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ii Désertiication et dégradation anthropique de la végéta tion : des débats sur les causes et constats

Note 23 | Ces deux projets, achevés en 2005 ont été repris partiellement au sein du GLP (Global Land Project)

II. D.2 Les savanes

La dynamique des savanes est un objet d’étude encore riche pour l’écologie moderne car elle suscite des attentes de la part de gestionnaires de plusieurs continents (Amériques, Afrique, Australie…) mais est également liée à des questions théoriques ardues. Ainsi, les détermi- nants de la cohabitation d’arbres et d’herbacées, considérés par les forestiers du début du siècle comme le seul résultat de l’action de l’homme, ont été progressivement mis à jour.

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Nous allons ainsi voir que la dichotomie entre les impacts climatiques et anthropiques a été dépassée très récemment dans la littérature, avec des conséquences intéressantes.

II.D.2.1. Les savanes sans les hommes…

En recensant à l’échelle de tout le Tertiaire les arguments climatiques, physionomiques et botaniques qui plaident pour les développements respectifs des biomes des forêts denses, des forêts claires (woodlands) ou des savanes, Jacobs [2004: 1579-80] nous donne des éléments de recul.

Les premiers indices de la présence en Afrique de plantes caractéristiques des savanes actuel- les remonte au paléocène (66-56 ma), avec du bois de légumineuses et des pollens de poa- cées. Des analyses de carottes prélevées dans le delta du Niger indiquent que des herbes sont présentes dans les échantillons à partir du Miocène inférieur (17-23 ma), augmentent vers 16 ma, laissant présager une domination des savanes vers 8 ma (Miocène inférieur) [Morley et Richards, 1993], cité par [ Jacobs, 2004: 1579-80].

Les savanes auraient donc bien été présentes avant même que l’homme ait eu la capacité de modiier de manière substantielle son environnement, ce qui ne doit pas surprendre. Par la suite, les oscillations climatiques auront continué à modeler les fonds loristiques associés aux diférents biomes Africains.

Fig. 1.14 | Evolution de la végétation en Afrique de l’holocène jusqu’au présent. Source : [Adams, 1998],

cité dans [Chave, 2000: 40]

Plusieurs tentatives de synthèses ont permis d’étayer des scénarios des évolutions climatiques du quaternaire. En 22000 bp, qui correspond au dernier maximum glaciaire (lgm) à la in de la glaciation du Würmien, l’Afrique subit un pic d’aridité avec une extension maximale du Sa- hara (Cf. ig. 1.14) Vers 12000 bp, on observe un retour de conditions plus humides, avec une probable extension maximum des forêts humides vers 8000 bp. [ Jolly et coll., 1998], se basant sur des données polliniques et des macrofossiles, reconstruisent partiellement les biomes africains, tels qu’ils se présentaient il y a 6000 ans de ça. Arguant notamment de la présence d’une végétation steppique au cœur du Sahara, ils soutiennent que les conditions climatiques étaient bien plus humides dans les actuelles zones sèches de l’Afrique de l’Ouest. A l’inverse, le reste du continent n’aurait pas subi une évolution climatique aussi sévère. Ils expliquent ces conditions particulières par une migration septentrionale (ainsi qu’une extension) de la mousson Ouest-Africaine vers le Nord, ce qui se serait combiné avec une inluence moin- dre du climat méditerranéen. A partir de cette date, le climat Ouest-Africain aurait ensuite glissé vers une aridiication relativement progressive, avec toutefois un très probable pic vers 3500 bp ([Maley, 1996: 61], cité par [Duvall, 2003]).

Dans une telle approche historique, la dynamique des savanes semble avoir un fort déter- minisme climatique. Reste que de nombreux éléments contribuent plus localement à com- plexiier l’analyse.

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II.D.2.2. … mais une place des perturbations anthropiques encore mal comprise

Il convient en efet de rappeler que les mécanismes mêmes qui sont censés dominer les inte- ractions entre arbres et herbacées sont encore loin de faire l’unanimité [Belsky, 1994; Scholes et Archer, 1997]. Dans les zones sahéliennes, il a notamment pu être montré qu’il y avait pas de relation complètement linéaire entre pluviométrie et productivité, comme en témoignent les productivités élevées qui ont été estimées dans des écosystèmes contractés sahéliens, les brousses tigrées [Hiernaux et Gérard, 1999; Ichaou, 1998, 2000].

C’est la place de l’homme et du feu qui a toutefois fait le plus débat. On a depuis longtemps constaté que des savanes pouvaient être présentes dans des zones où la pluviométrie per- mettait pourtant le développement d’une forêt dense humide. Si une explication édaphique a parfois pu être avancée, il s’avère que le feu a une place prépondérante dans le maintien de ces savanes. Ainsi, dans un pays à la pluviométrie relativement forte comme le Congo, on observe une corrélation extrêmement forte entre la répétition des feux et la localisation des savanes (Cf. igure 1.15).

Fig. 1.15 | Occurrences des feux au Congo. Traitement des données SAI/CEE : les départs de feux sont en

grisé, la forêt en quadrillé, la savane en blanc. Source : [Chave, 2000: 97]

Si l’inluence anthropique est par le biais du feu un facteur essentiel de la répartition des savanes, la question est de savoir dans quelle proportion et pour quelles conditions (biome, pluviométrie…) cette proposition reste valable. Certains auteurs ont a ce propos un juge- ment assez péremptoire [Catinot, 1994: 59] :

Les feux de brousses sont pratiquement nocifs dans tous les domaines et, lorsqu’on les supprime, les savanes ouvertes redeviennent rapidement les formations forestières fermées qui constituent leur formation climax. Les savanes actuelles ne constituent donc qu’une forme de dégradation de leur formation climax originelle.

Catinot s’appuie alors notamment sur des expérimentations de mises en défens menées après guerre dans des brousses des environs de Bouaké, dont il tire de solides conclusions.

On semble trop ignorer en efet qu’en 1951, au premier congrès forestier interafricain d’Abidjan, certains scientiiques ont encore soutenu que les savanes forestières constituaient une association pseudo-climacique stable de formations de graminées et de peuplements forestiers très ouverts, tandis que d’autres démontraient l’utilité des feux de brousses. [Les expérimentations de] Kokon-

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drekro et Bamoro sont arrivé[e]s à point nommé pour démontrer rigoureusement le contraire : Les formations actuelles ne constituent donc qu’une forme de dégradation de leur formation

climax originelle, qu’elles retrouvent avec une rapidité déconcertante lorsqu’on les protège du feu

et des déprédations humaines. [Catinot, 1994: 60]

Les conclusions de ces expérimentations semblent être riches d’enseignement en termes de gestion. Reste que les concepts utilisés (climax…) et la localisation bien particulière des es- sais (pluviométrie proche de 1400 mm) ne permettent pas de vériier la validité du discours, notamment sur des zones plus arides. Une publication récente nous permet en efet de rela- tiviser cette vision assez tranchée.

II.D.2.3. Une synthèse des principaux déterminants du couvert des savanes

[Sankaran et coll., 2005] nous rappellent que les explications de la coexistence continue de ligneux et d’herbacées dans les écosystèmes de savanes sont variées : elles font appel à des mécanismes aussi diférents que la compétition pour l’eau et les nutriments, l’existence de goulets d’étranglement démographiques pour le recrutement des arbres, les perturbations dues aux feux ou à l’herbivorie des grands mammifères [Sankaran et coll., 2005: 846].

Ils cherchent ainsi à déterminer si les tendances identiiées à grande échelle sur les structures des savanes sont le signe de dynamiques « stables »24, « instables », ou bien une combinaison

des deux. Si la disponibilité en eau est le premier déterminant du couvert arboré des savanes, alors les précipitations devraient en un site donné limiter le couvert potentiel maximum, et celui-ci devrait augmenter de manière continue avec la pluviométrie annuelle moyenne. A l’inverse, si ce sont les perturbations qui sont les facteurs principaux de l’évolution des savanes, alors on devrait s’attendre à ce que la courbe soit beaucoup plus abrupte. A partir de niveaux de pluviométrie annuelle suisants pour qu’un arbre survive en dehors des zones humides, on devrait pouvoir trouver des zones, mêmes très rares, où les perturbations n’ont pu empêcher la mise en place d’un couvert forestier important [Sankaran et coll., 2005: 846-847].

Les résultats de leur analyse suggèrent que le comportement des savanes par rapport à la pluviométrie se caractérise par un seuil assez net, qui se situe à 650 mm. En dessous de cette pluviométrie, le couvert arboré maximum a une relation linéaire avec les précipitations, alors qu’une valeur-palier de 80% est atteinte à partir de 650 mm (Cf. ig. 1.16).

L’interprétation de [Sankaran et coll., 2005: 847] est que sous le seuil fatidique, les perturba- tions peuvent avoir un rôle mais elles ne sont pas nécessaires à la coexistence des ligneux et herbacées : ces savanes sont alors climatiquement déterminées. Au dessus, la pluviométrie est suisante pour permettre le développement d’un couvert forestier dense. Les savanes doivent alors y être considérées comme des systèmes instables, pour lesquels les perturbations (feu, efets des herbivores brouteurs et cueilleurs25) sont nécessaires au maintien de la présence

combinée des arbres et herbes, et peuvent empêcher ainsi la fermeture totale du couvert. Une analyse par arbre de régression permet à [Sankaran et coll., 2005: 848] de hiérarchiser les déterminants du couvert arboré (Cf. ig. 1.17). Derrière les précipitations, ce sont les feux qui ont la plus grande inluence : il y a en efet une interrelation positive entre le développement d’une strate herbacée et une fréquence accrue des feux. Le facteur suivant est celui de la te- neur en sable des sols : lorsque celle-ci est forte, la composante ligneuse de la végétation peut dominer car elle est plus à même de compenser la faible disponibilité des nutriments par une meilleure utilisation de la texture du sol. L’efet de l’herbivorie n’est par contre pas très net : si les actions des brouteurs et des cueilleurs semblent tendre respectivement vers une augmen- tation et une diminution du couvert arboré, la relation n’est pas généralisable.

Note 24 | « Stable » est ici utilisé dans le sens restreint d’une indépendance vis-à-vis des perturbations liées au feu ou à l’herbivorie,

ce qui n’implique pas que le caractère dynamique du couvert arboré soit nié. [Sankaran et coll., 2005: 846].

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Pluviométrie annuelle moyenne (mm)

C ouv er t ar b or é (%) 100 80 60 40 20 0 0 200 400 600 800 1000 1200 Pluviométrie annuelle

retour des feux Sable < 10,5 ans < 90,3 9,03% (n = 107) 1,54% (n = 23) < 356 mm > 356 mm 33,1% (n = 8) 31,5% (n = 27) > 90,3 > 10,5 ans

Fig. 1.16 | Relation entre couvert forestier et plu-

viométrie pour 854 sites de savanes d’Afrique. La courbe est obtenue par régression linéaire « avec point de rupture des variables pairées » (Piecewise Linear Regression). Entre 100 et 650 mm, la relation est de la forme :

couvert arboré = (0,14 x pluviométrie) – 14,2 Source : [Sankaran et coll., 2005: 847]

Fig. 1.17 | Arbre de régression détaillant l’efet de

la pluviométrie, de la répétitivité des feux et de la teneur en sable des sols sur le couvert arboré. Source : [Sankaran et coll., 2005: 848]

Ce travail de synthèse a plusieurs implications. Il conirme tout d’abord qu’il est très hasar- deux de vouloir raisonner sur la dynamique des savanes en les considérant comme un tout homogène : le comportement d’une savane arbustive sahélienne a peu à voir avec celui du contact forêt-savane. Lorsque Catinot [1994] interprète les résultats d’une expérience de mise en défens en Côte d’Ivoire, ses conclusions doivent être clairement contextualisées : sa description de la savanisation des espaces boisés est valable pour la zone étudiée, mais a beaucoup moins de pertinence dès le Sud du Mali, où le couvert forestier est assez vite contraint par la faiblesse de la pluviométrie. On peut remarquer de manière parallèle que les conclusions tirées en Guinée préforestière par [Leach et Fairhead, 1996] ne sont également pas aisément transposables aux zones soudano-sahéliennes.

Un deuxième type d’enseignement est relatif aux changements climatiques. La pluviométrie étant un facteur déterminant dans le passage d’un comportement linéaire à un non-linéaire, il est possible que la végétation des zones situées entre les isohyètes 500-700 mm puisse évo- luer dans des directions très diférentes en cas de changement climatique.

Par rapport à la littérature de la new ecology consacrée aux zones semi-arides, on obtient donc des résultats plutôt paradoxaux. La variabilité interannuelle de la pluviométrie peut avoir de grandes conséquences sur la dynamique de la végétation. A plus long terme, c’est ce même climat qui est pourtant le déterminant le plus important. On passe donc en fonction de l’échelle temporelle d’une vision privilégiant le non-équilibre à son contraire.

Si l’on considère enin les zones dites soudano-sahéliennes, on doit constater qu’elles se si- tuent à la charnière même des comportements écologiques décrits par [Sankaran et coll., 2005]. Dans les environs de Bamako, on doit donc s’attendre à ce que la dynamique du couvert arboré soit en tout premier lieu inluencée par le climat mais que les perturbations anthropiques gardent un rôle essentiel.

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