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ii Désertiication et dégradation anthropique de la végéta tion : des débats sur les causes et constats

Note 7 Doumeraie : Peuplements de palmiers doum (Hyphæne thebaica)

Note 8 | Mot d’origine peule désignant des zones dénudées dont les sols indurés permettent néanmoins le développement d’un

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les auxquelles les perturbations afectent les écosystèmes a été un élément supplémentaire de rélexion pour les écologues :

Si l’on garde à l’esprit le fait que les communautés forestières des régions tempérées de l’hémis- phère Nord, et probablement des Tropiques, sont encore en train de se remettre des efets des dernières glaciations, il apparaît dès lors peu probable que les stades végétationnels idéaux des climax soient en réalité jamais atteints.

La littérature appliquée à la dynamique de la végétation en Afrique de l’ouest a suivi la progression de ces concepts. Partis d’une vision monoclimacique, la plupart des auteurs en sont au moins venus à une conception polyclimacique9. Ils se sont néanmoins divisés sur des

points substantiels, qu’il s’agisse de l’importance à donner aux perturbations ainsi introduites, ou bien de leur caractère plus ou moins anthropique. Retracer ici l’historique de ces concepts nous permet donc de mieux éclairer les enjeux du débat. C’est en efet à travers les notions d’équilibre et de climax, pourtant remises en cause et nuancées par la discipline écologique il y a plus de cinquante ans, que se sont cristallisées les controverses les plus marquées. Et pour la plupart des protagonistes, tant académiques que politiques, ce sont des interprétations de références scientiiques (parfois contradictoires, le plus souvent historiquement datées), qui ont fourni l’essentiel de l’argumentation.

II.B. Des approches hétérodoxes : le rôle controversé de l’homme

dans l’évolution de la végétation

Malgré une évolution des approches, la littérature de l’écologie de l’Afrique sèche reste en- core fortement teintée de concepts végétationnels remontant à l’avant-guerre. Ce sont en efet des auteurs de l’époque coloniale qui ont été à l’origine d’hypothèses importantes. Le point qui nous intéresse est que ces travaux ont une inluence encore palpable, à la fois dans les domaines strictement scientiiques mais également dans la formulation et l’application des politiques environnementales Africaines. Ces orthodoxies, qui se sont sédimentées dès la période coloniale et doivent donc être replacées dans le contexte scientiique de l’époque, ont été progressivement remises en cause - et selon plusieurs lignes de critiques. Je vais m’attacher dans cette sous-partie à analyser le propos d’auteurs qui ont pu évaluer, dans trois contextes contrastés (Cf. igure 1.9), la validité des discours relatifs aux dynamiques environ- nementales.

Il s’agit ainsi de : (i) Melissa Leach & James Fairhead, qui ont cherché à remettre en cause les discours dominants relatifs au contact forêt-savane ; (ii) Tor A. Benjaminsen, qui s’est entre autres intéressé à la désertiication de la région de Tombouctou ; (iii) James Duvall, qui est revenu dans un article récent sur le statut écologique supposé des forêts claires soudanien- nes.

II.B.1. Leach & Fairhead et le contact forêt-savane

II.B.1.1. La thèse

Un des enjeux de [Fairhead et Leach, 1996], complété rapidement par [Fairhead et Leach, 1998; Leach et Fairhead, 1996] est de démontrer qu’à l’échelle d’un village, des pratiques agricoles « traditionnelles » et une croissance de la population ne mènent pas nécessairement à une dégradation marquée des ressources naturelles [Van Hensbergen, 1997]. Le terrain sur lequel se base leur argumentation se situe en zone de transition forêt-savane, dans la région de Kissidougou, en Guinée. Ils partent de la constatation que le couvert forestier des villages

Note 9 | En l’occurrence, lorsque pour une combinaison climatique/édaphique donnée, le type végétationnel « idéal » n’était pas

présent, l’usage répandu dans la littérature était de qualiier ce stade de proclimax. Ce terme pouvait alors correspondre soit à un subclimax, c’est-à-dire un stade supposé immédiatement inférieur, soit à un disclimax, c’est-à-dire la conséquence d’un changement dans l’enchaînement des successions. Entrent alors en jeu les perturbations, qu’elles soient anthropiques ou non.

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étudiés est plus élevé en 1990 qu’en 1890, en s’appuyant pour cela sur des données satellitai- res, des images aériennes et des sources orales. Or selon eux, l’orthodoxie, en vigueur depuis les premiers temps de la foresterie coloniale, est de déinir l’évolution de la végétation dans cette zone climatique comme le résultat de la dégradation d’une forêt dense primordiale vers des stades de savane, sous l’inluence de feux d’origine anthropique. Les patches de forêt dense observés doivent dès lors être interprétés comme des vestiges qui ont échappé à la main d’un « indigène » que l’on suppose le plus souvent inconséquent.

Fig. 1.9 | Localisation des sites étudiés par Fairhead & Leach, Duvall, Benjaminsen

L’argument de Leach et Fairhead est alors de montrer que la distribution des rôles dans l’histoire écologique des zones de transition forêt/savane ne doit pas être faite de manière trop péremptoire, avec un impact anthropique qui se traduirait par une « dégradation » des écosystèmes. En l’occurrence, il est montré que les villageois de la région de l’étude ont sélec- tionné ou planté des arbres qu’ils jugeaient utiles et bénéiques, pour aboutir à la création de bosquets villageois denses et riches en biodiversité, ce qui ne cadrait pas avec les prédictions pessimistes de l’expertise botanico-forestière coloniale. S’ensuit alors un plaidoyer pour les utilisateurs locaux des ressources forestières, dont les capacités de gestion ont été niées par les forestiers coloniaux. Ce schéma a perduré d’une part dans le fonctionnement des services forestiers des Indépendances mais est également à l’œuvre dans l’approche de bailleurs et experts du Nord.

Pour les premiers, les hypothèses de la dégradation anthropique – quand bien même elles se- raient datées et inexactes- justiient des politiques d’exclusion et de taxation des populations locales au proit de l’administration forestière (au nom d’un « bien public » et d’un état que ces populations ont par ailleurs peu d’occasions de juger sur pièce).

Pour les seconds, l’existence d’un « discours de la dégradation » sert à légitimer leur interven- tion. D’où la tentation de noircir le tableau et d’orienter l’analyse, ce que l’on retrouve selon Fairhead et Leach à la fois dans la littérature (notamment grise) et dans la manière plus générale de présenter les débats aux opinions publiques des pays du Nord.

II.B.1.2. Les limites

Dans l’optique de [Adger et coll., 2001], les écrits de Fairhead et Leach peuvent être considé- rés comme des bons représentants d’un discours « populiste », en ce qu’il tente – de manière

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ine et documentée, quoique sur la base d’études localisées- de rééquilibrer les débats autour des phénomène de dégradation des espaces boisés d’Afrique de l’Ouest. On peut néanmoins trouver deux limites à cette littérature : la première est sans doute d’avoir tendance à carica- turer les discours des scientiiques qu’ils entendent remettre en cause, en les présentant com- me un tout homogène ; la seconde est d’utiliser les raisonnements écologiques de manière un peu ambiguë, oscillant entre critiques très étayées et propositions trop programmatiques. Depuis plus de quatre décennies, on a pu noter une nette évolution des discours scientiiques sur les relations entre les communautés rurales d’Afrique de l’Ouest et leurs couverts arborés. On doit ainsi aux géographes tropicaux francophones d’avoir, notamment par leurs études de terroir, contribué à une amélioration des connaissances sur la gestion de l’arbre dans l’espace villageois (Cf. notamment [Pélissier, 1980a, b; Raison, 1988; Sautter, 1968]). Une telle vision reconnaît ainsi clairement que l’arbre est très souvent géré et favorisé au sein de l’espace rural, que ce soit tant par la création de boisements à part entière que de parcs agroforestiers. Pélissier [1997: 676] insiste sur le fait que cette reconnaissance des pratiques paysannes liées à l’arbre n’est pas nouvelle. Dès 1902, le botaniste Auguste Chevallier reconnaît pleinement la rationalité de « l’agriculture indigène » et considère que le rôle des colons doit se canton- ner au seul achat des produits. Ce point de vue sera assez vite marginalisé mais il permet de relativiser l’hégémonie prêtée par [Fairhead et Leach, 1996] à une supposée orthodoxie coloniale.

II.B.1.3. Une application ambiguë

Ain de comprendre comment les thèses de [Fairhead et Leach, 1996] peuvent poser pro- blème lorsqu’elles sont invoquées dans des contextes écologiques distincts, il peut être inté- ressant de se pencher sur les écrits récents de Reginald Cline-Cole. Ce spécialiste des ilières « bois de feu » [Cline-Cole, 1984] s’est en efet focalisé sur la situation environnementale du Nord du Nigeria. Son propos consiste en une déconstruction minutieuse des discours tenus sur les liens entre la dégradation de diférents espaces boisés et l’exploitation du bois [Cline- Cole, 1997a, b, 1998; Cline-Cole et Madge, 2000].

Le contexte est celui des environs de Kano, où croissance urbaine et raréfaction des terres de culture ont progressivement modiié la dynamique des approvisionnements en bois. Selon Cline-Cole [1998], l’hypothèse dominante [Anderson, 1987] est qu’avec l’augmentation de la demande en combustible, on doit observer une dilapidation généralisée du capital arboré dans les espaces cultivés, les espaces sylvopastoraux en commun, ainsi que les forêts classées. Cline-Cole cherche à démontrer que la situation est bien plus complexe. La dégradation est selon lui la plus marquée dans des zones relativement éloignées de la ville, où les densités de population sont faibles mais en augmentation rapide : les défrichements y sont importants, sans que bétail et main d’œuvre soient en nombre suisant pour aboutir à la reconstitution de parcs arborés.

Cline-Cole soutient par contre, et ceci dans une optique similaire à Leach et Fairhead, que le couvert forestier des zones les plus proches a pu être maintenu, voire augmenté au cours des dernières années. Cela n’est en fait guère surprenant, et est tout aussi bien observable dans les environs de Bamako. Une telle dynamique peut s’expliquer par la conjonction de deux fac- teurs : (i) l’approvisionnement de la ville étant encore assuré en partie par les défrichements des zones les plus périphériques de la ville, la dégradation éventuelle de certains espaces ne se traduit pas nécessairement par un signal-prix de rareté à l’échelle de tout le bassin ; (ii) de très nombreuses espèces d’arbres ont d’autres usages que le bois de feu. Ainsi, dans les zones relativement proches de la ville, où l’arbre est notamment un marqueur foncier important, de nombreux acteurs ont pu chercher à développer le capital arboré de leurs parcelles, sans le raisonner en fonction de la problématique du bois de feu.

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ants du Bois-Ene rgie en A fr ique sèc he 26 5 10 15 20 occurrence 5 10 15 20 A cc e p ta b il it é Acacia albida Acacia nilotica Acacia sieberiana Adansonia digitata Anogeissus leiocarpus Azadirachta indica Balanites aegyptiaca Vitellaria paradoxa Ceiba pentandra Combretum collinum Combretum micranthum Detarium senegalense Diospyros mespiliformis Ficus sycomorus Guiera senegalensis Isoberlinia doka Khaya senegalensis Mangifera indica Moringa oleifera Parkia biglobosa Piliostigma reticulata Prosopis africana Pterocarpus erinaceus Tamarindus indica Vitex doniana

Fig. 1.10 | Classements des espèces présentes dans les champs de villageois des environs de Kano (Nigé-

ria), en terme d’occurrence et d’acceptabilité « bois de feu ».10 Adapté de :[Cline-Cole, 1998: 333]

Dès lors, la façon dont Cline-Cole rend compte de ces pratiques pose problème car elle tend à éluder la possibilité de tenir des raisonnements normatifs sur les données écologiques. Le classement d’espèces qu’il établit à partir d’enquêtes de terrain est à mon sens assez révélateur. Converti en graphe dans la ig. 1.10, il s’agit d’un croisement entre l’abondance des difé- rentes espèces d’arbres dans les champs des interviewés, avec leur degré d’acceptabilité en tant que bois de feu. On remarque tout d’abord que l’ « acceptabilité » des espèces citées n’a pas nécessairement de lien avec leur fréquence. On peut citer tout particulièrement les cas du neem (Azadirachta indica, favorisé pour l’ombre qu’il procure) et du Manguier (Mangi-

fera indica, planté pour ses fruits). On peut d’autre part noter qu’un tel classement subjectif

est contraint par l’expérience même des répondants. Au Mali ou au Cameroun, les espèces telles que le neem ne sont pas reconnues comme de bons bois de feu car leur combustion dégage une fumée non négligeable. Quant au néré (Parkia biglobosa) et au karité (Vitellaria

paradoxa), leur intensité de coupe est quasi-nulle au Mali, du fait des nombreux usages de

leurs fruits11. Toutes ces espèces igurent par contre en très bonne place dans le classement de

Cline-Cole, ce qui peut poser question : le fait que des espèces aux qualités plutôt médiocres soient bien jugées par des utilisateurs locaux est-il révélateur d’une dégradation prolongée de leur environnement ?

Cline-Cole est tout à fait conscient de ce point, puisqu’il considère que le classement opéré par les acteurs interrogés doit être vu comme la conséquence de leur expérience quotidienne, optant pour cela une perspective sociologique assez proche de [Giddens, 1984] (Cf. chapitres 3 et 4). Pourtant, il ne se donne pas les moyens d’évaluer le versant écologique de ses résultats : il nous dit en substance que si « les consommateurs se contentent de ce qui est disponible ou

accessible, plutôt que ce qui est préféré », cela ne change néanmoins en rien la structuration de

la problématique « bois de feu » sur la zone considérée [1998: 333]12. Que le jugement que

les acteurs portent sur la dynamique des ressources naturelle puisse s’être sédimenté au cours de leurs pratiques routinières, cela ne signiie pas pour autant que les ressources considérées se soient elles-mêmes igées. Le risque est alors – en réiiant les représentations – de rigidiier drastiquement le discours que l’on peut tenir sur les dynamiques écologiques qui les sous-

Note 10 | Il s’agit de classements : la valeur 1 renvoie à l’espèce la plus courante ou la plus appréciée. D’autre part, les recoupements entre les deux listes étant imparfaits, la valeur 20 est attribuée à une espèce lorsqu’elle n’a pas été classée -pour le paramètre donné- par les répondants.