2.000 FCFA, mais sa rareté contribue à sa cherté.

- Les fumures de poules, appelées fientes de poules par les maraîchers, sont aussi beaucoup

demandées en maraîchage urbain de Yaoundé. Les fientes de poules proviennent des

établissements avicoles installés dans la périphérie de la ville du nord au sud. « Ce sont pour

la plupart la Société des provenderies du Cameroun (SPC), Elevage promotion Afrique

(EPA), complexe Mvog-betsi, etc. ». Un sac de fientes de pondeuses coûte 1.000-1.500 FCFA

/ sac de 100 kg, alors que le même sac de fientes poulets de chair coûte entre 500-800 FCFA.

L’épandage du fumier en surface reste la méthode pratiquée par la plupart des maraîchers

(planche 7). Les producteurs pensent que l’épandage en surface est une méthode facile,

utilisant peu de fumier et permettant de lutter contre les mauvaises herbes. Cependant, cette

pratique de fertilisation préférée du fait de sa facilité, prédispose d’une part le fumier aux

pertes d’azote par volatilisation, d’autre part aux pertes d’éléments nutritifs par ruissellement

dues aux pluies agressives et aux arrosages fréquents et abondants.